Survie

Niger : une certitude et beaucoup de questions

(mis en ligne le 4 avril 2011) - Raphaël Granvaud

Une seule chose est sûre au
sujet de la dernière opération
militaire française faisant
suite à l’enlèvement de
deux français à Niamey le
7 janvier dernier : elle s’est
soldée par la mort des deux
jeunes gens. Pour le reste,
les déclarations successives
n’auront pas contribué
à lever le brouillard qui
l’entoure, au contraire...

« De notre point de vue, aucun élément n’est flou dans la séquence des événements »,
affirmait Alain Juppé le surlendemain
de l’intervention des forces spéciales
françaises. A condition de faire abstraction
des contradictions existant entre les différentes versions servies par les autorités
politiques et militaires françaises et
nigériennes, officielles ou officieuses...

Dans un premier temps par exemple,
le colonel Burkhard, porte-parole de
l’état-major des armées, a indiqué que
l’intervention française contre les terroristes
avait eu lieu dans « la zone frontalière » du
Niger et du Mali, « refusant de répondre aux
questions des journalistes sur l’emplacement
précis de l’accrochage
 »,rapporte Le
Monde (10 janvier)
qui commente : « De
telles précautions du porte-parole de
l’armée peuvent aisément s’expliquer
par le désir de ménager les autorités
maliennes, qui n’ont pas forcément été
prévenues de l’opération ou qui n’ont pas
envie que leur soutien à cette opération
soit public
. »

Il faut rappeler en effet
que les autorités maliennes n’avaient
pas non plus été sollicitées ni prévenues
lors de la précédente opération franco-mauritanienne sur leur territoire, visant
officiellement la libération de Michel
Germaneau, en juillet dernier. Alors que
François Fillon convenait finalement
lors de sa conférence de presse que
l’intervention avait bien eu lieu en
territoire malien mais « avec le feu vert de
Bamako
 » (AFP, 10 janvier), le ministère
de la Défense malien et la Direction de
l’Information et des relations publiques des
armées (DIRPA), contactés par le journal
Le Républicain (Mali), « ne confirment
pas
 ». « Selon eux, l’intervention militaire
a été menée par l’armée nigérienne et non
pas par les forces françaises. Ces sources
soutiennent également que cette opération
s’est située en « territoire nigérien avant
que les ravisseurs n’atteignent la frontière
malienne
. » (11 janvier).

Des versions contradictoires

Le bilan de l’opération concernant les
ravisseurs est également incertain. Le
nombre de tués varie selon les sources,
mais plus encore, la nature des prisonniers
a suscité une polémique entre les autorités
françaises et nigériennes.

Deux ou trois
gendarmes nigériens ont en effet été
retrouvés morts sur les lieux de l’assaut,
avec un véhicule calciné de la gendarmerie
nigérienne, et deux autres blessés qui
auraient été arrêtés et remis aux autorités
nigériennes. « A l’enquête d’établir quelle
était la raison de leur présence dans
les véhicules que nous avons arrêtés
 »,
avançait Alain Juppé depuis Niamey le 10
janvier.

Le lendemain, Fillon affirmait que
deux ravisseurs faits prisonniers avaient
« été remis aux autorités nigériennes
qui actuellement les interrogent avec
le concours de la justice française
 »
(LeMonde.fr, 13 janvier), sans qu’on sache
s’il était fait référence aux gendarmes
nigériens blessés. Le ministre nigérien
de l’Intérieur, Cissé Ousmane, répliquait
sur RFI : « Il n’existe pas actuellement de
terroristes auditionnés par nos services
 »
(12 janvier)
.

Le surlendemain, Laurent Teisseire, porte-
parole du ministère français de la Défense
affirmait : « ces personnes portaient
des armes et ont combattu, participé à
l’action contre nos forces. On ne dit pas
que ce sont des gendarmes nigériens, on
dit uniquement que ce sont des personnes
portant des uniformes nigériens
 » (AP,
13 janvier), tandis qu’un « responsable
nigérien non identifié
 » accusait : « Nos
hommes qui sont morts sur place, sur le
territoire malien, ont été victimes de tirs
de militaires français. Je ne dis pas que
les militaires français ont fait exprès,
mais les militaires (nigériens) dont les
corps ont été ramenés par les Français à
Niamey sont morts de tirs français
 », a-t-il
insisté, évoquant « trois soldats nigériens
tués
 » (Blog Défense ouverte, 13 janvier).

Nouvelle version quelques jours plus tard :
lors de son audition, le 18 janvier, devant
les commissions des Affaires étrangères
et de Défense de l’Assemblée nationale,
Alain Juppé explique qu’« après analyse
des images tournées par un avion de
surveillance français, Atlantic-2, il s’avère
(...) que des gendarmes [nigériens] ont été
embarqués, à l’issue d’un affrontement,
par les hommes d’Aqmi et leur véhicule
intégré au convoi juste avant l’intervention
des forces spéciales françaises
 ». Mais,
précise Libération (19 janvier), « le
ministre n’a pas été interrogé sur les
déclarations de son porte-parole, Laurent
Teissière, qui avait affirmé, la semaine
dernière, que ces hommes en uniforme
nigérien n’étaient pas entravés et qu’ils
avaient affronté les commandos français
 ».

« Les malentendus se sont dissipés. La
France et le Niger se sont compris
 »,
estimait le lendemain le ministre nigérien
de l’Intérieur en visite en France, sans
que l’on sache si ce changement de ton
était dû à une version plus proche de la
vérité, simplement plus acceptable, ou
encore à d’amicales pressions françaises.
« Ce n’est pas la peine de rentrer dans les
détails
 », concluait-il...

La même opacité dans les circonstances et les causes de la mort des otages français

« Selon les militaires, les deux Français
ont été abattus avant même l’accrochage
avec les ravisseurs
 », rapportait d’abord
Le Monde (11 janvier). La veille, le
Premier ministre expliquait : « Les
preneurs d’otages, lorsqu’ils se sont vu
poursuivis, ont éliminé froidement les
otages selon les premiers éléments dont
je dispose
 » (AFP, 10 janvier). Et le
porte-parole du ministère de la Défense
de confirmer, le 13 janvier, qu’au vu de
« constatations faites directement sur
place
 » par les soldats français, les corps
des otages étaient « tous les deux entravés »
et présentaient l’un comme l’autre des
impacts de balles (AFP, 13 janvier).

Mais dans le même temps, de sources policières
françaises et politiques nigériennes, cette
version présentait une légère omission :
l’un des corps retrouvé était calciné. Les résultats de l’autopsie, rapportés par le
procureur de Paris Jean-Claude Marin,
confirmeront qu’Antoine de Léocour
a bien été tué d’une balle dans la tête à
bout portant, mais que « les causes de
la mort sont plus difficiles à établir pour
Vincent Delory
 », qui pré­sentait « cinq
plaies par armes à feu
 » et « des brûlures
extrêmement importantes
 » (AFP, 15
janvier). Que les plaies aient été causées
non par des balles françaises, mais par
« des balles de kalachnikov », comme l’a
affirmé le ministre de la Défense lors de
son audition, ne change pas grand chose au
fait que la violence des affrontements qui
ont eu lieu semblait laisser peu de chance
de survie aux otages.

Et si tel n’était pas
le cas, pourquoi avoir tenté de dissimuler
l’une des causes possibles de la mort
de l’un d’eux ? Selon des témoignages
maliens rapportés par l’AFP (11 janvier),
plusieurs véhicules ont été retrouvés
calcinés, suite aux tirs des hélicoptères de
combat français. « Si la première vague
est arrivée en hélicoptères, l’intensité des
combats a contraint l’état-major tactique
à faire appel à des renforts, largués à
courte distance par un avion présent
sur place
 », rapporte également Jean-Dominique Merchet sur son blog.

Neutraliser les terroristes
à n’importe quel prix
L’ensemble de ces éléments amène à se
demander si l’objectif premier de cette
opération était d’obtenir la libération des
otages ou de « neutraliser » les terroristes
à n’importe quel prix. « Ne rien faire, c’est
donner un signal que la France ne se bat
plus contre le terrorisme
 », s’est justifié
Alain Juppé (AFP, 10 janvier).

Alors que l’état-major affirme offi­ciel­
lement : « Notre but était de libérer les
otages, pas de faire du bilan sur l’Aqmi

 », selon Jean Guisnel, une autre source
militaire est plus radicale (...) : « Nous
disons aux ravisseurs : nous vous
pourchasserons et nous vous détruirons,
y compris si nos otages y perdent la vie.
Je suis bien sûr navré pour ces morts
de deux compatriotes. Mais je le dis :
c’est une opération réussie
 » (Lepoint.fr, 9 janvier)

Dans une lettre ouverte au
ministre de la Défense
, les amis de Master
2 d’Antoine de Léocour, qui s’indignent
par ailleurs « que la mort de [leurs] amis
serve la propagande politique sécuritaire
du gouvernement et, plus encore, que
ce discours soit repris en chœur par la
majorité de la classe politique française
sous la forme d’un consensus orchestré
 »,
estiment que l’Etat français a sacrifié « ses
ressortissants sur l’autel d’orientations
stratégiques occultes » et s’inquiètent
« également du traitement différencié
réservé aux citoyens et victimes en fonction
de ce que leurs employeurs représentent
pour les intérêts de la France
. »

Comme le souligne Philippe Leymarie, on
peut en effet « se demander, au passage, si
pareille fermeté [du gouvernement] serait
mise en avant au cas où, par exemple, un
homme d’affaires, un journaliste, ou un
diplomate (et non un petit employé d’une
ONG, ou un simple touriste) serait pris en
otage
 » (Blog Défense, 10 janvier).

On peut aussi se demander si les
motivations auraient été les mêmes dans
le cas d’un pays où la France ne détient
pas d’intérêts stratégiques aussi important
que l’extraction d’uranium par Areva au
Niger...

Enfin sur le moyen ou le long terme, il est
tout sauf certain qu’une telle démonstration
de force décourage AQMI de s’en prendre
à nouveau à des ressortissants français.
« Quel autre pays au monde, à part
les Etats-Unis et peut-être la Grande-
Bretagne, est capable de mener une telle
opération spéciale en moins de douze
heures et en plein cœur du Sahel ?
 », fait
remarquer fièrement Jean-Dominique
Merchet (Blog Secret défense, 22
janvier).

Cette crise aura en effet confirmé
la présence d’une « base non officielle »
du COS à Ouagadougou (LePoint.fr, 9
janvier), qui s’ajoute à celle déjà implantée
en Mauritanie, à la base militaire française
non officielle du Tchad (opération
Epervier) et à une « présence plus modeste
(...) au Mali et dans le nord du Niger
 »
(sous forme d’un DAMO, détachement
d’assistance militaire opérationnelle) où,
« depuis des mois, [les autorités] traîne[nt]
des pieds pour accepter publiquement une
aide militaire française plus importante

 »... (Blog Secret Défense, 9 janvier et 14
janvier).

Le sahel quadrillé

Mais comme nous l’avions déjà signalé
au sujet de l’intervention militaire
franco-mauritanienne cet été (au sujet de
laquelle on vient par ailleurs d’apprendre
que Michel Germaneau n’aurait pas été
exécuté en représailles, mais serait décédé
antérieurement faute de médicaments [1]
), on peut craindre que le remède mis en
place ne fasse qu’aggraver le mal.

Le quadrillage militaire du Sahel opéré
depuis plusieurs années par les Etats
Unis et la France ne fait que renforcer la
crédibilité d’AQMI et son attrait auprès
des populations tenues à l’écart des
richesses (minières et pétrolifères) que cet
arsenal militaire entend sécuriser. Tant
que le terreau sur lequel prospèrent les
réseaux terroristes et leurs soutiens dans
le Sahel n’aura pas disparu, on pourra
continuer à rouler les mécaniques, et à
déplorer les morts.

[1Sur le blog Secret Défense de Merchet qui commente : « On ignore les raisons politiques
qui ont poussé le président Nicolas Sarkozy
a évoquer son exécution (dont aucune preuve
n’existe à ce jour) par AQMI, au lendemain du
raid franco-mauritanien..
 » (11 janvier)

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 199 - février 2011
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