Survie

Perenco System les sales histoires du 
pétrolier français

rédigé le 10 décembre 2023 (mis en ligne le 12 avril 2024) - Nicolas Butor

Dans une enquête publiée en décembre dernier, Mediapart, EIF (Environmental Investigative Forum), Info Amazonia, Convoca et InfoCongo, et leurs partenaires internationaux révèlent de nouveaux éléments sur les exactions de la société Perenco, deuxième groupe pétrolier français derrière TotalEnergies, notamment en Afrique et en Amérique latine.

C’est un autre dossier qui vient s’ajouter à la pile épaisse des révélations sur les activités de Perenco, deuxième producteur français de pétrole brut. Fin 2022 déjà, les médias d’investigation Disclose et Investigate Europe dévoilaient les atteintes aux droits humains et à l’environnement de l’entreprise dans nombre de ses pays d’exploitation, ainsi que ses liens avec la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher (voir Billets d’Afrique n°323, décembre 2022). Dans cette nouvelle enquête publiée au cours du mois de décembre 2023, Mediapart, EIF (Environmental Investigative Forum), Info Amazonia, Convoca et InfoCongo, et leurs partenaires internationaux en révèlent encore plus sur l’ampleur des dégâts environnementaux causés par Perenco. Le groupe pétrolier opère en effet sur 74 aires protégées dans neuf des quatorze pays dont elle exploite le sous-sol, en Europe, Afrique et Amérique latine, des zones qui devraient normalement être préservées des usages industriels. Au Royaume-Uni par exemple, où se trouve la moitié des concessions à problème du groupe (comme le littoral du Dorset et de l’est du Devon, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco), l’ONG Unearthed a recensé 73 fuites accidentelles survenues au sein d’aires protégées de 2013 à 2023. Le même problème se pose dans certains pays africains (Cameroun, Gabon, République démocratique du Congo…), où la législation est pourtant censée être plus restrictive. Au Gabon, où le groupe opère sur 12 aires protégées, le développement d’activités extractives sur les sites de ce genre nécessite la publication d’un décret ministériel qui l’autorise et la rédaction d’un rapport par un comité scientifique dédié. Mais malgré les recherches et demandes des journalistes auprès des autorités gabonaises, ces documents sont restés introuvables…

Préjudice écologique 
dans le bassin du Congo

Pourtant, comme l’a largement documenté l’activiste franco-gabonais Bernard Rekoula en 2021 et 2022, les activités de Perenco au Gabon polluent les eaux, les sols et l’air au niveau des sites d’extraction, même quand ils sont protégés. Interrogé par Mediapart dans le cadre de l’enquête, le lanceur d’alerte aujourd’hui réfugié en France raconte sa première visite sur le site d’Étimboué : « L’air proche des têtes de puits de pétrole et des torchères était suffocant. Quand nous avons découvert la zone d’Étimboué où opère Perenco, il y avait des villages entiers quasiment irrespirables à cause de fortes émanations de gaz. » L’ancien député Pierre Philippe Akendengué, qui a travaillé en tant qu’ingénieur chez Perenco pendant 18 ans avant de dénoncer les activités du groupe, évoque lui aussi ce torchage continu, à Oba ou Batanga notamment. Le torchage de gaz est un procédé consistant à brûler les excédents de méthane issus de l’exploitation du pétrole et du gaz et formant des hautes flammes appelées torchères. Il est dénoncé par la communauté scientifique et par plusieurs organisations internationales pour ses conséquences écologiques, sanitaires et énergétiques. Ce procédé constitue une cause reconnue de l’acidification des eaux et d’émissions de gaz à effet de serre : d’après les analyses d’EIF , en dix ans, le torchage de Perenco a entraîné l’émission d’au moins 33,8 millions de tonnes de CO2 dans le bassin du Congo. Perenco promet d’abandonner les « torchages de routine » à l’horizon 2030, mais cette pratique pourrit aujourd’hui la vie des habitant·e·s du Gabon mais aussi du Cameroun, dans le parc national de Ndongere, l’estuaire du Rio del Rey ou encore la forêt de Bipaga, où Perenco exploite l’usine de traitement de gaz de la Société nationale des hydrocarbures (SNH). Toute activité industrielle et extraction de matériau est pourtant proscrite au sein des parcs nationaux du pays, ce qui n’a pas empêché Perenco d’obtenir deux concessions d’hydrocarbures sur le site de Ndongere après sa classification sous un régime protecteur. Si la loi camerounaise évoque des autorisations possibles de torchage à titre exceptionnel, la durée de combustion ne peut pas excéder 60 jours – une limite que Perenco dépasse allègrement, d’après les témoignages réunis par InfoCongo et les données de l’EIF. Les exploitants doivent également fournir une étude d’impact environnemental pour minimiser les risques du torchage. Au Gabon, la pratique est officiellement interdite depuis 2019, sauf autorisation spéciale du ministère chargé de la préservation de l’environnement. Contactées par Mediapart, les autorités gabonaises et camerounaises n’ont pas été en mesure de fournir les études environnementales ni les autorisations de torchage.

Du désastre écologique au désastre sanitaire et social

Au-delà des effets écologiques désastreux, les conséquences de ce procédé sur la santé des populations n’est pas pris en compte par les autorités ou les industriels. Selon la multinationale, il n’y a « aucun problème pour la santé des populations ». Mais d’après la communauté scientifique internationale, le torchage pourrait causer de nombreuses pathologies, comme des maladies respiratoires et hématologiques, des problèmes cardiaques ou encore des cancers, potentiellement jusqu’à soixante kilomètres à la ronde – alors que certains villages se trouvent parfois à quelques centaines de mètres des flammes. L’enquête révèle également les exactions de Perenco dans la réserve du Napo-Tigre, au Pérou. Installée dans le pays depuis 2008, l’entreprise bénéficie d’un cadre réglementaire très flexible grâce à la reconnaissance de sa concession amazonienne, le bloc 67, comme projet « de nécessité et d’intérêt national ». Ce projet avait été qualifié de « miracle » par le président péruvien Alan Garcia, qui y voyait un moyen de refaire du Pérou un pays exportateur de pétrole. De fait, à court terme, l’installation de Perenco sur le territoire a permis un rebond économique pour les peuples autochtones du territoire, avec la construction de nouvelles habitations et la modernisation des routes par exemple. Mais en parallèle, l’entreprise a commis pas moins de 58 violations environnementales dans la région entre 2015 et 2020, atteintes dissimulées aux populations autochtones qui sont pourtant les premières à en pâtir. Parmi ces violations : « excès d’émission de gaz au-delà des limites maximales autorisées », « stockage impropre de déchets et de produits chimiques », fuites de pétrole (marées noires) et pollution des eaux (entre autres phosphore, azote, chlore mais aussi matières fécales…). Au total, la multinationale devait payer 400 000 dollars d’amende et apporter seize mesures correctives en réponse à ces atteintes environnementales – mais elle n’en a payé que la moitié, en échange de mesures correctives supplémentaires. En octobre 2022, Perenco décide finalement d’arrêter d’exploiter le bloc 67, sans toutefois l’acter officiellement – aux dernières nouvelles, ses contrats d’exploration et d’exploitation sont toujours en vigueur. Pour se justifier, l’entreprise évoque les conflits sociaux, le manque de garanties de l’État péruvien et la création de la réserve du Napo-Tigre à l’été 2022, que Perenco a d’ailleurs contestée en attaquant Lima en justice (L’Usine Nouvelle, 07/09/22). Elle laisse sur le carreau les nombreuses communautés indigènes qui devaient bénéficier de ses activités.

Flux financiers 
suspects en Afrique

Et le palmarès de Perenco ne s’arrête pas aux atteintes à l’environnement et aux communautés. Dans un article de la gigantesque enquête « Congo Hold-Up » publié en juillet 2023, Mediapart et Investigate Europe révélaient que Perenco a versé en plusieurs fois 1,3 millions de dollars à des entreprises contrôlées par des membres du premier cercle de Joseph Kabila lorsque celui-ci était encore président de la République démocratique du Congo (RDC). Ces quatorze transactions ont été effectuées entre 2014 et 2015, au bénéfice notamment de ETS Kuntuala (une société créée par la famille Wan, des proches de Kabila) sur le compte bancaire de l’entreprise à la BGFI, banque qui a permis au clan Kabila de détourner 138 millions de dollars d’argent public. Perenco dément avoir transmis cet argent à ETS Kuantala (ce que contredisent les relevés bancaires) et se gargarise d’« éviter tout paiement illégal, y compris à ses clients et aux gouvernements », ainsi que « tout conflit d’intérêts, y compris toute transaction qui pourrait être perçue comme telle ». Le plus étrange est que ces versements de Perenco ont été réalisés peu avant l’adoption du nouveau code des hydrocarbures, qui devait réformer les privilèges fiscaux des sociétés extractives opérant en RDC. L’entreprise pétrolière a finalement conservé son très avantageux régime fiscal, et ce jusqu’en 2043, et est en passe de récupérer deux nouveaux blocs onshore dans le pays.
Les frasques financières de Perenco ne s’arrêtent pas à la RDC : en novembre dernier, les services de renseignement du président de la transition gabonaise Brice Clotaire Oligui Nguema établissaient des liens suspects entre l’entreprise pétrolière et l’ancienne première dame Sylvia Bongo ainsi que son fils Noureddin Bongo (Africa Intelligence, 20/11/23). La filière locale de l’entreprise est soupçonnée de manœuvres financières hasardeuses, d’évasion fiscale, d’arriérés d’impôts et taxes sur les profits (voir encadré).

Nicolas Butor

Sauf mention contraire, toutes les informations sont tirées de l’enquête Perenco System publiée par Mediapart, EIF (Environmental Investigative Forum), Info Amazonia, Convoca et InfoCongo.

Jeu de séduction perenco / pouvoir gabonais

Il semblerait presque que la transition gabonaise au pouvoir depuis l’été 2023 prenne le problème Perenco au sérieux. Les services de renseignements du nouveau régime passent actuellement au crible les flux financiers et les contrats passés entre le groupe pétrolier et le clan de l’ancien président Ali Bongo - une volonté de « réclamer la transparence » selon Marc Ona Essangui, président historique de Tournons La Page Gabon entré au bureau de la nouvelle présidente du Sénat Paulette Missambo (Le Point, 14/09/23). Mais dans le même temps, Libreville s’est assuré de maintenir des relations cordiales avec Perenco, dans le cadre de la stratégie affichée du président Brice Oligui Nguema de relancer l’exploitation pétrolière, qui représente déjà les deux tiers des recettes budgétaires du pays (Jeune Afrique, 20/12/23). Fin 2023, il a reçu plusieurs cadres des principaux groupes pétroliers opérant au Gabon, dont Perenco. Adrien Broche, le directeur pays de l’entreprise, avait d’ailleurs assisté à la prestation de serment du président gabonais le 4 septembre dernier, et s’est efforcé depuis de renforcer sa relation avec le ministre du pétrole et du gaz Marcel Abeke. La firme a été reçue à deux reprises par le ministre, en septembre et en novembre, dernière entrevue au cours de laquelle était aussi présent Benoît de la Fouchardière, PDG de Perenco. Marcel Abeke aurait à cette occasion « demandé à Perenco de continuer à travailler dans le secteur du pétrole et du gaz et l’a félicitée pour ses récents résultats en matière d’exploration » selon un porte-parole de l’entreprise (Africa Intelligence, 20/11/23). Au Gabon, Perenco a encore de beaux jours devant elle : elle vient d’y inaugurer une usine de gaz de pétrole liquéfié, et désire ouvrir une nouvelle usine de gaz naturel liquéfié en 2026. Pour s’assurer la coopération des pétroliers, Marcel Abeke a quant à lui promis d’assouplir le corpus législatif et réglementaire gabonais.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 333 - janvier 2024
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