Survie

Accord PS-EELV : la fin de quelle Françafrique ?

(mis en ligne le 13 décembre 2011) - Juliette Poirson, Mathieu Lopes

Le « contrat de mandature » en cas de victoire de la gauche à la présidentielle de 2012 qu’ont signé le Parti socialiste et Europe Écologie – Les Verts (EELV) le 15 novembre dernier promet de « mettr[e] fin aux pratiques de la “Françafrique" ». Si plusieurs points de cet accord indiquent une volonté d’épuration de la vie politique française allant dans ce sens, d’autres aspects du texte laissent planer certaines ombres.

A
u-delà de la revendication
de l’héritage de Mitterrand
affichée par bon nombre de
dirigeants socialistes, il convient aussi
de confronter cette bonne volonté
affichée aux actes posés par les élu-e-s
du PS ces dernières années. En effet, le
déroulement de la négociation montre
bien que c’est le Parti socialiste qui a
pesé le plus dans cet accord.
Le contrat de mandature liste effec­
tivement différentes réformes visant à
plus de transparence et de séparation
des pouvoirs. Deux principes dont le
manque a toujours caractérisé la cin­
quième république, assurant l’opacité et
l’impunité des pratiques françafricaines.
Ainsi, le contrôle parlementaire sur
l’action du gouvernement devrait
être accru et le rôle du président
diminué, notamment en matière de
politique international : « Les choix
diplomatiques et militaires y seront
effectivement débattus et décidés. » et
« les pouvoirs excessifs du président
de la République seront réduits ou
encadrés : [...] limitation de son
pouvoir de nominations ». Si la
réforme constitutionnelle de 2008
a légèrement déprésidentialisé les
questions militaires, en imposant un
avis du parlement au bout de quatre
mois d’opération, le déclenchement
des opérations extérieures (Opex)
reste en effet le privilège exclusif de
l’Élysée. Promettant de mettre fin à une
autre particularité française, l’accord
annonce aussi le renforcement du
« contrôle parlementaire des services
de renseignement [et] l’encadrement
des sociétés privées de sécurité ».
En outre, le contrat prévoit une
« réforme visant à rendre aux magistrats
leur indépendance
 » qui s’attaque à la
forte dépendance du parquet, dont le
comportement a favorisé l’impunité
ou le ralentissement de nombreuses
affaires françafricaines : assassinat
du juge Borrel, affaire des « disparus
du Beach
 », plaintes contre l’armée
française au Tribunal aux armées
de Paris pour l’opération Turquoise
au Rwanda, affaire des « biens mal
acquis » [1].

Des perspectives séduisantes

Une loi contre la concentration des
médias serait aussi mise en œuvre, avec
des « moyens de réduire la dépendance
des médias à la commande publique
 »,
ouvrant une perspective séduisante alors
que bon nombre d’organes de presse
sont aux mains d’entreprises du secteur
de l’armement ou ont d’importantes
activités en Afrique, tout en ayant
des liens importants avec l’exécutif
français [2].

Dans le prolongement de l’engagement
de nombreuses régions françaises,
souvent sous l’impulsion des élu-e-s écologistes, l’accord électoral
se place sous le signe de la « lutte
acharnée contre les paradis fiscaux et
l’interdiction des fonds spéculatifs
 » :
abolition du secret bancaire ou encore
la proscription par la zone Euro des
« liens de ses établissements bancaires
et financiers avec les paradis fiscaux
 ».
En cas de victoire des socialistes
et des écologistes les rouages de la
corruption, des barbouzeries et du
pillage des matières premières que sont
ces montages opaques auraient donc a
priori du souci à se faire.

Côté français et européen, le projet
commun défini par l’accord électoral
PS-EELV promet donc des atteintes
encourageantes à certains socles
du système françafricain. Mais la
continuité de l’entreprise coloniale doit
se déconstruire aussi sur le plan de la
politique extérieure.

« Tournons la page du funeste discours de Dakar prononcé par le président
sortant !
 ». C’est l’affirmation qui
ponctue l’annonce des orientations
voulues pour la politique internationale
de l’Europe, placée martialement dans
une perspective de « stratégie offensive
et défensive dans la mondialisation
 ».

Un gouvernement PS/EELV ferait
« du renforcement des liens avec
l’Afrique une priorité : les deux rives
de la Méditerranée ont vocation
à relever ensemble les défis de la
sécurité alimentaire, du changement
climatique, de l’accès à l’eau, de la
transition énergétique, des migrations,
de la défense des libertés et des
droits
 ». On ne peut pas vraiment dire
que la France ait pêché par manque de
lien avec ses anciennes colonies après
les indépendances, bien au contraire.

Quelques contradictions

Si la défense des libertés et des droits
est invoquée pour qualifier ces liens,
plusieurs passages de l’accord peuvent
contredire cette bonne volonté.

Alors
que l’Organisation internationale de
la francophonie n’est en réalité qu’un
outil d’influence pour la France, servant
trop souvent à apporter une caution à
des élections truquées par ses missions
d’observation [3], ayant même des velléités
sur le plan militaire [4], l’accord promet
de redonner « à la Francophonie les
égards et les moyens qu’elle mérite
 ».
Plutôt qu’une réorientation, c’est plus
un vernissage qui semble se dessiner
pour l’OIF.

Quant à la présence militaire sur le
continent, plutôt qu’un retrait de
l’armée française, le pacte continue
à la légitimer par la lutte « contre
les origines du terrorisme au Sahel
ou dans le Golfe
 », et prévoit même
déjà des « interventions dans le droit
international, le respect des résolutions
de l’ONU, la protection des populations
civiles et de nos ressortissants à
l’étranger
 ». Dans le respect du droit,
certes - encore heureux - mais des
interventions, tout de même...

Enfin, les signataires s’engagent à porter
« l’aide publique au développement
à 1 % du PIB d’ici à la fin de la
législature
 », niveau qui n’a jamais
été atteint, mais malheureusement sans
s’intéresser au devenir de cette aide,
pourtant sujette aux détournements, sans
non plus s’interroger sur son essence
une aide seulement marginalement
ciblée sur le bénéfice des populations
et aidant surtout nos propres intérêts.

Par ailleurs, on cherchera, en vain,
toute mention au franc CFA et au vol
de souveraineté qu’il constitue. Grande
absente du texte, aussi, la coopération
militaire et policière, qui permet à bon
nombre de gouvernements autoritaires
d’Afrique de se maintenir au pouvoir en
écrasant par la force toute opposition.
L’actualité en Afrique du Nord a
pourtant permis de mettre le sujet sur
la table des électeurs.

Mettre fin à la Françafrique, pourquoi ? Parce que « pour être écouté, il faut être exemplaire »

La justification de ce slogan donne à
s’interroger. Ce n’est pas parce que la
Françafrique est criminelle qu’il faudrait
y mettre fin, mais parce qu’elle crée un
déficit d’image.

Présentation de l’équipe de campagne de François Hollande

Il n’y a pas dans l’accord de volonté
profonde de réformer la politique
énergétique et commerciale de la
France, à la fois pilier et finalité de
la Françafrique. La conservation de
l’orientation nucléariste le montre.
C’est d’autant plus inquiétant que
l’épisode de l’intervention assumée
d’Areva en dit long sur l’oreille qu’elle
a auprès de « ses contacts ordinaires
au PS
 » - en l’occurrence, auprès de
Bernard Cazeneuve, un des porte-parole
de l’équipe de campagne de François
Hollande. Plus largement, il n’est pas
question de toucher à l’action des
multinationales et entreprises françaises
et européennes. Le respect des « normes
sanitaires, sociales et environnementales
en vigueur dans l’Union
 » est en effet
exigé pour « les entreprises et les pays
qui souhaitent vendre leurs productions
en Europe
 » comme un « principe de
réciprocité commerciale
 », donc dans
une optique de lutte contre la concurrence
déloyale avec l’industrie européenne.

On est loin de formulations érigeant
comme un principe d’intérêt général
le durcissement de la responsabilité
sociale et environnementale des filiales
d’entreprises françaises et européennes
hors d’Europe, alors même que les
conditions dans lesquelles elles pillent
l’Afrique ne sont un secret pour
personne.

Si quelques questions critiques au
gouvernement ont été soumises au
parlement [5] ces dernières années, les
élu-e-s socialistes n’ont pas fait preuve
d’une réelle volonté de rupture avec
ces « pratiques d’un autre temps »
auxquelles même Nicolas Sarkozy avait
promis de s’attaquer.

Le PS, dans son
ensemble, a soutenu l’intervention en Côte
d’Ivoire, a voté en faveur de celle en Libye,
même s’il s’est tout de même abstenu en
janvier 2009 lors du vote sur l’autorisation
de prolongation de cinq interventions
(notamment au Tchad, en Côte d’Ivoire et
en République centrafricaine), plus pour
des raisons de forme que de fond.

Enfin, certaines personnalités socialistes
se sont fendues récemment de déclarations
faisant peser le doute sur la réelle volonté
de rompre avec le soutien aux dictatures
françafricaines. Ainsi, le 13 janvier
dernier, en pleine révolution tunisienne,
Claude Bartolone, actuel chargé des
relations extérieures du candidat Hollande,
trouvait sur BFM TV quelques aspects
positifs à Ben Ali : « le président Ben Ali
avait réussi à présenter aux tunisiens
un compromis. Une marche plus lente
que les pays occidentaux en direction de
la liberté mais en échange l’éducation
assurée pour les garçons et pour les filles,
et l’association du peuple tunisien à un
développement économique
 ».

Plus grave encore, la promesse de Ségolène
Royal au Burkina Faso de Blaise Compaoré
le 25 novembre 2011 : « Le Burkina
peut compter sur moi dans sa volonté
de redorer son image à l’étranger
 ».
Après 24 ans d’un règne autoritaire, le
régime de Compaoré a très certainement
une mauvaise image. Plutôt que d’en
dénoncer les raisons, Royal choisit d’en
améliorer le maquillage.

Et c’est peut-être
malheureusement seulement ça la « fin
[des] pratiques de la Françafrique
 » qui
se dessine via l’accord PS-EELV : une
éclaircie – non négligeable – en France et
en Europe, mais une refonte cosmétique du soutien aux dictatures africaines.

Ségolène Royal et le président burkinabé Blaise Compaoré vendredi 25 novembre 2011

[1Voir le communiqué du Syndicat de la
magistrature du 29 octobre 2009 : Lettre ouverte
à ceux qui feignent de croire en l’indépendance
du parquet

[2Dassault ou le groupe Lagardère vendent
aussi bien des armes que des journaux ; le
groupe Bolloré, et son empire médiatique et
publicitaire (Direct Matin, Direct Soir, Direct
8, Havas, Euro-RSCG...) ainsi que le groupe
Bouygues, propriétaire de TF1, première
audience de France, réalisent un important
chiffre d’affaire dans les pays africains.

[4« La Francophonie, nouveau cheval de Troie
de l’influence militaire française ?
 », Pierre
Rohman, Billets d’Afrique de juin 2008

[5Notamment l’interpellation de Serge Janquin
à Alain Juppé concernant le soutien français
au régime de Paul Biya et plus généralement
la politique africaine de la France, lors de
la séance du 11 octobre 2011 à l’Assemblée
nationale.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 208 - décembre 2011
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