Survie

Deux grandes dames

(mis en ligne le 13 décembre 2011) - Odile Tobner

« Les gens admirables en qui
le système se personnifie
sont bien connus pour
n’être pas ce qu’ils sont ;
ils sont devenus grands en
descendant au-dessous de
la réalité de la moindre vie
individuelle.
 »

Guy Debord
La société du spectacle.

Deux grandes dames, une même sensibilité aux douleurs de ce triste monde : c’est
ce que révèle la photo de l’accueil de Danielle Mitterrand par Chantal Biya, le 1er
avril 2008, dans le salon oriental du Palais de la présidence du Cameroun, un mois
après que la répression de manifestations d’opposition eût fait 150 morts dans les
villes camerounaises. Pendant qu’on jugeait en masse les fauteurs de désordre, la
fête ne fut pas troublée.

Danielle Mitterrand par Chantal Biya, le 1er avril -008 au Palais de la présidence du Cameroun

C’est au titre de sa fondation France-Libertés que Danielle Mitterrand est alors au
Cameroun, celle-ci soutenant, paraît-il, la création à Douala d’une école d’ingénieurs
par un cadre d’Alcatel. Surtout, son combat pour l’accès à l’eau imposait sans
doute un passage par le palais de Biya, voie d’accès traditionnelle à toutes sortes
de liquide pour nos politiciens français.

Comme c’est commode ces fondations de premières dames, d’anciens présidents
et autres notabilités. A quoi servent-elles ? Le rapport de France-Libertés pour 2010
tient en six petites pages, photos incluses, pour un budget de 1 193 365 euros.
Mais foin de ces préoccupations bassement matérielles puisque, comme chacun
sait, ces fondations ne poursuivent qu’un but : le bien. La Fondation Chantal Biya
se consacre à la lutte contre le sida, quand France Libertés « défend activement
les Droits de l’homme
 ». Les médias ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, tous saluant
d’une seule voix l’intransigeante vertu de la grande conscience socialiste, l’intrépide
rebelle qui, faisant fi des périls, défendait avec un courage inouï la cause du peuple
tibétain et celle des Indiens du Chiapas.

Aux méchants, qui l’accusent d’avoir méprisé les exigences de la realpolitik, nous
opposons le démenti le plus ferme, et nous ajoutons le plus méprisant : on ne l’a
jamais vue au côté des opposants aux terribles dictatures installées depuis des
décennies en Afrique subsaharienne – demander la libération de Mandela après que
tout le show bizness anglosaxon se fut rallié à la cause anti-apartheid était bien le
moins de la part de notre première dame. Elle n’est pas allée jusqu’à exiger la vérité
sur l’assassinat, le 29 mars 1988, de Dulcie September, représentante de l’ANC à
Paris. On ne l’a jamais surprise à soutenir le peuple ogoni dans sa lutte contre les
compagnies pétrolières qui ravagent le delta du Niger, ni à se faire photographier
aux côtés de leur leader Ken Saro Wiwa ; on ne l’a jamais entendue s’élever contre
le pillage du Niger par Areva et l’empoisonnement des enfants touaregs par les
déchets de l’uranium, jamais elle ne se hasarda à « défendre activement les droits » des hommes qui ont le mauvais goût de vivre et de mourir dans les zones où la France a planté ses griffes. Demandez donc aux rescapés du génocide des Tutsi
en 1994 ce qu’ils pensent de notre rebelle nationale.

Bien loin de placer parfois son mari « dans des positions diplomatiques délicates »,
comme d’aucuns le prétendent, elle constituait au contraire un élément clé de sa
diplomatie. Pendant que Mitterrand père et fils soutiennent le régime génocidaire
du Rwanda, France libertés fait diversion en « dénonçant le sort tragique des
populations kurdes
 ».

N’est-ce pas au fond ce rôle-là surtout que partagent nos grandes dames ? Quand
ces messieurs repeignent l’Afrique en rouge sang, ces dames arpentent le trottoir
des bons sentiments où elles exhibent leur gros coeur dans de nobles causes
photogéniques et inoffensives.

Voilà pourquoi, faisant fi des censeurs, il faut oser affirmer qu’en ce 1er avril 2008, sur le canapé rouge du salon oriental de Mme Biya, Danielle Mitterrand était bien à sa place : l’ex-première dame de la Françafrique passant le flambeau à son émule.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 208 - décembre 2011
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