Survie

Cameroun : une mascarade électorale labellisée « acceptable »

(mis en ligne le 2 janvier 2012) - Alice Primo

L’élection présidentielle du
9 octobre n’a apporté, hélas,
aucune surprise ou presque.
Tout était prêt pour la tacite
reconduction de Paul Biya
que le régime a officialisée le
21 octobre, en annonçant un
score « modeste » de 78%.

Biya peut se targuer d’un plébiscite
pour ce sixième mandat, avec la
fidèle complicité des autorités
françaises, qui n’ont émis que de
timides recommandations pour donner
l’illusion de ne pas soutenir pleinement la
mascarade. La presse française, qui avait
pour une fois dénoncé par avance ce hold-up électoral, n’a malheureusement pas
transformé l’essai en ne soulignant pas
ce énième renoncement de la diplomatie
française à mettre en œuvre des promesses
de changement de ligne politique.

La tension est montée d’un cran quelques
jours avant le scrutin présidentiel,
avec l’arrestation mardi 4 octobre d’un
syndicaliste étudiant et de 17 militants
d’un parti d’opposition. Une répression
tous azimuts visant à dissuader toute
contestation trop voyante d’une « élec­tion » ficelée d’avance. Restait l’arme
du boycott, et le dimanche 9 octobre,
les Camerounais, lucides, ont boudé
les urnes : la mission d’observation
électorale de l’Union africaine (UA) a
ainsi officiellement constaté un « faible
taux de participation
 », et l’ONG
Transparency International comptabilise
un taux d’abstention de 70%... qui ne
serait que de 34% d’après ELECAM,
la structure officielle chargée de
chapeauter l’organisation du scrutin.
Cherchez l’erreur !

D’après le journal
camerounais La Météo, elle viendrait tout
simplement du gonflement artificiel des
listes électorales « bourrées de noms de
personnes décédées depuis des années,
en sus des doublons
 ». Cet hebdomadaire
prétend ainsi réhabiliter le gagnant du
scrutin, en en critiquant les organisateurs...
il souligne au passage quelques-uns
des bidouillages qui le caractérisent.

Car ce n’est évidemment pas la seule
anomalie : le chef de la mission de l’UA,
l’ancien premier ministre malien Ibrahim
Boubacar Keita, a dès le mardi 11 octobre
déploré « le manque de bulletins de vote
de certains candidats même si la lacune a
été corrigée, les urnes mal scellées dans
certains bureaux de vote, le non retrait
de nombreuses cartes électorales par les
concernés dans la plupart des bureaux de
vote
 ». Parallèlement, les témoignages ont
rapidement afflué sur les cas de fraudes
et sur la facilité à nettoyer « l’encre
indélébile
 » apposée sur le pouce des
votants dans de nombreux bureaux de
vote. Une encre plus difficile à faire
disparaître fut celle des graffitis rouges
« Biya out ! » et « Biya dégage ! » dont
furent couverts dans la nuit qui suivit les
murs de la ville de Bafoussam, bastion
de l’opposition : l’armée reçut ordre de
nettoyer, en empêchant quiconque de
prendre des photos ou de filmer...

Les partis d’opposition ont évidemment
entrepris des recours auprès de la Cour
suprême pour demander l’annulation
partielle ou totale du scrutin : le
12 octobre, 19 recours avaient ainsi
déjà été déposés, dont 9 par le Social
Democratic Front (SDF) de John Fru Ndi,
considéré comme l’opposant principal du
régime, avec lequel il s’est pourtant déjà
compromis.

Le Cameroon People Party (CPP)
annonçait même avoir fait constater par
huissier l’existence de bureaux de vote
fictifs dans un quartier de Douala. Le
pouvoir camerounais reconnut quant
à lui, dès le soir du scrutin, seulement
de « légers dysfonctionnements dénués
d’arrière-pensées
 ». Ben voyons !

La France fidèle en amitié

Pour la diplomatie française, rien de
bien alarmant non plus : au lendemain du
scrutin, seuls quelques éclaircissements
étaient demandés par le porte-parole
du Quai d’Orsay sur la mort de deux
gendarmes et d’une femme dans des
incidents distincts. Et le mardi 11 octobre,
Alain Juppé déclarait à l’Assemblée
nationale, en réponse à une question du
député Serge Janquin, que les élections
avaient « eu lieu dans des conditions
acceptables
 », en s’appuyant sur les rap­
ports des observateurs de l’Organisation
internationale de la francophonie (OIF)
et du Commonwealth.

Vaste plaisanterie
quand le chef des observateurs de
l’OIF n’est autre que Pierre Buyoya,
ancien chef de l’Etat burundais : un
« démocrate » dont le passé de major, de
putschiste puis de président à la botte de
Paris rend l’expertise particulièrement
pertinente ! Celui-ci avait déjà sévi en
2009, en légitimant la pseudo-élection
présidentielle mauritanienne
qui avait
posé un vernis démocratique sur le putsch
d’Abdel Aziz.

Commonwealth Expert Team in Cameroon
Photo sous licence Creative Commons du Secrétariat du Commonwealth via Flickr

Quant au rapport des observateurs du
Commonwealth, Alain Juppé a fait
semblant de ne pas voir les nombreuses
critiques qu’il contient sur le scrutin
et ses préparatifs, le chef de la mission
déclarant notamment : « Des gens (...)
avec leurs récépissés (...) n’ont pas trouvé
leur noms sur les listes électorales et on
leur a dit d’aller dans un autre bureau
de vote, puis dans un autre, et encore un
autre. Finalement, ils n’ont pas pu voter.
(...) nous avons reçu un bon nombre
de plaintes à propos de l’organisation
et de problèmes administratifs
 ». Il
avait également déploré le « manque
d’égalité et d’équilibre dans le traitement
médiatique par les médias publics lors de
la campagne électorale entre le président
sortant et les partis d’opposition
 ».

La conspiration de la presse française

Mais ce n’est pas tout : notre ministre se
permit aussi d’inciter les Camerounais
à accepter leur sort sans broncher, en
ajoutant : « Nous appelons donc la
population, la presse camerounaise et
tous les acteurs politiques à faire preuve,
jusqu’au 24 octobre, date de proclamation
des résultats, et au-delà bien sûr, de
modération et à éviter tout recours à la
violence pour faire valoir leurs vues
 ».
Circulez, y a rien à voir !

Cette déclaration scandaleuse ne
provoqua pas le tollé qu’elle méritait.
Pourtant, en amont, la presse française
s’était inquiétée de la mascarade en
préparation, en consacrant – fait rare et à
saluer – quelques articles sans concession
pour le régime camerounais, notamment
grâce à la publication récente de l’ouvrage
de Fanny Pigeaud, Le Cameroun de Paul
Biya (Karthala). Au point que le ministre
camerounais de la communication a
condamné le 12 octobre ce qu’il considère
comme des « dérives » de la presse
française, une « démarche concomitante,
qui s’apparente pour dire le moins, à une
conspiration
 ».

Hélas, la « conspiration »
a pris fin : dans l’Hexagone, personne ou
presque ne s’offusqua de cette réponse,
qui aurait pourtant dû connaître le même
succès que celle de Michèle Alliot-Marie
proposant d’aider le régime de Ben Ali.

Car comme pour la Tunisie, les relations
de la France avec le régime camerounais
reposent sur une coopération policière
et militaire qui permet d’y préserver
les intérêts économiques et stratégiques
français. Le ministère des Affaires
étran­gères français affiche d’ailleurs
fièrement que « le Cameroun est notre
premier partenaire dans le monde en
matière de coopération militaire
 », qui
s’élève à « près de 4 millions d’euros »
par an d’après le député UMP Michel
Terrot, et qui se maintient dans le cadre
du nouveau partenariat de défense.

Les Camerounais ne méritent pas la démocratie

Cette coopération comporte aussi un
volet important d’enseignement aux
techniques de maintien de l’ordre,
utile au cas où les Camerounais ne
se conformeraient pas à l’injonction
paternaliste d’Alain Juppé de se tenir
tranquille.

Au Cameroun, évidemment, la couleuvre
ne passa pas, et l’opposante Kah Walla,
candidate du CPP, s’interrogea dans le
quotidien Mutations du 13 octobre : « Le
peuple camerounais est-il moins méritant
de la démocratie que le peuple français ?
Je vois mal [en effet] les Français accepter
des élections où il y a eu des fraudes, où
l’on a surpris des gens avec plusieurs
cartes, où les bureaux de vote ont ouvert
largement après le délai légal. Je vois mal
le peuple français en train d’accepter une
élection où les urnes sont bourrées, où des
actes de violence verbale et physique sont
commis à l’encontre de citoyens qui n’ont
pas voté à 100% pour le chef de l’Etat
sortant, où les scrutateurs sont chassés
des bureaux de vote, où le dépouillement
se fait secrètement...
 ».

L’ambassadeur américain adopta une
position ambiguë, espérant sans doute
ménager la chèvre et le chou, en déclarant
avoir constaté des « problèmes dans le
processus électoral
 »... une déclaration
aussitôt dénoncée comme une ingérence
et une leçon de morale inacceptable
par le ministre camerounais de la
Communication : puisqu’on vous dit que
tout s’est très bien passé !

L’ambassadeur
de France, Bruno Gain, déclarait le
12 octobre au quotidien Mutations que la
France « prête attention aux aspirations
des populations, mais également aux
impératifs de moderniser le pays et
d’accentuer les reformes.
 » Accentuer
les réformes ? Cela veut dire continuer
une politique préexistante... pas de doute
que pour l’ambassadeur, Biya était déjà
réélu. Il n’y avait certes aucun suspense,
mais cette reconnaissance a priori en dit
long de l’idée que se fait la France de
l’alternance au Cameroun.

Le 21 octobre, la Cour suprême, qui
supplée un Conseil constitutionnel qui
n’existe que sur le papier, déclara Biya
vainqueur avec 77,99% des voix.

Le ministère des Affaires étrangères fit
mine d’infléchir la ligne française : la
reconnaissance immédiate du résultat,
mais en constatant « de nombreuses
défaillances et irrégularités
 » et en
souhaitant « que des mesures soient prises
pour que celles-ci ne se reproduisent
pas lors des scrutins (législatifs et
municipaux) de 2012
 »... des scrutins
bien moins médiatisés au niveau
international.

Le gouvernement français
envoie donc un signe d’encouragement
plutôt qu’une mise en garde : « Vous
ferez mieux la prochaine fois
 », en
somme, sachant que cette « prochaine
fois
 » pourra se dérouler dans un silence
médiatique bien confortable. Une fois de
plus, les autorités françaises renoncent
à honorer leurs fausses promesses de
changement : une hypocrisie de plus
quand, par ailleurs, en Syrie ou en
Libye, notre diplomatie n’a que le mot
démocratie à la bouche.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 207 - novembre 2011
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi