Survie

Mauritanie : contre qui la France est-elle en guerre au Sahel ?

(mis en ligne le 7 septembre 2010) - Issa Bâ

Comment le chiffon rouge
du terrorisme permet aux
puissances étrangères
d’affirmer leur présence
militaire dans la zone
sahélienne.

C’est le 22 juillet que la presse
espagnole dévoilait l’opération
militaire franco-mauritanienne dans
le désert malien pour libérer le Français
Michel Germaneau, retenu en otage par
Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI)
depuis le 19 avril.

Du côté des autorités françaises, ni le
ministère des Affaires étrangères ni celui de
la Défense, pas plus que Nicolas Sarkozy ne
commentaient l’affaire.

A l’inverse, le pouvoir mauritanien
triomphait bruyamment et se félicitait du
succès d’une opération militaire visant à
prévenir l’attaque d’une base militaire par
cent cinquante combattants de l’AQMI.

Il remerciait aussi la France pour son soutien
logistique et technique tandis qu’à Paris,
le ministère de la Défense reconnaissait,
du bout des lèvres, un appui à l’opération.
La presse ibérique maintenait toutefois
que des soldats français avaient participé
directement à l’opération. Ce que semblait
confirmer, contraint, le ministère français
de la Défense en avouant la participation
au raid de vingt à trente soldats des forces
spéciales et que le but était bien la libération
de Michel Germaneau.

Libération d’un otage ou prévention d’une
attaque ? Mauritaniens et Français ne sont
visiblement pas sur la même ligne. Un
décalage compréhensible dans la mesure où
la lutte contre le terrorisme sert davantage
l’image du président, Mohamed Ould Abdel
Aziz qui évite ainsi de passer pour un larbin
de l’armée française.

Or l’armée mauritanienne n’a nullement
les capacités, malgré les formations
dispensées par les Français, de mener une
telle opération. Si l’on rajoute que quelques
dizaines d’hommes des forces spéciales, à
la puissance de feu redoutable, se suffisent
amplement à eux-mêmes, on peut estimer
que les Mauritaniens ont seulement fourni
quelques guides et véhicules.

Qui pour contrôler la poltique de la France dans la région ?

Mais au-delà de la forme, ce raid
soulève de graves questions sur notre
fonctionnement politique et nos relations
avec les pays africains.

D’une part, comme le dénoncent les
députés mauritaniens de l’opposition,
cette attaque constitue un authentique acte
de guerre, sans qu’aucun parlementaire
d’aucun pays n’ait jamais été consulté.

Ensuite, les autorités maliennes ne furent
même pas informées de cette attaque sur
leur sol. C’est dire en quelle estime, on
tient la souveraineté du Mali.

Cela dévoile aussi la nature des relations
entre la France et la Mauritanie. Celle-ci
n’étant qu’un pion ou un vassal servant
de paravent pour cette opération décidée
vraisemblablement le 13 juillet, lors d’une
rencontre Sarkozy-Abdel Aziz. C’est
aussi un des dividendes du soutien élyséen
au putsch et aux fraudes électorales qui
ont permis au président mauritanien de
s’installer au pouvoir.

En outre, la France, malgré l’échec de
l’opération, montre qu’elle peut mener
des opérations militaires n’importe où
dans la région et personne n’a rien à en
dire, même les autorités des pays où elle
intervient.

Au vu des discours martiaux tenus par
MM. Sarkozy, Fillon, Morin et Kouchner,
l’assassinat de Michel Germaneau va
servir à légitimer une présence militaire
française accrue, puisque « nous sommes
en guerre contre AQMI
 » et que « nous
allons renforcer notre présence
 », etc.

L’armée française
forme déjà officiellement des militaires dans la région,
mais cette opération a permis de révéler
quelques éléments inconnus sur la présence
de soldats hexagonaux en Mauritanie.
Selon des informations concordantes,
l’opération militaire serait partie de la
base de Bassikounou (à l’extrême sud
est du pays) où la population faisait
état, depuis un certain temps déjà, de
va-et-vient d’hélicoptères (dont l’armée
mauritanienne est dépourvue) et de la
présence de militaires « blancs ». Ceux-ci
ne circulant pas en dehors de la base, on
ne peut que spéculer sur leur nationalité
mais les américains étant installés ailleurs
dans le pays, il est fort probable qu’ils
soient français.

Pourtant les autorités des deux pays ont
toujours répondu aux députés mauritaniens
que les seuls formateurs militaires français
présents étaient bien plus au nord, à Atar
qui dispose d’un aéroport.

Plus grave, l’examen des photos de
l’attaque franco-mauritanienne montre
que le camp était plutôt celui de trafiquants
et non pas de terroristes préparant
une attaque d’envergure. Malgré les
affirmations des autorités mauritaniennes
selon lesquelles une grande quantité
d’armes ont été saisies et brûlées, mais
nulle photo d’un tel stock...

C’est aussi l’avis de plusieurs informateurs ayant des relations dans l’appareil
sécuritaire, tel que Jeremy Keenan,
anthropologue britannique très au fait des
dessous du terrorisme dans la région.

Si cela est vrai, la France a mené un raid
militaire illégal en territoire étranger
pour, au final, assassiner sept personnes,
seulement coupables d’être de petits
trafiquants, sans que cela ne suscite le
moindre questionnement.

Par ailleurs, on peut s’interroger sur le
contenu des photos diffusées par la télévision
nationale mauritanienne montrant, sur le
corps d’un des « terroristes » tués, des traces
de coups, de lacérations, bref de tortures...

Au retour du raid franco-mauritanien,
l’enlèvement de deux éleveurs nomades
maliens, « membres » d’AQMI, avait
été dénoncé par des autorités locales
maliennes. Ils ont finalement été relâchés
quelques semaines plus tard, alors que les
autorités françaises avaient nié la réalité
de ces enlèvements, soit que les militaires
français y ont directement participé,
soit qu’ils ont cherché à couvrir leurs
homologues mauritaniens.

Quelle véracité pour la menace islamiste ?

Toute cette affaire amène inévitablement
à s’interroger sur Al Qaida au Maghreb
islamique. AQMI est coupable d’avoir
enlevé et/ou assassiné des ressortissants
occidentaux, d’avoir attaqué à plusieurs
reprises les armées mauritaniennes,
maliennes et algériennes et de prélever
des taxes sur les trafics de la région,
notamment de drogue.

Par ailleurs, alors qu’aucun contact n’a
jamais été établi entre ces terroristes
et quelques médias que ce soient, ces
derniers sont toujours prompts à livrer
un tas d’informations détaillées sur la
structuration du mouvement : qui en est le
chef, quelles sont les rivalités de pouvoir
entre les émirs, leurs profils politico-
psychologiques, lequel contrôle quelle
région, leur armement, leur nombre
variant de trois cents à mille etc.

Les sources sont toujours les mêmes
sources sécuritaires, presque exclu-
sivement algériennes. Mais si les autorités
algériennes sont capables de tant de
détails, s’ils correspondent toutefois à une
réalité, c’est qu’AQMI est infiltré.

Il serait alors facile de l’anéantir, surtout
avec les moyens de surveillance modernes
ou traditionnels car contrairement à la
représentation que l’on en a en Occident,
le désert n’est pas une vaste zone aveugle,
pour circuler, il y a des routes et les
nomades sont aussi partout présents...

L’Algérie, parrain régional ?

Est-ce à dire qu’AQMI bénéficierait de
la complicité de l’Algérie ? Des analystes
vont plus loin. Ainsi, François Géré,
président de l’Institut français d’analyse
stratégique et chargé de mission pour
l’Institut des hautes études de la défense
nationale, a déclaré, sur RFI le 24 juillet, à
propos d’Abou Zeïd qui retenait en otage
Michel Germaneau, qu’il y a « des doutes
sur son indépendance totale à l’égard des
services de sécurité algériens
. »

Jeremy Keenan affirme qu’« Abou Zeïd est
lui-même considéré comme un agent du
DRS
 », c’est-à-dire de la sécurité militaire
algérienne réputée être le cœur du pouvoir
algérien et dirigé par le général Mohamed
Médiène, dit « Toufik ».

Mais quel serait l’intérêt de l’Algérie à
instrumentaliser ceux qui la menacent ?
Pour Salima Mellah, animatrice de
l’organisation de défense des Droits
de l’homme algérienne
Algeria-Watch, comme pour François Gèze,
directeur des éditions La Découverte,
« le terrorisme résiduel » du GSPC
est un des instruments (des chefs de
l’armée algérienne) pour consolider leur
mainmise sur les richesses du pays et
pour se légitimer auprès des puissances
occidentales. »

Pour Jeremy Keenan toujours, « toute
la stratégie du DRS en créant l’AQMI
dans la région sahélienne en 2006, a
été de convaincre les Occidentaux, et
en particulier les États-Unis, du rôle
indispensable de l’Algérie comme
gendarme régional
 » (Rue89, 9 août
2010
).

De même, en déstabilisant ses voisins
sahéliens grâce à AQMI, et forte de
sa puissance militaire, Alger se pose
en parrain régional sans qui rien n’est
possible dans la région. Les Algériens,
très en froid avec les Français et les
Américains (depuis 2006 et une sombre
histoire d’espionnage), ont maintenant
des tentations hégémoniques et cher-
chent à chasser les Occidentaux du
Sahel considérant la région comme leur
chasse-gardée.

Dans ce contexte, certains ont interprêté
l’enlèvement de Pierre Camatte, en
décembre 2009, comme un premier
avertissement à destination des autorités
françaises. Ce ne fut vraisemblablement
pas suffisant. En avril, Michel Germaneau
fut enlevé. Les revendications peu claires
de ses ravisseurs et le refus de négocier
sont vues comme une condamnation
à mort, geste encore plus ferme à
destination de Paris.

Dans cette optique, l’assaut français
pourrait être la réponse du berger à la
bergère : non seulement, nous ne nous
en allons pas, mais en plus, on intervient
militairement avec nos forces spéciales,
peu importe que Germaneau soit là ou
non. Une version à considérer toutefois
avec prudence tant il subsiste des zones
d’ombres.

Bataille géopolitique dans l’arrière-cour de la France

Derrière ce « grand jeu » sahélien, où
l’on retrouve aussi les Etats-Unis avec
l’initiative pan-Sahel (PSI), la Chine (au
Soudan), la Grande-Bretagne ou la Libye,
il y a évidemment le contrôle des réserves
énergétiques (pétrole, gaz, uranium, ainsi
que le potentiel, pour l’instant assez
lointain, d’énergie solaire) que recèle la
région et des flux qui vont la traverser
(comme par exemple, le Transsaharian.
Gas Pipeline ou l’exportation du pétrole
malien bientôt en exploitation). Et pour
cela, rien de mieux que d’être présent
militairement et d’avoir la mainmise sur
les forces de sécurité de la région.

Comme le souligne, Mehdi Taje,
chercheur à l’Institut d’études stratégiques
de l’Ecole militaire de Paris, « le jeu
des puissances étrangères amplifie [la]
menace [islamiste]. Parce que ça sert
leurs intérêts. Ce qui leur permet de se
positionner militairement. En agitant
le chiffon de la menace islamique, la
France s’aligne sur certaines ambitions
américaines
. » Pour lesquelles il dit
qu’ « officiellement il s’agit de renforcer
les capacités des armées locales.
Officieusement c’est une manière
d’affirmer leur présence militaire
 »
(L’Humanité, 29 juillet).

Au-delà des ambitions économiques,
on peut aussi retrouver dans la geste
sarkozyste, l’ambition mégalomaniaque
d’une France puissance mondiale qui doit
être présente, surtout là où d’autres veulent
la chasser. C’est exactement la façon de
faire de Nicolas Sarkozy, jamais en reste
d’outrances, décrivant un axe du terrorisme
allant du Pakistan jusqu’au Sahel.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 194 - Septembre 2010
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