Survie

Niger, Moussa Tchangari : « Difficile d’accepter la présence de soldats français »

(mis en ligne le 4 novembre 2010) - Danyel Dubreuil, Moussa Tchangari

Le 31 octobre 2010, les Nigériens ont été appelés à un référendum sur le nouveau projet de Constitution présenté par la junte au
pouvoir depuis le 18 février 2010. Cette première étape doit permettre le retour de la démocratie au Niger. C’est l’occasion de revenir sur ces mois de « transition militaire », marqués par une sévère crise alimentaire et par le retour de l’armée française dans ce pays hautement stratégique pour la France.

Entretien avec Moussa Tchangari, secrétaire général de l’association Alternative Espaces Citoyens et membre du Conseil consultatif
national.

Billets d’Afrique - A quelques heures du référendum constitutionnel
au Niger, quel regard portezvous sur la conduite de la transition
depuis le coup d’Etat ?

Moussa Tchangar - Nous sommes à une étape cruciale, puisque après le référendum constitutionnel, nous entamerons la préparation des scrutins pour les élections locales, législatives et présidentielles. La junte va organiser les élections comme elle s’est engagée à le faire. Tout le monde semble ériger la tenue des élections comme étant le premier critère pour évaluer la réussite de la transition elle-même.
Qu’elles soient libres et transparentes, et quels que soient les résultats qui sortiront des urnes, pour la majorité des parties prenantes du processus – les bailleurs, les partis politiques, la junte – l’essentiel est que ces élections aient lieu. Je ne suis pas d’accord avec ce genre de raisonnement.

Il faudra apprécier la qualité de la transition en fonction des résultats.
Même si le projet de constitution qui est soumis au vote, est certainement meilleur que les constitutions précédentes, au Conseil consultatif, nous sommes resté un peu sur notre faim. En effet, une partie des propositions majeures que le Conseil consultatif national a
faites ont été rejetées par la junte. Le droit de pétition pour les citoyens leur permettant d’initier des projets de lois, ou la possibilité pour des citoyens d’attaquer des textes de lois devant la Cour constitutionnelle, la saisine par voie d’action directe, tout cela a été
retiré du texte final par les militaires.

Le type de cadre démocratique qu’ils ont en tête ne correspond pas forcément à ce que nous voulons.

Est-ce que cela aurait pu se passer différemment si le processus avait été mené par une assemblée constituante ?

Bien sûr. Les militaires n’ont pas voulu passer par l’étape de la constituante. Ils sont restés sur leur première idée, c’est-à-dire la mise en place d’un comité de rédaction des textes fondamentaux, puis la soumission de ces textes au Conseil consultatif national pour lecture et proposition d’amendements.

La junte aurait pu accepter le projet d’une assemblée constituante, mais cela ne correspondait pas aux intérêts de certaines forces, particulièrement les bailleurs internationaux et les partis politiques nigériens, pour qui il fallait surtout que le processus de transition se
déroule rapidement.

Pour eux, l’objectif principal de la transition était surtout que les élections se tiennent rapidement. Pourtant, la démarche de constituante aurait pu être un bel exercice pour le Niger. Nous aurions pu nous passer du régime de transition militaire et réaliser une transition telle que prévue dans la constitution de 1999. Mamadou Tandja avait fini son mandat au moment du coup d’Etat, c’est la Cour Constitutionnelle, qu’il avait auparavant dissoute, qui aurait pu assurer un intérim pour organiser l’élection d’une assemblée constituante.

Les partis politiques nigériens n’étaient pas favorables à cette solution, et même parmi les forces sociales beaucoup ont préféré
applaudir le coup d’Etat et suivre les orientations de la junte.

Comment apprécier la place donnée à la société civile dans le processus de transition ?

C’est assez faible finalement. Quelques personnes ont été désignées pour diriger des institutions de transition comme le Conseil consultatif national, d’autres personnes comme nous ont été cooptées pour en faire partie, mais cela ne traduit pas forcément une influence de la société civile. Il faut bien voir que tous les pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire..) sont détenus par la junte, même le gouvernement ne représente pas grand-chose, le premier ministre n’est pas chef du gouvernement. De même, le Conseil consultatif ne peut discuter que sur les questions dont il est saisi, il ne peut pas décider de lui-même
ce dont il va débattre. L’ordre du jour des discussions est décidé par le président du CSRD (Conseil suprême pour la restauration de la démocratie, intitulé de la junte), qui décide également de la durée
des discussions.

Je n’estime pas que la société civile joue un grand rôle. Prenons
l’exemple du projet de Constitution issu du Conseil consultatif, ce projet était assez consensuel, il aurait pu être accepté intégralement par la junte, mais ils l’ont changé, ils ont enlevé ce à quoi la société
civile tenait le plus, à la demande des partis politiques, minoritaires au sein du Conseil consultatif national.

Moussa Tchangari
« La société civile joue un rôle assez faible dans la
transition. »

En début de transition, la junte avait annoncé vouloir revenir sur les méthodes de gestion des sociétés nationales ainsi que sur les relations avec les compagnies minières. Une série d’audits avait été
annoncée. Qu’en est-il actuellement ?

Il n’y a vraiment rien de sérieux, ils ont mis en place une commission de moralisation, mais c’est du déjà-vu pour les Nigériens et on sait que ça ne sert à rien et qu’ils n’obtiendront pas de résultats significatifs par ce moyen.

Ils auraient pu engager des vrais audits avec des cabinets indépendants et revenir sur la gestion de l’Etat sur dix ou vingt ans,
que ce soit des entreprises ou de certaines entités étatiques. Ils ont préféré la mise en place d’une commission de moralisation, qui interpelle des responsables de sociétés d’Etat et autres sur la base des travaux d’inspection faits précédemment. Même si des personnes ont été arrêtées, les plus gros dossiers ne sont pas touchés, les enquêtes ne sont jamais allées au fond. Sur la question des permis, mis à part le fils de Tandja et un ancien ministre qui ont été arrêté, d’après des informations déjà largement diffusées publiquement, le travail n’a pas eu lieu jusqu’à maintenant.

Et l’enquête sur la compagnie minière Semafo des mines d’or de Samira ?

Un travail a été fait par les parlementaires, mais aucune décision n’a été prise ni sur ce dossier, ni sur un autre. Ils auraient pu en profiter, dans ce cas précis, pour renégocier le contrat, mais je ne pense pas
que ce soit cela qui les préoccupe en ce moment. Je n’ai rien vu dans ce domaine là, personne n’a touché aux positions des compagnies minières pour le moment.

Quelques personnes ont été arrêtées, mais cela ne suffit pas. Au Niger, tout le monde sait qui vole, qui pille et certains sont libres de se promener. On ne les a jamais appelés au niveau de la commission. Il n’y a pas de volonté d’assainir tout cela.

Les associations travaillant sur la surveillance des activités minières ont-elles été sollicitées par cette commission ?

Dès que la liste des membres a été connue, beaucoup de Nigériens ont été sceptiques. Certains de ses membres sont connus de la population pour avoir été mêlés aux « affaires », la question se pose de savoir s’ils sont qualifiés pour faire partie de cette commission ?

Toutes les personnes avisées ont tout de suite compris que rien ne se ferait. Cette commission n’a aucun rapport avec l’ITIE (Initiative pour la
transparence des industries extractives), dont le Niger est signataire.

Chaque fois qu’il y a un coup d’Etat, ou un changement de régime, on met toujours en place ce genre de commission pour faire l’état des lieux et enquêter sur la gestion des précédentes autorités. Cela n’a jamais donné aucun résultat significatif. De toute façon, dans le cas présent, la commission n’a pas la capacité de décider ce qu’elle va regarder, elle regarde où la junte lui dit de regarder. Elle ne va pas décider d’elle-même d’enquêter sur les mines d’or ou sur Areva.

Le Niger a été touché par une grave crise alimentaire cette année. Comment la situation a-t-elle été gérée par les bailleurs et le pouvoir en place ?

Le régime militaire a reconnu dès son arrivée qu’il y avait une situation grave, ils ont lancé un appel à la communauté internationale et tout le monde les a félicités d’avoir reconnu qu’il y avait une crise, parce que ce n’était pas le cas avec le régime précédent, qui niait l’existence de crises alimentaires. Ils ont reconnu qu’il y avait un problème, c’est déjà ça. Mais il aurait fallu véritablement mettre en oeuvre les moyens pour remédier à la situation.

La communauté internationale n’a pas réussi à mobiliser toute l’aide promise. Certaines actions ont permis d’atténuer un peu les souffrances, mais nous avons tout de même perdu près de la moitié du cheptel et les populations ont extrêmement souffert. La gestion de cette crise montre que l’Etat n’a pas fait d’effort extraordinaire, et la crise n’est pas finie, il faut maintenant reconstituer le cheptel, et avoir de bonnes récoltes, les gens sont lourdement endettés. Mais même une bonne récolte une année ne résout pas le problème : cela doit interpeller sur la nécessité de prendre au sérieux la question de la souveraineté alimentaire.

Nous avons organisé un grand forum pour interpeller les pouvoirs publics sur leur devoir de garantir le droit à l’alimentation et de réaliser la souveraineté alimentaire, du 16 au 18 octobre 2010. Nous avons bien sûr invité les autorités actuelles mais personne n’est venu.
Les politiques ne semblent pas montrer beaucoup d’intérêt pour ces questions, même si le gouvernement en place a dit qu’il allait organiser un forum international sur la sécurité alimentaire.

Quel est votre avis sur le déploiement important de forces militaires françaises, au Niger et au Burkina Faso, à la suite de l’enlèvement de sept employés d’Areva ?

Pour moi, c’est très grave. C’est très difficile pour moi d’accepter le
fait que l’armée française débarque ici. Ils sont venus dans un premier
temps pour préparer une intervention militaire, mais très vite ils ont changé de stratégie et préféré négocier, on se demande alors pourquoi ils ont déployé tous ces éléments ici.

C’est très grave que les pays sahéliens, acceptent le déploiement d’une force étrangère, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, alors qu’en fait il s’agit de prendre le contrôle du pays, c’est tout !

Cette présence est en lien avec d’autres enjeux, notamment ceux liés à l’exploitation des ressources naturelles. On ne devrait pas accepter cela. Avant les Français, les Américains avaient déjà leur projet pan-Sahel, ce que l’on constate c’est que les Français cherchent à reprendre le contrôle sur ce terrain-là avec la Mauritanie comme
tête de pont pour les interventions. La lutte contre Al- Qaïda est une prétexte pour militariser toute la zone, il s’agit plutôt d’une compétition pour accéder aux ressources et les sécuriser. C’est
inacceptable, après cinquante ans d’indépendance, d’assister au retour en force de l’armée française sur ce terrain ! C’est une honte !

Le gouvernement ne devrait pas accepter cela, la lutte contre ces groupes-là devrait être l’affaire de nos propres forces armées. Cela remet en cause gravement la souveraineté de nos pays.

Après le déploiement des militaires français au Niger, il y a eu très récemment des arrestations de membres de la junte – tous des militaires de haut rang. Comment analysez-vous cet événement ?
Peut-on faire un lien avec la venue des forces armées françaises ?

Vous le faites vous-même ! Même vous, vous pensez qu’il peut y avoir un lien entre les deux choses et beaucoup le pensent ici également parce que le Niger est un pays stratégique très important pour la France. On sait qu’Areva a eu beaucoup de difficultés à un moment pour obtenir la signature du contrat d’Imouraren, ça a été très difficile. Si la situation permet à la France d’avoir une présence militaire renforcée ici, évidemment c’est important, pas seulement pour lutter contre le terrorisme, mais aussi pour contrôler plus étroitement le pays et reprendre les choses en main. Si au sein de la junte il y avait
des éléments favorables et d’autres moins favorables à cette présence, cela peut expliquer les arrestations ; en tout cas, beaucoup ici le pensent. Ce n’est pas à un pays étranger de venir s’installer pour
faire le maintien de l’ordre chez nous et assurer la défense de notre pays. Rien ne peut justifier cela.

Entretien réalisé par Danyel Dubreuil, le 30 octobre 2010

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 196 - novembre 2010
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