Survie

Secret de polichinelle

(mis en ligne le 5 octobre 2011) - Odile Tobner

Dans une interview fracassante au Journal du Dimanche, Robert Bourgi révèle que des présidents d’États africains ont remis des mallettes de billets à des hommes politiques français. Dans le flot de commentaires suscités par ces révélations, revient comme une antienne le qualificatif de « secret de Polichinelle » : mais voyons tout le monde le sait ! Qui est exactement ce « tout le monde » ?

Certainement pas le peuple français, qui en est encore à attendre que son quotidien
« de référence » ou son journal télévisé lui fasse partager ce « secret ». Reconnaissant par ces mots que ce secret n’en était pas un pour eux, les journalistes et autres
experts médiatiques, avouent qu’ils sont les polichinelles en question, marionnettes
dont la mission véritable est de maintenir les secrets du pouvoir à l’abri des yeux de
l’opinion.

On me rétorquera que savoir ne suffit pas, qu’il faut des preuves pour formuler de
pareilles assertions, et que d’ailleurs les politiques nommément désignés par Bourgi
ont annoncé qu’ils porteraient plainte contre lui pour diffamation. Bien sûr ! Mais n’est-ce pas précisément le rôle d’un journaliste digne de ce nom, quand il a connaissance
de pareils bruits, que d’enquêter, d’interroger le pouvoir, de traquer la vérité ? C’est
ce que fait le journaliste Benoît Collombat
enquêtant sur les affaires de Bolloré au
Cameroun, relevant, à ses risques et périls,
l’honneur d’une profession où la journaliste
russe Anna Politkovskaïa ne voyait plus
qu’une « troupe de cirque chargée de
distraire l’opinion
 ».

Quand donc ces polichinelles de l’info-
spectacle ont-ils été capables de consacrer
aux scandales de la Françafrique le
traitement qu’ils méritent ? L’affaire Bourgi,
comme le livre de Péan, La République
des mallettes, sont peut-être l’effet d’un
règlement de comptes entre initiés ; mais ce
qu’ils mettent au jour, ce sont la corruption de l’État français et la cause de l’agonie
des peuples africains, dont ces polichinelles se font les complices par leur œuvre de
désinformation. Car sur cette affaire, ils vous asséneront ce qu’ils vous ont toujours
affirmé, qu’il s’agit là des derniers soubresauts d’un système mafieux déclaré mort
il y a plus de quinze ans, après n’avoir jamais existé. Gageons en effet que l’affaire
Bourgi fera long feu, comme bien d’autres avant elles. Elle ne permettra pas de lever
le tabou suprême, celui qui protège les arcanes de la politique africaine de la France.

Nous retomberons, nous sommes déjà retombés, dans l’infotainment, l’info-spectacle
téléguidée et périmée, témoin le dernier titre, présenté comme « bombe » : la France a
fourni un 4X4 à Kadhafi en 2008 (Médiapart, 19 septembre.)
Mais qui dira comment, à
quel prix, par quels intermédiaires, la France a vendu des hélicoptères anti-émeutes à
la dictature trentenaire du Cameroun (Billets d’Afrique n° 170, mai 2008)
 ? Ceux-ci sont
utilisés pour maintenir la population dans la terreur et garantir la réélection frauduleuse
du potentat, le 9 octobre prochain, dans le silence des médias.

Qui demandera à Michel
Rocard combien il reçoit pour poursuivre de ses assiduités Paul Biya, qui peut compter
aussi sur l’amitié de Juppé et de Toubon ? Rocard soutient qu’il s’affaire au Cameroun
pour éviter la guerre civile. Ce n’est que grâce à l’ignorance totale où nos polichinelles
maintiennent l’opinion que ce mensonge peut être impunément proféré.

Au contraire les régimes protégés par la France en Afrique sont fondés sur les haines
ethnistes [1], attisées comme instruments de division du peuple. Mille faits en témoignent, le cas le plus tragique étant celui du génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda, le plus récent celui de la Côte d’Ivoire, où se poursuit sans bruit l’épuration ethnique. Le maître mot de ce que les Français connaissent de l’Afrique ce n’est pas secret de polichinelle, c’est : motus et bouche cousue.

[1Cf Wikileaks Cameroun : Confidences du ministre de la justice Ahmadou Ali à l’ambassade des USA sur les groupes à qui le pouvoir doit revenir.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 206 - octobre 2011
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