Survie

A quand la fin du franc CFA ?

(mis en ligne le 1er juin 2010) - Raphaël de Benito

Cinquante ans après les indépendances, la politique monétaire de la zone franc reste encore du ressort de la France au profit de ses seuls intérêts. Un système monétaire qui constitue une entrave à la souveraineté des États africains alors que de plus en plus d’économistes du continent réclame sa disparition.

Tout est parti de Bangui en Centrafrique à l’issue du sommet tenu les 16 et 17 janvier qui porta l’Équato-Guinéen Lucas Abaga Nchama à la tête de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC), l’institut d’émission monétaire de la Cemac (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad). Lucas Abaga Nchama remplace le Gabonais Philibert Anzembe, limogé après la révélation, en septembre 2009, du détournement entre 2004 et 2009 de 25 millions d’euros par des employés du Bureau extérieur de la Banque à Paris (BEP). La Banque de France qui avait oeuvré dans les coulisses pour placer son poulain, le Gabonais Alex Barrot Chambrier n’a pu que protester vivement contre ce choix. Depuis 1973, le président de la banque était traditionnellement gabonais. La BEAC et la Banque de France sont liées par une Convention de coopération monétaire depuis
le 23 novembre 1972.

8000 milliards de Francs CFA logés au Trésor français

Le retour de bâton ne s’est pas attendre. Dès février, la Banque de France a exigé, pour continuer à apporter son soutien au franc CFA et sa coopération technique à la BEAC, que le nouveau gouverneur leur
présente sa feuille de route et se sépare du personnel pléthorique et coûteux.

Une injonction assortie de menaces auxquelles personne ne croit tant la zone CFA est l’instrument principal de l’influence française dans cette partie du monde. L’économiste togolais, Kako Nubukpo et ex-fonctionnaire de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) estime qu’il y a près de 3 000 milliards de FCFA de la
BCEAO logés au Trésor français. « La zone CEMAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) n’est pas loin d’en avoir le double, parce que c’est une zone productrice et exportatrice de pétrole. Donc si on accumule les réserves de change des deux Banques centrales de la zone franc, on n’est pas loin de 8 000 milliards de franc CFA qui ne servent finalement qu’à garantir la
parité fixe. « Nous avons une monnaie qui est extrêmement forte parce qu’elle est rattachée à l’euro et l’euro fait à peu près 1,40 dollar. Nous ne pouvons pas exporter parce que nous exportons en dollar et nos intrants sont importés en euro. Donc nos hommes d’affaires, nos agriculteurs nos commerçants ont beaucoup de mal à être compétitifs à l’export
 » (Ouestafnews)

D’après Christine Lagarde, ministre de l’Économie, l’obligation de dépôt des avoirs des banques centrales africaines auprès du Trésor français est de 50 % pour les deux zones économiques depuis 2005
(Afrique de l’Ouest et Afrique centrale).

Historiquement, l’obligation était de 65 %. A l’entendre, ce serait presque une corvée que, dans sa mansuétude, la France consent : « Ce n’est pas juste pour le plaisir d’avoir des réserves que l’on nous demande de les conserver et de les gérer en France. En contrepartie,
il y a une garantie de convertibilité que l’on accepte d’honorer. Elle a joué entre 2000 et 2001, et elle a coûté 300 millions d’euros à la France » (Jeune Afrique, 3 mai). Rappelons en passant que la France
comptabilise dans l’aide publique au développement une partie des « frais  » liés au Franc CFA. En revanche, Christine Lagarde oublie d’être naïve quand on évoque l’essentiel : les matières premières. Elle annonce avoir « deux objectifs économiques et financiers » à l’occasion du prochain sommet de la zone franc, initialement prévu le 20 avril à N’Djamena, mais reporté pour cause de paralysie du trafic aérien dû au nuage de cendres du volcan islandais.

« D’une part, encourager l’intégration régionale (...). D’autre part, (…) des sujets comme la stabilité des prix des matières premières (…). Nous entrons dans une période de rareté sur certaines matières premières. Dans ce contexte, je pense que les pays d’Afrique et les pays à zone monétaire stabilisée ont une carte à jouer s’ils trouvent ensemble la capacité de juguler les risques de volatilité et d’instabilité (…) » (Jeune Afrique, 3 mai).

On constate donc que Lagarde a une idée bien précise de ce qui est de l’intérêt de la France, beaucoup moins sur celui des pays de la zone Franc et généralement de l’Afrique. Interrogée sur les événements susceptibles d’amplifier ou de ralentir le retour à la croissance en Afrique, celle qui inventa la « croissance négative » fait preuve d’une vision économique de haute volée en citant d’emblée la coupe du monde de football en Afrique du Sud !

En revanche, pas un mot sur l’abandon du franc CFA qui ampute les pays de la zone d’une majeure partie de leur souveraineté ni même la solution intermédiaire qui consisterait à arrimer le franc CFA à un panier de devises.

Lagarde préfère se retrancher hypocritement sur une pseudo indépendance des États concernés qui « doivent prendre leur responsabilité » : « Ce n’est pas à la France de déterminer si le système actuel est approprié ou non. S’il faut en sortir ou pas. Cette époque est révolue ». Il n’y a qu’à demander !

Ce que fait précisément Kako Nubukpo en réclamant le retour en Afrique de l’ouest de 3 000 milliards de FCFA de la BCEAO logés au trésor français.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 192 Juin 2010
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