Survie

Des affaires retardées ?

(mis en ligne le 5 septembre 2011) - Groupe Rwanda

La fermeture prochaine du
Tribunal aux armées de Paris
risque de ralentir l’instruction
d’affaires sensibles
concernant le Rwanda.

Le projet de loi (n°3373) visant,
notamment, à supprimer le Tribunal
Aux Armées de Paris (TAAP
) a été
déposé le 15 avril dernier à l’Assemblée
nationale, après avoir été adopté par le Sénat
le 14 avril. Ce projet relatif à la répartition
des contentieux et à l’allègement de
certaines procédures juridictionnelles fait
l’objet d’une procédure accélérée suite à la
décision en ce sens du gouvernement. Il doit
donc être soumis au vote de l’Assemblée
nationale avant l’été.
Ce texte prévoit le transfert des compétences
du TAAP,
héritier des tribunaux
d’exception, aux juridictions de droit
commun spécialisées en matière militaire
du tribunal de grande instance de Paris.

Si on peut recevoir favorablement cette
réforme qui vise à normaliser la justice
militaire, les conséquences de celle-ci
peuvent allonger les délais d’instruction
de certaines affaires. Il faut craindre tout
particulièrement que ce transfert ne retarde
encore davantage l’instruction de six plaintes
pour lesquelles l’association Survie, la
Fédération Internationale des Droits de
l’Homme (FIDH) et la Ligue des Droits
de l’Homme (LDH) se sont constituées
partie civile.

Il s’agit de plaintes contre
X visant des militaires français, déposées
par des rescapés du génocide des Tutsi
au Rwanda. L’information judiciaire est
ouverte pour complicité de génocide et
complicité de crimes contre l’humanité.
Les faits incriminés, d’une extrême
gravité, se seraient déroulés pendant
l’opération militaro-humanitaire Tur­quoise (juin à août 1994).

Ce dossier avait déjà connu un début
difficile puisqu’il a fallu deux arrêts de
la chambre de l’instruction de la Cour
d’appel de Paris, le 29 mai et le 3 juillet
2006, pour que les plaintes, contestées
partiellement par le parquet, puissent être
déclarées recevables. Par la suite, pas moins
de trois juges d’instruction se sont succédés
au TAAP (avec parfois des périodes de
vacance de poste), ce qui a été préjudiciable
à l’avancement du dossier.

C’est ainsi que
depuis près d’un an et demi, l’instruction
n’a quasiment pas évolué. La plupart des
responsables politiques et militaires français
n’ont pas encore été auditionnés, tandis
que de nombreux documents sont toujours
protégés par le sceau du « secret défense »,
malgré la déclassification partielle de certains
d’entre eux.

Avec la suppression annoncée du TAAP au
1er janvier 2012, il est à craindre de nouveaux
retards dans la procédure du fait notamment
de la nécessaire période de passation des
dossiers entre le TAAP et la formation
de jugement spécialisée du TGI de Paris
compétente.

Au-delà de la suppression du TAAP, il
serait nécéssaire qu’un pôle d’instruction
spécialisé dans les crimes contre l’humanité,
et donc également dans les crimes liés à un
génocide, doté des moyens matériels et
humains appropriés, soit mis en place. Ce
pôle serait la solution la plus adapté pour
accélérer la justice. Alors que le TAAP était
déjà surchargé de dossiers, « le Tribunal de
Grande Instance de Paris n’a prévu ni les
locaux, ni le budget, ni les postes de travail
 »,
(Le Monde, 15 avril 2011) nécessaires à
la bonne marche de l’instruction, il faut
espérer que les parlementaires, dans le cadre
des débats et du vote de cette loi, s’assurent
que tous les moyens humains et matériels
nécessaires à une bonne administration de
la justice militaire par le TGI de Paris seront
mis en œuvre dans les délais les plus courts.
Notamment dans l’instruction des plaintes
contre X visant des militaires français,
déposées par des rescapés du génocide des
Tutsi au Rwanda.

On n’en prend pas le chemin si on croit
Jean Michel Clément, député socialiste
de la Vienne et avocat de formation :
« Contrairement à ce que les apparences
pourraient laisser croire, les articles 23
et suivants du projet de loi ne concernent
la justice militaire qu’à la marge mais ils
ont tout à voir avec la révision générale
des politiques publiques. En effet, la seule
raison d’être de la suppression du tribunal
aux armées de Paris est qu’il est localisé
au sein de la caserne Reuilly, dans le 12e
arrondissement de Paris, et que cette
caserne doit être vendue.
 »

Ces affaires judiciaires sont pourtant
capitales et nécessitent qu’elles fassent
l’objet d’un traitement privilégié par
l’institution judiciaire. Ces instructions
doivent en effet permettre de faire la
lumière sur l’implication de la France dans
le génocide des Tutsi au Rwanda.

Soutenez l'action en justice contre Total !
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 204 - Juillet Août 2011
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi