Survie

Bolloré désenclave l’Afrique

(mis en ligne le 7 juin 2010) - Odile Tobner

A l’issue du procès en diffamation intenté par Bolloré à Benoît Collombat pour son reportage intitulé « Cameroun, l’Empire noir de Bolloré », diffusé par France Inter le 29 mars 2009, l’avocat de Bolloré, Me Olivier Baratelli, se réjouissant de la condamnation, a cru bon de lâcher que le tribunal avait « donné une leçon de journalisme à certains journalistes ».

Cette jactance était le coup de pied de l’âne s’appliquant à un journaliste courageux et talentueux dans une profession où la lâcheté et la médiocrité sont légion. Quant au « communiquant » du groupe Bolloré, Michel Calzaroni, il n’a pas craint de parler avec enflure d’une « campagne de presse » pour désigner ce reportage de cinquante minutes qui constitue une véritable exception sur un sujet jamais traité dans les médias français... et pour cause.

La justice a morigéné Benoît Collombat pour son manque de « sérieux » et de « prudence » pour avoir diffusé les témoignages qu’il a recueillis lors de son enquête sur le terrain de la bouche de divers Camerounais, mais elle semblait bien hors d’état de pouvoir se faire une idée sur la question à six mille kilomètres du théâtre des opérations.

Les Camerounais, membres du clan au pouvoir, venus témoigner pour Bolloré étaient de franches caricatures. Tout cela ne semble donc pas empreint de beaucoup de sérieux et de prudence. Mais comment donner une leçon de justice à une certaine justice !

Sur ce qui était en cause : les conditions des contrats d’ex­ploitation du chemin de fer camerounais et du dragage du port de Douala, on est resté dans l’opacité la plus totale, sinon le Cameroun ne serait pas le Cameroun. Il n’y a eu ni preuve bien sûr encore moins la moindre réfutation. On en est resté aux dires des uns et des autres. La sagesse était de renvoyer tout le monde à ses moyens d’expression pour en débattre, ceux de Bolloré étant infiniment plus écrasants que le filet de parole d’un journaliste indépendant.

Mais apparemment ils n’ont pas la même crédibilité et c’est bien là où le bât blessait l’âne. Il ne suffit pas d’imprimer du papier ni de diffuser des images pour faire du journalisme. On peut seulement faire des campagnes de presse pour Biya.

Dans le rôle de l’innocente victime des méchants diffamateurs il faut reconnaître que Dominique Laffont, le directeur Afrique de Bolloré, a été impayable. A l’inverse du « loup devenu berger » de La Fontaine, qui révèle sa nature par sa voix sous son déguisement, c’est la personne extérieure de M. Laffont qui n’allait pas avec son discours. Comment croire ce personnage qui sue l’argent par tous les pores quand il affirme que l’Afrique a besoin de lui, que « Bolloré est une entreprise citoyenne », sans doute comme le Cameroun est une démocratie.

Mais la parole le trahit quand même quand il affirme que « notre stratégie est de désenclaver l’Afrique ». C’est bien de cela qu’il s’agit en effet. Cela fait plus de quatre siècles que l’Europe a entrepris de désenclaver l’Afrique, qui en a perdu toute sa prospérité, ses hommes, puis ses richesses. Bolloré, l’homme des ports, désenclave à tour de bras tout ce qui est en Afrique, le bois, les minerais, les bénéfices.

Rien ne reste enclavé et c’est bien là le problème.

Suite à cet édito, Bolloré nous a demandé la publication d’un droit de réponse, à lire là.

A la suite du droit de réponse demandé par l’entreprise Bolloré, que nous avons commenté, nous avons reçu par les mêmes voies un droit de réponse au commentaire du droit de réponse. Pour en finir avec cette guéguerre de commentaires, nous avons décidé de mettre en ligne sur notre site l’intégralité du jugement en cause. Le public pourra juger si le triomphe de la société Bolloré est aussi éclatant qu’elle veut le faire croire.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 192 Juin 2010
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