Survie

Histoires de visas et de prisons

(mis en ligne le 6 juin 2011) - Odile Tobner

Chantal Nyabon est la responsable
de la librairie des Peuples Noirs
à Yaoundé au Cameroun. C’est
la seule librairie vraiment générale
non seulement dans la capitale
camerounaise, mais encore dans le pays
tout entier et plus loin par le nombre et
la variété de l’offre de livres, à 90 %
des livres français importés.

On a demandé au SCAC (Service de
coopération et d’action culturelle) de
l’ambassade de France de financer son
voyage pour aller au Salon du livre de
Paris du 18 au 21 mars. La réponse est
qu’il n’y a pas d’argent - pour cela en
tout cas - mais qu’on peut lui faire une
lettre pour faciliter l’octroi du visa.
Chantal, avec l’aide d’amis, finance
donc son billet, que la librairie ne peut
lui offrir. C’est cher 700 euros, soit
environ 500 000 CFA. Elle demande
trois semaines pour pouvoir profiter
professionnellement et personnellement
de ce déplacement. Les exigences du
dossier sont nombreuses et coûteuses, en
particulier il faut apporter, en chèques
de voyage à son nom, une lourde
somme d’argent pour son séjour. Une
heure avant le retrait de son passeport
elle reçoit un coup de téléphone du
consulat. On lui demande pourquoi elle
veut rester trois semaines en France
puis la voix dit « Madame Nyabone -
apparemment on refuse l’idée que ce
nom se prononce à la française, comme
bonbon - ne peut rester
que quatre jours en France. Protestation,
réponse « Ce n’est pas moi qui décide,
c’est la commission
 ».

Finalement, sur le passeport l’autorisation
est de six jours. Son séjour
est gâché, ce ne sera que la fatigue des
déplacements en ouragan et le regret
des dépenses inutiles.

Fabien Eboussi Boulaga est le
philosophe le plus ancien et le plus
réputé au Cameroun, auteur d’ouvrages
renommés dans plusieurs maisons
d’éditions françaises. Il est invité pour
tenir un séminaire dans une institution
universitaire de la région parisienne.
Son voyage, son séjour, tout est assumé
par l’organisme qui l’invite.

Quand il va prendre son visa on
le renvoie. Il manque les chèques
de voyage d’un montant important
puisque cela doit couvrir tout son
séjour à plus de 30 euros par jour.
Cet homme, presque octogénaire, vit
modestement. Non seulement il n’a
pas fait carrière mais il a été expulsé
de l’Université camerounaise pour son
esprit indépendant.

Fournir des chèques de voyages est,
dans son cas, une véritable brimade.
Il doit payer en frais bancaires 5 %
de leur valeur. En pure perte puisque
c’est inutile. Mais le robot intitulé
« commission » est de toute évidence
illettré, il ne subodore l’importance
que des demandeurs de visas largement
pourvus des millions prélevés par les
gens du régime, pour lesquels il a toutes
les complaisances.

Le nombre de journalistes, d’artistes,
d’opposants, qui sont incarcérés au
Cameroun est très important, sans
que la « communauté internationale »,
s’émeuve plus que cela. En général, on
les condamne à des amendes démesurées
et ils subissent la contrainte par corps.
La justice sert de rouleau compresseur
pour niveler la liberté d’expression au
plus bas. Leur exemple persuade les
plus audacieux de s’abstenir de toute
opinion ou enquête un peu hardie.

Lewis Medjo est condamné à trois ans
de prison. Robert Mintya est détenu
tandis que Bibi Ngota est mort en
prison. Le chanteur Lapiro de Mbanga
purge depuis 2008 une peine de trois
ans de prison, ainsi que le maire Éric
Kingué, qui osa signaler que les
grandes plantations ne payaient pas
d’impôts. Depuis presque quinze ans
un Français d’origine camerounaise,
Michel Thierry Atangana, croupit au
SED (Secrétariat d’État à la Défense)
condamné abusivement (Le Canard
Enchaîné
du 23 mars).

Bertrand Teyou est depuis quelques
mois incarcéré pour deux ans pour avoir
publié un ouvrage considéré comme
offensant à propos de Chantal Biya,
épouse du chef de l’État, après avoir
osé intituler « Antécode Biya » un autre
livre, en réponse au « Code Biya »,
oeuvre courtisane publiée en France
chez Balland, commandée contre large
rétribution au journaliste François
Mattéi.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 201 - Avril 2011
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