Survie

La nouvelle jeunesse de la Françafrique

(mis en ligne le 4 juillet 2011) - Raphaël de Benito

Si certains avaient pu croire à
une Françafrique moribonde,
Nicolas Sarkozy vient de lui
donner un coup de jeune
dans un discours prononcé
en Côte d’Ivoire à l’occasion
de l’investiture d’Alassane
Ouattara.

Alain Juppé nommé ministre
des Affaires étrangères, c’était
l’assurance d’une diplomatie
res­taurée dans son lustre disaient les
commentateurs après le fiasco Alliot-Marie.

Un Quai d’Orsay libéré de l’influence de
Claude Guéant et de la diplomatie parallèle
d’un Robert Bourgi. Quelques mois plus
tard, il faut bien admettre que rien n’a
véritablement changé sur le fond, du moins
en ce qui concerne la politique africaine.

De la Libye où la France s’est engagée
militairement en contrepoint de sa passivité
face aux révolutions tunisienne et égyptien­ne au rapprochement franco-rwandais, Juppé est contraint d’accompagner et de mettre en œuvre la volonté présidentielle en la matière.

Fut-elle suggérée par un philosophe agité,
auto-proclamé géopolitologue. Pour être
juste, il faut dire qu’Alain Juppé fait le job,
manœuvrant avec un certain talent, dans les
instances internationales.

Sarko contredit Juppé

Plus récemment, c’est la Côte-d’Ivoire qui
a été le révélateur de l’hyper-centralisation
de la politique de la France en Afrique. Le
4 mai dernier, la commission des Affaires
étrangères de l’Assemblée nationale rece­
vait, en présence de la presse, Alain Juppé
qui déclarait : « La situation humanitaire
en Côte-d’Ivoire est très difficile. (...) La
difficulté réside avant tout dans le retour
des centaines de milliers de déplacés (...)
qui sera possible une fois la paix consolidée
– d’où la nécessité de prolonger la mission
de l’ONUCI. En revanche, nous réduirons
progressivement le format de la force
Licorne jusqu’à nous retirer de Côte-
d’Ivoire puisque notre positionnement est
désormais axé sur Djibouti et le Gabon
 ».

Affirmation contredite deux semaines plus
tard par Nicolas Sarkozy, sous les vivats, à
l’investiture d’Alassane Ouattara : « Nous
garderons toujours une présence militaire
en Côte d’Ivoire pour protéger nos
ressortissants
 ».

Et, pour enfoncer le
clou : « C’est une
nouvelle poli­ti­que
africaine et mê­me
une nouvelle politi­que étrangère
 ».

Est-ce à dire que la
France a vocation
à imposer sa loi
militaire en Côte
d’Ivoire ? Que la « nouvelle »
politique étrangère
de la France consiste
à implanter des
soldats partout où des Français seraient en danger ? En dépit
des souverainetés nationales ? Quels que soient les gouvernements en place ? Après Dakar, le discours, toujours décomplexé, a décidément un relent colonial.

Le gendarme de l’Afrique en faction

Comme un symbole de ce bon vieux temps, la France prendra en charge le nouveau conseiller spécial au sein de la présidence ivoirienne, chargé des questions militaires, le colonel Marc Paitier. Ancien assistant auprès
du général Elrick Irastorza, commandant de la force Licorne en 2004 et 2005, il sera « en faction auprès d’ADO » d’après La Lettre du Continent (17 mai) qui ne s’y trompe pas. La coopération économique n’est, bien sûr, pas en reste. Les patrons français, de Vincent Bolloré à Michel Roussin, étaient à Yamoussoukro dans le sillage de Sarkozy avant le voyage officiel en juillet d’un autre VRP : François Fillon.

Au Niger, Paris travaille au corps le nouveau président, Mahamadou Issoufou, pour installer une base militaire permanente au Niger. Officiellement, cette force de réaction rapide interviendrait dès l’enlèvement d’un Français dans la région. Plus sérieusement, implantée au nord du pays, elle servira surtout à sécuriser les gisements uranifères exploités par Areva.

On sait l’obsession de Sarkozy pour le nucléaire, il s’agit donc, coûte que coûte, de sécuriser la zone soulignant cruellement la forte dépendance énergétique de la France. C’est une constante en Françafrique, la sécurisation des sources énergétiques : hier, le pétrole, aujourd’hui l’uranium.

Visiblement donc, cette « nouvelle » politique qui ressemble étrangement à celle que nous connaissons depuis longtemps n’a pas été élaborée avec Alain Juppé. A moins qu’on s’amuse de députés, tout juste bon à gober les balivernes habituelles, impassibles devant l’absence de débat parlementaire sur ces questions.

Une politique africaine suicidaire

Les dirigeants français seraient bien avisés de prendre en compte l’image extrêmement dégradée de la France en Afrique. Si les jeunes générations n’ont pas connu la colonisation, elles souffrent toujours de l’inaction de potentats, parasites pilleurs, soutenus par l’ancienne puissance coloniale ces cinquante dernières années. Cette Françafrique est vomie, honnie et
l’arrestation de Laurent Gbagbo, encerclé par les blindés français, a encore exacerbé la colère envers la France.

C’est même parfois une haine palpable dans la rue africaine, prête à sanctifier Gbagbo, malgré ses crimes, après une opération de police caricaturale conduite par les soldats français sous les yeux desquels, d’après Amnesty International, les partisans de Gbagbo ont été lynchés.

Le discours de Sarkozy devant les militaires et expatriés français de Côte
d’Ivoire ne peut qu’alimenter ce fort ressentiment envers la politique de la
France en Afrique. Une politique à courte vue, vaniteuse et arrogante à
l’excès, privilégiant la force et dont les Africains comme les Français n’ont pas fini de payer le prix.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 203 - Juin 2011
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