Survie

Turbulences dans l’agro-industrie camerounaise

(mis en ligne le 6 juin 2011) - Thomas Noirot

Outre les protestations des
riverains des « plantations
Bolloré
 »
, plusieurs actualités
perturbent le calme des
immenses plantations
qui parsèment le territoire
camerounais. D’autres
groupes français, Vilgrain et
la Compagnie Fruitière, sont
concernés.

Le chanteur Lapiro de Mbanga,
grossièrement accusé d’avoir participé
aux émeutes de février 2008 durant
lesquelles des plantations françaises de
bananes avaient été saccagées, a été libéré
le 8 avril après trois ans de prison, qui
sont plutôt le prix de sa chanson phare
(« Constitution constipée ») contre les tripatouillages
constitutionnels de Paul Biya :
les dégradations dans les plantations ont
clairement été instrumentalisées contre lui.
Paul Eric Kingué, maire de Penja, subit
aussi depuis trois ans une cabale judiciaire,
dont l’origine semble liée à sa tentative
de faire payer des impôts aux plantations
bananières, dont la PHP (Plantations du Haut
Penja), filiale de la Compagnie fruitière,
multinationale française.

Lui aussi a été condamné pour sa complicité
présumée avec les émeutiers, d’abord à
six ans de prison en première instance. Le
23 mars dernier, la cour d’appel du Littoral
a finalement ramené cette peine à trois ans
en reconnaissant manquer de preuves sur
sa propre implication : elle a tout de même
décidé de le punir pour avoir incité les jeunes
de sa commune à la révolte en éveillant leur
conscience quelques années plus tôt, alors
même qu’il n’était pas encore maire ! Il reste
de toutes façons écroué en raison d’un autre
procès en cours, pour détournement d’argent,
initié également (pur hasard !) au moment où
il a réclamé le paiement des taxes locales aux
plantations industrielles de sa commune.

Du régime de bananes au régime camerounais

Nul doute que cela dérangeait, car la PHP
est un parfait exemple de collusion entre
milieu des affaires et monde politique,
comme le décryptait la journaliste Fanny
Pigeaud : « PHP compte ainsi parmi ses
cadres un député du parti au pouvoir et
loue des terres appartenant notamment
à des hauts gradés de l’armée.
Plusieurs sources affirment que le
président Paul Biya, au pouvoir depuis
1982 , est actionnaire de la compagnie,
ce que dément son directeur général,
Armel François. Des employés de PHP
sont en tout cas souvent envoyés en
mission dans les plantations d’ananas
de Biya, inaugurées en 2000 en présence
du président de la Compagnie
fruitière, Robert Fabre. PHP est membre
de l’Association de la banane
camerounaise, un lobby dirigé par un
autre député du parti au pouvoir, beaufrère
du ministre du Commerce, Luc
Magloire Mbarga Atangana. Lequel
n’est rien moins que le président du
conseil d’administration de PHP.
Ministre, c’est lui qui a négocié
avec l’UE l’Accord de partenariat
économique (APE) paraphé en janvier
par le Cameroun. Jugé catastrophique
pour l’économie camerounaise par les
ONG comme le patronat, cet accord
de libre-échange avantage en premier
lieu les… producteurs de bananes
du Cameroun.
 » (Libération, 18 mai
2009).

Dans ce contexte, la censure a de
nouveau frappé : la projection d’un
nouveau film, La Banane, visiblement
jugé trop critique à l’égard de la PHP,
a été interdite à Yaoundé le 27 avril.

Il s’agissait pourtant d’une projection
privée, organisée au sein de la Fondation
Muna. L’information a rapidement fait le
tour de la toile, faisant pour le coup une
publicité inespérée à ce documentaire
de Franck Bieleu sur les conditions de
travail et l’accaparement de terres dans
cette plantation, que désormais tout le
monde veut voir...

Comment cacher que Vilgrain se sucre sur le dos des Camerounais ?

L’accaparement des terres, il devait aussi
en être question dans le documentaire de
deux réalisateurs français sur la Sosucam,
filiale du groupe Vilgrain qui produit
de la canne à sucre sur une dizaine de
milliers d’hectares et prétend quasiment
doubler sa surface de production (Billets
d’Afrique n°198, janvier 2011)
.

Mais ces deux réalisateurs et les six
Camerounais qui les accompagnaient
ont été placés en garde à vue du
mercredi 20 au jeudi 21 avril : on leur
reproche officiellement de n’avoir pas
demandé les autorisations nécessaires,
et la Sosucam a porté plainte.

Ces deux-là
ne doivent de toute façon pas être
dans les petits papiers des autorités
camerounaises, à en croire l’AFP :
« Mélanie Barreau et Vincent Mercier,
le deuxième réalisateur, étaient les
principaux promoteurs d’un Festival
international du film des Droits de
l’Homme qui devait se tenir à Yaoundé
du 12 au 17 avril mais qui a été interdit
le 11 avril par les autorités.
 »

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 202 - Mai 2011
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