Survie

La France contre la CPI

(mis en ligne le 25 juillet 2010) - Raphaël Granvaud

Les positions défendues par la France au congrès de révision de la Cour Pénale Internationale sont un nouvel exemple de l’hypocrisie et du cynisme de sa diplomatie.

François Zimeray, l’ambassadeur français pour les droits de l’homme, ne craint pas de qualifier d’« exemplaire » la coopération de la France auprès de la Cour pénale internationale (CPI) en réponse au rapport annuel d’Amnesty qui s’inquiète de voir la France faire le choix délibéré de rester un refuge pour les génocidaires (Libération, 26 mai).

On sait en effet que dans le projet de loi d’adaptation au statut de Rome qui a institué la CPI, les sénateurs français ont restreint la possibilité de poursuites judiciaires non pas aux criminels contre l’humanité présents sur le territoire, mais à ceux qui y ont une « résidence habituelle ».

Clause restrictive et à l’interprétation vague en vertu de laquelle il suffira de n’effectuer que de longs séjours touristiques pour bénéficier
d’une impunité totale…

L’obstruction française

On lira donc avec intérêt les articles [1] par Christine Laroque (ACAT) et Simon Foreman (Amnesty et CFCPI) à l’occasion du 1er congrès de révision du statut de Rome à Kampala début juin.

L’hypocrisie et le cynisme de la diplomatie française y sont à nouveau confirmés. Par exemple, on apprend que les représentants français ont tout simplement « séché » les réunions de bilan concernant le « principe de complémentarité », c’est-à-dire précisément l’adaptation des droits nationaux à l’exigence de juger les criminels de guerre et les criminels contre l’humanité. « Les autorités françaises référeraient-elles protéger leurs relations diplomatiques plutôt que
de réprimer les crimes les plus graves ?
 », s’interrogent les auteurs.

On découvre également que la France ne voyait pas d’un bon oeil l’extension de l’interdiction de certaines armes aux conflits armés non-internationaux (CANI) quand celles-ci sont déjà proscrites dans
les conflits internationaux, où leur usage est considéré comme crime de guerre : armes empoisonnées, gaz asphyxiants ou toxiques, certains types de munitions comme les « balles qui s’épanouissent ou s’aplatissent facilement dans le corps humain, telles que des balles dont l’enveloppe dure ne recouvre pas entièrement le centre ou est percée d’entailles ». Certaines de ces munitions sont en effet utilisées en France par certaines unités spécialisées de la police ou de la gendarmerie.

La France ne s’est toutefois pas opposée à l’amendement proposé par la délégation belge, moyennant quelques restrictions parmi lesquelles la CPI ne pourra pas se prononcer sur leur usage si celui-ci relève de l’« application de la loi », c’est-à-dire par exemple du maintien de l’ordre…

Autre anecdote instructive : l’article 124, exigé par la France à la création de la CPI, en vertu duquel elle était exemptée pendant sept
ans de toute poursuite contre ses ressortissants (c’est-à-dire en fait contre ses militaires) en cas de crime commis par ces derniers, a fait
des émules. La France avait été le seul pays, avec la Colombie, à demander l’application de cet article, avant de se rétracter peu avant
l’échéance des sept années. Isolée sur cette question, elle ne comptait pas mener bataille pour le maintien de l’article 124, qualifiée de « permis de tuer » par Amnesty.

Mais d’autres pays, asiatiques notamment, ont exigé son maintien, sous prétexte d’encourager plus facilement certains Etats non-signataires à ratifier le traiter.

Enfin concernant la question centrale du congrès, à savoir l’adoption du crime d’agression d’un Etat par un autre au nombre des compétences de la CPI, c’est la France qui a pris la tête des Etats qui s’y sont opposés. Cela aurait en effet privé le conseil de sécurité, et en réalité les membres permanents du conseil de sécurité, du monopole de qualifier ce qui relève ou non d’une agression et au besoin d’ordonner au procureur de la CPI d’ouvrir une enquête.

Héritage colonial

Si la France s’oppose aux remises en cause des privilèges des membres permanents du conseil de sécurité, et préfère voir la CPI subordonnée aux considérations géopolitiques des grandes puissances, c’est notamment parce que ce statut, hérité de la période coloniale et de l’après Seconde Guerre mondiale, constitue un élément non négligeable dans le rapport de force qu’elle impose à ses anciennes colonies. Au final, le crime d’agression a bien été adopté à
Kampala, mais là encore assorti de filtres qui rendent l’indépendance de la CPI incertaine en la matière et surtout renvoyée aux calendes
grecques, puisque subordonnée à un vote de l’Assemblée des Etats parties en… 2017.

Un délai suffisant pour que la diplomatie française fasse à nouveau la démonstration de toute la coopération dont elle est capable en matière de lutte contre l’impunité…

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 193 - Juillet 2010
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