Survie

Revers pour Déby dans sa répression de l’opposition

rédigé le 9 mai 2012 (mis en ligne le 2 juillet 2012) - Lena Yello, Thomas Noirot

Le Tchad n’est pas
seulement un paradis pour
l’armée française : c’est
aussi un enfer pour les
opposants au régime. Alors
que le colonel Dassert vient
de le payer de sa vie, la
mobilisation en faveur du
député Gali a permis un coup
de théâtre dans le simulacre
de procès qui lui est intenté.

Le Tchadien Idriss Déby n’est certes pas
dans le premier cercle des dictateurs
proches de Nicolas Sarkozy ; il
n’en reste pas moins une pièce maîtresse
du puzzle françafricain. Son atout reste la
présence du millier de soldats français de
l’opération Epervier, au nom de laquelle une
base militaire française est maintenue dans
le pays depuis vingt-cinq ans sans même
qu’un accord entérine cette occupation. De
quoi pousser la France, notamment sous
l’impulsion de l’état-major, à passer l’éponge
sur les élans pro-kadhafistes de Déby il y a
un an : ces errements sont bel et bien oubliés,
et le dictateur a pu à nouveau recevoir
l’onction de légitimation républicaine du
« pays des Droits de l’homme » en étant
reçu à l’Elysée en mars dernier, juste avant
de présider à Marseille la séance d’ouverture
du Forum mondial de l’eau. Idriss Déby
s’inquiétant de la sécheresse au Sahel, c’est
aussi cynique qu’un Blaise Compaoré volant
au secours des cotonculteurs ouest-africains,
mais qu’importe, l’important est que ça
fasse une jolie photo et un symbole fort
pour les communicants de la politique et les
industriels de l’eau.

Cette communication est évidemment
aussi au service du despote, pour qui ce
regain de légitimité est propice à la poursuite
de la répression contre les opposants. Cette
persécution des adversaires du régime
n’est certes pas nouvelle, mais elle doit être
menée « en douceur » pour que Déby
puisse continuer à fréquenter les
salons de l’Elysée, car l’enlèvement
et l’assassinat du député Ibni Oumar
Mahamat Saleh en 2008 ne passe
toujours pas : la famille, les proches
et leurs soutiens continuent en effet
de réclamer du gouvernement français
qu’il fasse pression sur l’Etat tchadien
pour connaître la vérité et juger les
coupables.

Mort « naturelle » du colonel Dassert, prison pour Gali Ngothé Gatta

C’est donc une aubaine si le colonel Djibrine
Dassert, président du Mouvement pour la
paix, la reconstruction et le développement
(MPRD, un mouvement d’opposition
politico-militaire), est décédé le 16 avril
des suites de sa « maladie ». Peu de chances
en effet qu’on reproche à un dictateur le
mauvais état de santé d’un de ses opposant.
Sauf que celui-ci était sorti en janvier 2011
gravement malade des geôles tchadiennes,
dans lesquelles il avait été empoisonné,
à en croire son entourage. Puis, pendant
les longs mois d’alitement qui ont précédé
sa mort, Idriss Deby s’est constamment
refusé à lui accorder une sortie du territoire
lui permettant d’aller se faire soigner à
l’étranger, « en misant sur sa lente mais
certaine extinction
 », comme l’explique le
vice-président du MPRD.

Un autre opposant est actuellement victime
de la répression, là aussi sans que le pouvoir
soit officiellement impliqué, cette fois
au nom de l’indépendance de la justice
tchadienne. Il s’agit du député sudiste Gali
Ngothé Gatta, une personnalité tchadienne
qui s’est inscrit depuis des années pour le
dialogue et la concertation notamment entre
les communautés religieuses. Il est, depuis le
4 mars dernier, poursuivi dans une prétendue
affaire de braconnage. Un dossier clairement
monté de toutes pièces, comme l’ont montré
les témoignages lors de son procès, dont
l’unique but est de le décrédibiliser. C’est
une constante du régime d’Idriss Deby :
aucune tête ne doit dépasser.

Devant le palais de justice de Moundou, le député Gali Ngotgé Gata, vient d’être libéré. Poursuivi pour une supposée affaire de braconnage, il a bénéficié d’un ample soutien.

Mobilisation populaire et revers pour Déby

Mais l’artifice judiciaire n’a pas suffi : depuis
cette annonce, l’ensemble des leaders de la
société civile se mobilisent contre l’iniquité
de ce procès, à l’occasion duquel se fédère
aussi l’opposition politique. Le député Saleh
Kebzabo, président de l’Union nationale
pour la démocratie et le renouveau, lui
même menacé d’une suspension arbitraire
de son immunité parlementaire, s’est ainsi
également engagé aux côtés du député Gali
Ngothé Gatta, par ailleurs soutenu par une
bonne partie de la population de Moundou,
la grande ville du Sud où se déroule le procès.
La mobilisation populaire participe à la
dénonciation de l’irrégularité de ce procès.
Condamné à un an de prison en première
instance, Gali Ngothé a fait appel, risquant
pourtant jusqu’à 5 ans de prison, mais
permettant à la mobilisation de s’étendre.

Outre les prises de positions d’ONG
internationales, on peut d’ailleurs relever
celle du parti socialiste français, qui
compte dans ses rangs des soutiens actifs
des proches de l’opposant disparu d’Ibni
Oumar Mahamat Saleh, notamment l’ex-député Gaëtan Gorce, devenu sénateur de
la Nièvre. Mais c’est surtout à l’intérieur du
Tchad que cette affaire cristallise des prises
de position : un des magistrats de la cour a
ainsi démissionné le 17 avril pour contester
l’orientation politique donnée à l’affaire, et
l’Eglise a pris position contre les « dérives »
d’une justice dont l’indépendance serait
factice, l’archevêque de Ndjamena
déclarant : « Nous sommes en effet vivement
préoccupés par les pressions qui s’exercent
sur ceux qui ont pour mission de dire le
droit
 ».

Toutes ces mobilisations viennent de
remporter une victoire : le 24 avril, la cour
d’appel a annulé la condamnation de Gali
Ngothé Gatta, entraînant sa remise en liberté
immédiate. Reste à voir si le ministère
public tchadien se pourvoira en cassation,
pour sauver la face du régime... et obtenir
enfin la tête d’un opposant devenu encore
plus populaire.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 213 - mai 2012
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