Survie

Djibouti : une « enquête » fiction sur l’affaire Borrel

(mis en ligne le 3 novembre 2010) - Laurence Dawidowicz

Quelles sont donc les raisons qui ont conduit l’écrivain et journaliste Francis Gillery à réaliser un film documentaire sur l’affaire Borrel ? Une question qui n’est pas si saugrenue pour un film dont le titre est déjà si ambigüe « La légende du juge Borrel ». Une « contre-enquête » qui met surtout en relief les piètres qualités d’investigateur de Gillery.

Celui-ci choisit délibérément la thèse de l’assassinat crapuleux franco-français en mettant grossièrement en avant la pédophilie existant à Djibouti. Il essaie d’y relier Bernard Borrel à titre professionnel comme personnel.

Son premier témoin, abusé par un ancien conseiller français du président Aptidon (1977 à 1999) Claude Sapkas-Keller, par ailleurs ami de Bernard Borrel, explique seulement qu’on le payait plus cher pour qu’il parte sans rencontrer ce dernier. Au côté de ce premier, un de ses amis, attentif, qui dit qu’il n’était pas là lui-même.

Mais qu’apporte alors ce « double » témoignage à sa démonstration ?

Son deuxième témoin, Bruno Mercier, un ancien para et des renseignements militaires (Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense), auteur du livre « La mafia française, ses méthodes, ses réseaux » explique les mécanismes utilisés au Cambodge par des Français ayant fuit Djibouti en 1995 pour compromettre journalistes et coopérants. Mais il suppose davantage qu’il ne prouve…

En d’autres termes, rien d’autres que des suppositions et une suspicion gratuite qui n’est pas étayée ; Gillery prend la posture curieuse de celui-ci qui touche à la vérité sans apporter ni fait ni éléments que l’on ne connaisse déjà.

Gillery utilise également le témoignage de la juge d’instruction Marie-Paule Morrachini qui s’était vue dessaisie de l’affaire en juin 2000 pour avoir organisé, à Djibouti, une reconstitution en l’absence de la partie civile. Aujourd’hui elle cherche à décrédibiliser le témoin principal qui met en cause l’actuel chef d’Etat djiboutien, Ismaël Omar Guelleh. Morrachini persistait même en mars 2009, à la barre du procès en appel de deux dignitaires djiboutiens, dont Djama Souleiman le procureur général de Djibouti, accusés de subordination du témoin principal de l’assassinat du juge Borrel, à soutenir qu’elle était toujours convaincue de la thèse du suicide : « Quand j’ai découvert l’endroit où le corps du juge avait été retrouvé, j’ai compris que ce n’était pas un lieu pour se faire tuer, mais un lieu pour se suicider ».

Par ailleurs, Gillery évacue d’une phrase les nombreuses enquêtes journalistiques qui depuis quinze ans évoquent plutôt d’importants détournements de biens publics sur la base militaire française de Djibouti et même d’un trafic d’uranium. De la même façon, il écarte tout lien avec les politiques djiboutiens et les présente à leur avantage tels le procureur général de Djibouti ou le président Guelleh serrant la main de Jacques Chirac.

Curieusement alors que le film a été diffusé sur Arte le 17 octobre, il l’a été, traduit en langues locales, sur la chaîne nationale djiboutienne, dès le 21 octobre ! Le procureur général en a même profité pour faire une allocution reprenant la thèse du film renvoyant l’affaire Borrel au cercle franco-français.

Une intervention cousue de fil blanc alors que le président Guelleh vient de faire modifier la constitution de son pays afin de pouvoir briguer un troisième mandat, malgré l’opposition dont témoignent les manifestations populaires. Le film tombe étonnamment à point dans sa campagne.

C’est à se demander pour qui ce film a été fait.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 196 - novembre 2010
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