Survie

Ré-élection de Blaise Compaoré, un vernis démocratique peu crédible

(mis en ligne le 7 décembre 2010) - Noël Surgé

Sans surprise, Blaise
Compaoré se succède à luimême
à l’issue d’un scrutin
présidentiel irrégulier et salué
par un obscur observatoire
français. Un sérieux accroc
dans le costume d’un
Compaoré « médiateur »
et « homme de paix » de la
région.

Le dimanche 21 novembre, les
burkinabé étaient appelés à réélire
Blaise Compaoré, leur
président en place depuis 23 ans
(depuis l’élimination du président
révolutionnaire Thomas Sankara avec
la complicité de la France)… ou à voter
éventuellement pour un autre candidat,
mais sans réel espoir de changement.

L’enjeu réel de cette ré-élection
n’était évidemment pas qui gagnerait,
mais plutôt combien de burkinabés se
déplaceraient aux urnes pour donner
une légitimité démocratique à leur
président, grand médiateur de toutes
les crises régionales (Guinée, Côte
d’Ivoire), et pilier incontournable de la
françafrique !

Or, la population du Faso a globalement
boudé cette élection, sachant bien que le
scrutin était joué d’avance. Ainsi, sur le
7,5 millions d’électeurs potentiels, seuls
3,3 millions s’étaient inscrits sur les
listes électorales, et à peine 1,7 millions
de votants ont été enregistrés lors du
scrutin.

Cette très faible participation
résulte de la lassitude de la population,
qui ne voit toujours pas les fruits du
développement que devait apporter la
« démocratie » instaurée en 1991, et de
l’absence de perspectives politiques.

Le parti au pouvoir, le Congrès pour
la Démocratie et le Progrès (CDP)
domine largement le paysage politique,
les administrations, les mairies, et
l’opposition, dispersée et désorganisée,
ne dispose pas des moyens financiers et
humain pour lui faire face.

Au delà de la faible participation, cette
élection a été entachée par un certain
nombre d’irrégularités qui seraient
en mesure de la rendre invalide : de
nombreux électeurs ont pu voter sans
papiers d’identités car la distribution
des cartes d’identité n’a pas pu être
effectuée à temps. Par ailleurs, les
cartes électorales ne mentionnaient
pas les dates et lieu de naissance des
inscrits. Dans un pays ou de nombreuses
personnes portent les mêmes noms, cette
situation rend impossible d’identifier
clairement les votants et laisse libre
cours à la fraude.

Des observateurs très françafricains

Au niveau de la communauté
internationale, on notera que
l’Union européenne n’a pas envoyé
d’observateurs.

En revanche, l’observatoire européen
pour la démocratie et le développement
(OEDD) a affirmé que « tout s’est
passé dans les règles de l’art
 » !

Renseignements pris, cette association
co-fondée par Pierre Mesmer regroupe
de nombreux individus liés de près ou
de loin aux réseaux de la françafrique,
et semble être une structure sans aucune
légitimité pour observer une élection.

Sans surprise, les résultats ont donné
un score soviétique de 80 % à Blaise
Compaoré, les cinq autres candidats
se partageant le reste des suffrages
exprimés. Mais la faible participation
et les irrégularités constatées et reprises
dans les médias ne donnent pas vraiment
la légitimité que le pouvoir espérait
tirer de cette élection. D’autant que
l’opposant, Me Benewende Sankara,
arrivé en troisième position, a porté
plainte auprès du tribunal administratif
contre la CENI (commission électorale
indépendante) pour irrégularités, et
ledit tribunal lui a donné raison.

Tripatouillage constitutionnel en vue

Or, la reconnaissance ou non de
cette élection aura des conséquences
importantes dans la politique interne
comme au plan régional.

Au niveau
national, tous les regards sont tournés
depuis longtemps sur l’échéance de
2015, date des prochaines élections
présidentielles à laquelle Blaise
Compaoré ne devrait pas pouvoir se
représenter d’après l’article 37 de
la constitution… mais le CDP fait
déjà campagne depuis des mois pour
faire modifier cet article, et les forces
d’opposition s’organisent également
pour s’opposer à cette réforme. La
bataille promet d’être rude au cours des
cinq prochaines années !

L’imposture Compaoré

Au niveau international, Blaise
Compaoré est médiateur des crises de
la sous-région (Guinée, Côte d’Ivoire,
Togo), et se taille une stature « d’homme
de paix et de démocratie
 ». Or, les
conditions de sa « ré-élection » devrait
le disqualifier totalement pour jouer
le donneur de leçon démocratique à
ses voisins… particulièrement en Côte
d’Ivoire où il s’est pourtant rendu le
samedi 27 novembre, à la veille d’un
second tour sous très haute tension.

Quant à son costume d’homme de
paix que ses courtisans espéraient sans
doute redorer par un nouveau vernis
démocratique, il ne nous fera pas
oublier son sinistre passé, du soutien
au seigneur de guerre libérien Charles
Taylor (en connivence avec ses amis de
la françafrique) à l’appui aux rebelles
ivoiriens, sans oublier bien sur les
nombreux crimes impunis de son régime
dans son propre pays…

Comme le dit un proverbe Peuhl :« Le
bout de bois à beau rester longtemps
dans l’eau, il ne deviendra jamais
caïman.
 »

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 197 - décembre 2010
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