Survie

France Rwanda : le paradis judiciaire français

(mis en ligne le 7 décembre 2010) - Laurent Pujol

Le 30 janvier 2010, une
trentaine de personnes
appellait la justice française à
enfin se prononcer sur le cas
de Sosthène Munyemana,
médecin rwandais accusé
d’avoir participé au
génocide des Tutsi en 1994
et qui exerce à l’hôpital de
Villeneuve-sur-Lot. Trois
d’entre elles sont assignés
en justice !

Munyemana, a contre-attaqué en
assignant devant le tribunal de
Grande instance de Bordeaux
trois manifestants ainsi que l’association
Cauri
, au motif d’un préjudice moral
subit et du non respect de la présomption
d’innocence.

Une présomption d’innocence dont
les vertus protectrices semble vouloir
s’éterniser. La première plainte contre le
médecin date de 1995, en quinze ans la
justice française ne s’est jamais prononcée.

Et dans ce cas, comme dans celui des
seize autres Rwandais accusés d’avoir
participé au génocide qui vivent en France,
elle paraît complètement paralysée.

Aucun procès ne s’est tenu à ce jour, à la
différence par exemple de la Belgique où
quatre génocidaires ont été condamnés.
Mais à Bordeaux les choses prennent un
tour plus caricatural encore. Ce sont des
rescapés qui risquent de devoir comparaître
devant les tribunaux, avant leurs présumés
bourreaux, avec les militants de la société
civile qui ont voulu dénoncer les lenteurs
de la procédure.

Le 30 janvier, devant l’hôpital de
Villeneuve-sur-Lot [1], où exerce Sosthène
Munyemana, le mot d’ordre était simple :
appeler la justice à enfin se prononcer.

Et montrer que la gravité des accusations
pesant contre le médecin ne peut avoir pour
seule réponse ce long silence de quinze
ans. Car les témoignages contre le docteur
Munyemana sont nombreux, et les enquêtes
émanent de sources qui n’ont pas travaillé
de concert.

Un rapport de la Fédération
internationale des Droits de l’homme
(Aucun témoin ne doit survivre, éditions
Karthala,), publié en 1999, lui attribue un
rôle de meneur dans le déclenchement et
l’organisation des massacres à Tumba, un
quartier de Butare. Il avait été précédé par
ceux des organismes Physicians for human
rights (organisme britannique ayant reçu
le prix Nobel de la paix en 1997, pour sa
participation à la campagne contre les
mines antipersonnels) et African Rights.

Les témoignages recueillis par ce dernier
le présentent comme un homme ayant tué
de ses propres mains, et ayant incité la
population, par des discours enflammés,
à massacrer la communauté Tutsi. Radio
France internationale présentait à l’antenne,
en 2001, des témoignages qui allaient dans
le même sens. De nombreux médias, en
France comme à l’étranger, firent état du
rôle de Munyemana durant le génocide. Il
n’a jamais porté plainte contre eux.

En 2008 la cour nationale du droit d’asile lui
refusait le statut de réfugié. Elle concluait,
dans un long arrêté, qu’il existe des
raisons sérieuses de penser que Sosthène
Munyemana s’est rendu coupable d’un
crime contre l’humanité, que ses propos
ne peuvent être regardés comme sincères
et qu’ils traduisent sa volonté délibérée
d’occulter la réalité des faits.

Mais ce refus
ne l’a pas empêché de rester sur le territoire,
ni d’y exercer son métier.

La justice française s’est néanmoins
exprimée, en octobre dernier, dans
une procédure différente concernant
le médecin. Elle a rejeté la demande
d’extradition formulée par le Rwanda,
où un tribunal gacaca l’a condamné en
2008 pour participation au génocide.

Rappelons enfin que depuis 2006, un avis
de recherche Interpol court contre lui.

Le faisceau d’arguments et de travaux
présentant Sosthène Munyemana comme
un génocidaire est large. Face à cela, qui
prend sa défense ? Personne, ou presque.

Le très médiatique Pierre Péan le faisait
à l’automne 2009, dans les colonnes de
Sud-Ouest. Le même Pierre Péan qui
s’acharne à tenter d’occulter, par tous les
moyens possibles, le soutien de la France
au gouvernement génocidaire.

Le fait qu’une personne accusée de crime
de génocide puisse rester quinze ans sur le
territoire sans être jugé ne suffit-il pas à faire
de la France un paradis judiciaire [2] ? Dans le
cas du génocide des Tutsi, la raison d’état
semble primer sur le droit à la justice. Car
les procès évoqués pourraient en appeler
d’autres, ceux contre les responsables
politiques et militaires qui ont engagé
notre pays dans la folie génocidaire.

Mais à Bordeaux, ceux qui ont voulu appeler la
justice à se prononcer risquent de bientôt
devoir comparaître devant les tribunaux.

[1réunies au nom du Collectif girondin pour le
Rwanda.

[2De plus, la loi récente d’adaptation du
droit français au statut de la cours pénale
internationale permet aux criminels contre
l’humanité d’être facilement épargnés par les
poursuites. Lire à ce sujet le communiqué de
La Coalition Française pour la Cours pénale
Internationale

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 197 - décembre 2010
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