Survie

Comores : rififi dans la “démocratie séparée”

(mis en ligne le 25 juillet 2010) - Pierre Caminade

La vie politique des Comores est cadencée par les crises alors que la constitution de 2004 favorise le séparatisme. C’est dans ce contexte qu’Ayoumba Combo, un poulain de Bob Denard, a été assassiné le 13 juin.

Les premiers artisans du sabotage de l’État des Comores indépendant, en contre-feu du maintien illégal de la France à Mayotte, furent les mercenaires, Bob Denard en tête, de 1975 à 1997. Puis les séparatistes avec un bras droit de Denard : Ayoumba Combo.

La sortie de crise étant pourtant possible avec les accords de Tananarive du 23 avril 1999 chapeauté par l’OUA (future Union africaine). Ceux-ci proposaient en effet une constitution qui préservait le fédéralisme sur l’Archipel.

Mais en 1999, deux colonels francocomoriens ont pris le pouvoir : Azali sur la Fédération à Moroni, par putsch, le 23 avril, et Abeid sur Anjouan, le 3 juin. Les deux étaient d’accord pour fusiller l’accord africain et le remplacer par les accords de Fomboni, bien plus français, qui entérinaient l’idée séparatiste en proposant une Union des Comores. Union qui a vu le jour en 2004 à la suite de l’adoption de la nouvelle constitution. Aujourd’hui, malgré un président Sambi correctement élu en 2006, une série de crises cadence la vie politique des Comores.

Le spectre du séparatisme

Lorsqu’un autre pays, comme le Qatar, le Koweït ou le Soudan propose un projet de coopération et d’investissement, il doit choisir à quel gouvernement d’île le proposer.

Fonder un institut de formation, une structure d’aide à l’économie n’est plus de la compétence de l’Union. C’est donc aujourd’hui la constitution de 2004 qui entretient et qui favorise la concurrence, les jalousies et autres rancoeurs entre les îles soeurs. En un mot : le séparatisme.

Plus besoin de mercenaires ou de barbouzes françaises (qui occupent pourtant toujours bien la place) pour empêcher le développement des Comores et la progression du bien public, garant de la paix sociale et politique. La Constitution, plébiscitée à l’époque par Michel Rocard, s’en charge. La perfusion économique française à Mayotte faisant le reste. Le président Sambi a entrepris une inflexion constitutionnelle (lire Billets d’Afrique n°178), pour diminuer les frais pléthoriques dus à la multiplication des gouvernements, pour atténuer les conflits de compétence et parce que comme dit le gouvernement : « De 2002 à 2019, il aurait fallu organiser des élections quasiment tous les ans. »

Cette réforme s’accompagne aussi d’un prolongement de son mandat pour une durée de moins d’un an pour synchroniser les élections des îles et de l’Union, ce qui a provoqué des hurlements contre le supposé risque de « présidence à vie ».

Le gouvernement vient d’être légèrement remanié après une médiation de l’Union africaine faisant suite à des troubles. Il gérera la période de transition jusqu’à l’élection présidentielle de novembre 2010. Le futur président ne peut être issu que de l’île de Mohéli (le président Sambi étant d’Anjouan), conformément au principe constitutionnel de présidence tournante. En boycottant les réunions de conciliation, l’exécutif de Mohéli (d’origine largement séparatiste) a largement poussé au pourrissement de la situation « parce que nous n’allons pas légitimer un président dont le mandat est achevé [depuis le 26 mai 2010, si l’on dénie la prolongation validée par référendum et par la Cour constitutionnelle] », selon Saïd Dhoiffir Bounou, proche du gouverneur de Mohéli.

Mohéli a finalement accepté de signer l’accord sous l’égide de l’UA alors que le régime Sambi, de son côté, commet de réels dérapages.

Le plus grave d’entre eux est certainement d’avoir empêché l’opposant du parti Ridja, Me Larifou, de se rendre à Mohéli où des perturbations politiques étaient en cours. Son interception violente, lors de laquelle il a été frappé et étranglé, l’a conduit à l’hôpital dans un état grave.

L’assassinat d’un poulain de Bob Denard

C’est dans ce contexte qu’a été assassiné, dans la nuit du 13 juin, Ayoumba Combo, qui incarnait la « continuité du non-État ».

De presque tous les coups tordus et familiers des secrets d’État franco-comoriens, poulain de Denard, ce Comorien formé par le régime d’apartheid d’Afrique du Sud était déjà membre de la sinistre Garde présidentielle sous Ahmed Abdallah (au pouvoir de 1978 à 1989). Il fût un tortionnaire et assassin apprécié de ses collègues mercenaires (blancs).

Lorsqu’en 1995, le président Djohar est renversé par un coup d’État téléguidé par la France et maquillé en putsch manqué par Denard, Combo joue le rôle de faux-nez de celui-ci, en présidant le « Comité militaire de transition ».

En 1997, l’Archipel éclate dans une crise séparatiste : Combo dirige l’un des deux mouvements sécessionistes à Anjouan. « Pour nous, le seul salut, c’est de quitter les Comores, de nous trouver au sein de la France » déclare-t-il. En 1999, lorsque le colonel Azali commet son putsch, Combo reste proche du palais présidentiel.

En septembre 2001, sur l’île d’Anjouan, un séparatiste (Bacar) en renverse un autre (Abeid), tout aussi illégitime. Combo est dans le clan putschiste... au service d’Azali ?

Lorsqu’en 2006, Sambi est élu président, sans fraude, Combo reste à son poste. Apparemment incontournable, il est nommé, l’année suivante, commandant régional de l’AND (Armée nationale de développement) à Anjouan.

En mai, il est confronté aux troupes de Bacar, qui l’arrêtent. C’est l’UA qui le fait libérer. En mars 2010, il est nommé par Sambi chef de corps des Forces comoriennes de la défense (FCD). Depuis son assassinat, de multiples éléments sont évoqués dans la presse qui rappelle que, début avril, le domicile du chef de la police a été incendié, que le général Salimou Amiri, chef d’état-major, a publié en avril une lettre dans laquelle il accuse l’entourage de Sambi (dont implicitement Combo) de vouloir l’éliminer physiquement. Selon Kamal Ali Yahoudha (Malango Actualité, 15 Juin) Sambi serait allé « jusqu’à confier à quelques proches lors d’un pique-nique à Bandrankowa, dimanche [14 juin] (…s’inquiéter) de ce qu’il a qualifié des « projets dangereux qui se préparent » sans donner plus de précisions. »

Dans cet univers de coups tordus, aucune hypothèse n’est à écarter, surtout pas celles que personne n’a encore osé émettre. Nous n’avons même pas la preuve de la réalité du soutien indéfectible de Combo à Sambi, thèse soutenue à l’unanimité.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 193 - Juillet 2010
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