Survie

Bashir Saleh, l’homme qui valait sept milliards

rédigé le 10 juin 2012 (mis en ligne le 1er août 2012) - David Mauger

Bashir Saleh, ce financier
libyen de Kadhafi que
protège le clan Sarkozy,
est réclamé par le Conseil
libyen. Au cœur des réseaux
de la Françafrique, cet ami
et intermédiaire richissime
avait pourtant ses entrées à
l’Elysée depuis 2003.

« Il est protégé par la France : un homme qui pèse 7 milliards de dollars peut s’acheter beaucoup de protection ».

Une déclaration sans
ambiguïté d’un membre du Conseil
national de transition (CNT) libyen
(Financial Times, 8 avril). Homme de
confiance de Kadhafi, il « blanchissait des
milliards de dollars en investissements et
servait d’intermédiaire entre le régime
libyen, l’Afrique et la France
 » (Ibidem).

Né au Niger, Bashir Saleh Bashir était
directeur du cabinet de Kadhafi depuis
1998. À sa création en 2006, il devient
directeur du Fonds d’investissement libyen
en Afrique (Lybia Africa Investment
Portfolio, LAP). Si son nom revient avec
insistance dans les colonnes d’une partie
de la presse française depuis un mois, on
s’étonne toutefois de n’avoir eu vent plus
tôt de ce personnage sulfureux.

Dès 2003 à l’Elysée....

Ses affaires en France et sa fréquentation des salons de l’Élysée remontent à l’ère
Chirac, après la renonciation libyenne, en 2003, aux « armes de destructions
massives
 ». L’année suivante, Bashir Saleh projette d’investir dans le secteur
de la communication. Sa cible : la radio Africa N°1 ainsi qu’un projet de télévision panafricaine, « 9.9.99 TV », dont la marraine, Calixthe Beyala, militait pour une meilleure représentativité des minorités à la télévision française.

Des accords de coopérations dans les domai­nes culturels, universitaires et fiscaux
sont aussi signés en 2004 et 2005. En juillet 2006, Bashir Saleh est en pourparlers avec le groupe EADS, qui envisage d’installer une filiale à Tripoli, pour acheter une vingtaine d’avions Airbus et des hélicoptères Tigre. Il est alors aussi question des
Rafales de Dassault. Patrick Ollier, compagnon de la ministre de la Défense de l’époque, Michèle Alliot-Marie, et président du groupe d’amitiés France-Libye de l’Assemblée nationale, apparaît comme un homme clé du rapprochement franco-libyen. À l’Élysée, c’est Maurice Gourdault-Montagne, conseiller diplomatique de Chirac, qui est l’interlocuteur de Bashir Saleh.

Collaboration élyséo-libyenne

Selon un document – contesté - publié par Mediapart (28 avril), au cours d’une réunion tenue le 6 octobre 2006 à laquelle participait Brice Hortefeux, Ziad Takieddine, Bashir Saleh et d’autres proches de Kadhafi, le chef des services
de sécurité extérieure libyens, Moussa Koussa – aujourd’hui réfugié au Qatar
–, demande à Bashir Saleh et son fonds LAP de financer à hauteur de 50 millions
d’euros la campagne électorale de Nicolas Sarkozy.

Voilà qui justifie le propos d’un diplomate « longtemps en poste à Tripoli » au sujet de Bashir Saleh : « C’était une sorte d’intendant général, il en savait plus que le patron de la Banque centrale libyenne sur les cadeaux faits aux amis étrangers. Si Kadhafi disait “il faut donner deux millions à Untel’’, c’est lui qui s’en
occupait.
 » (Le Canard Enchaîné, 4 avril).

Dans les semaines qui suivent l’élection de 2007, Kadhafi confirme au nouveau
président Sarkozy que Bashir Saleh doit être son interlocuteur pour les « questions
délicates
 » (Mediapart, 14 mai). Bashir Saleh est rapidement reçu à l’Élysée par
le nouveau secrétaire général, Claude Guéant, officiellement pour préparer la
libération des infirmières bulgares et le voyage de Sarkozy en Libye. Au cours
de ce déplacement libyen, en juillet, huit accords bilatéraux – publiés sur le
site de la diplomatie française – sont conclus, dont un memorandum relatif à
la « production d’énergie nucléaire et de
dessalement de l’eau
 » et à « l’utilisation
pacifique de l’énergie atomique
 »,
ainsi qu’un accord de défense ouvrant
notamment la possibilité de « manœuvres
militaires conjointes
 », la « coopération
dans l’entraînement des forces spéciales
 »
et, bien sûr, « l’acquisition de différents
matériels et systèmes de défense
 ».

En août et jusqu’en décembre 2007,
Bashir Saleh et Guéant se rencontrent
pour préparer de nouveaux contrats ainsi
que la fameuse visite de Kadhafi à Paris.
De 2007 à la chute de Khadafi, l’opposant
toubou Jomode Elie Getty, dont l’ONG
Tibesti avait porté plainte contre Kadhafi
devant la Cour pénale internationale en
2009 pour avoir disséminé des mines
au nord du Tchad, se plaint d’avoir été
étroitement surveillé par les services
libyens, en collaboration avec les autorités
françaises (Médiapart, 11 avril).

En juin
2007, pour les anciens services libyens, « il
faut demander à Bashir Saleh d’acheter
des systèmes d’écoutes sophistiqués afin
de surveiller [Jomode Elie Getty et son
groupe d’opposants], étant donné qu’il
a des relations en France
 ». Sans doute
à verser au dossier Amesys (Lire Billets
d’Afrique n°207).

Au cours de l’été
2008, l’Élysée fait pression sur la sous-
préfecture de Gex pour que la femme de
Bashir Saleh, libanaise, soit rapidement
naturalisée, alors même qu’elle ne remplit
pas les conditions requises (Mediapart,
16 mai). Madame habite à une poignée
de kilomètres des bureaux de la filiale
suisse de LAP et du secteur français de
l’aéroport de Genève – fréquenté par
d’autres intermédiaires sulfureux comme
Ziad Takkiedine (Le Point, 25 avril).

À la même époque, Bashir Saleh semble
marginalisé dans l’entourage du guide libyen
et une grande partie des promesses d’achats
de Kadhafi s’envolent. À noter tout de même,
en juillet 2008, la signature d’un accord
stratégique entre LAP et Progosa – la rivale
chiraquienne de Bolloré (Billets d’Afrique
n°181 et 182) – pour le développement de
ports secs dans les pays sahéliens (Lettre du
Continent, 17 juillet 2008).

Saleh exfiltré par la France

En mai 2009, selon la Lettre de l’Océan
indien (23 mai 2009), tandis que la
ligne officielle de Paris comme celle
de l’ensemble de la communauté
internationale consiste à condamner le
renversement du président malgache
Marc Ravalomanana, c’est encore par le
biais de Bashir Saleh que Guéant parvient
à convaincre Kaddhafi de recevoir le
président de la Haute autorité de transition
malgache, Andry Rajoelina. Kadhafi
dépêche un avion spécial pour faire venir
Rajoelina et ses conseillers français, dont
Patrick Leloup (Billets d’Afrique n°199),
en Libye.

Quelques jours plus tard,
depuis son exil sud-africain, le président
malgache renversé accusera la France
d’être à l’origine du coup d’état.

Bashir Saleh revient sur le devant de la
scène franco-libyenne pendant la guerre
de 2011. En juin, Sarkozy le reçoit
discrètement (Le Figaro, 29 juin 2011).
En août, c’est au tour de Dominique
de Villepin, accompagné d’un autre
intermédiaire célèbre, Alexandre Djouhri,
de rencontrer Bashir Saleh à Djerba, en
Tunisie. Le ministre libyen du pétrole,
Choukri Ghanem, qui a fui la Libye
pendant le printemps et qui assiste à la
rencontre sera retrouvé mort à Vienne le
29 avril dernier, noyé dans le Danube.

Toujours au mois d’août, se tient le
procès pour esclavage domestique, de
l’épouse franco-libanaise de Bashir
Saleh. Elle sera condamnée le 25 avril, en
première instance, à deux ans de prison
avec sursis, 70 000 euros d’amende et
42 400 euros de dommages et intérêts.

Saleh, seul immigré accueilli à bras ouvert par Claude Guéant

En novembre, les forces spéciales
françaises ont, avec l’accord du CNT
libyen qui le détenait, exfiltré Bashir Saleh
de Tripoli vers l’ambassade de France
à Tunis (Maghreb Confidentiel, 3 mai).
Claude Guéant l’a ensuite « accueilli
à bras ouvert
 » en France. Au mois de
mars dernier, en marge d’une conférence
régionale sur la sécurité transfrontalière à
Tripoli, un officiel de l’armée nigérienne
déclare que son pays a délivré, « sur conseil
et sous pression d’un pays européen
 »,
un passeport diplomatique à Bashir
Saleh. En guise de « pays européen »,
Le Canard Enchaîné (18 avril) pointe du
doigt « les réseaux de la Françafrique ».
Son passeport diplomatique, qui porte la
mention « Conseiller à la Présidence de la
République du Niger »
, lui aurait ensuite été
retiré.

Au mois de mars toujours, le CNT change son fusil d’épaule et fait publier une notice rouge d’Interpol à l’encontre de Bashir Saleh pour « fraude ». Mais début mai, Bashir Saleh rencontre à nouveau Villepin et Djourhi, cette fois-ci à Paris, à l’hôtel Ritz et fait publier sa photo dans Paris Match (2 mai), pour bien montrer qu’il n’est pas en fuite. Depuis, Sarkozy a perdu les élections, certains situent Bashir Saleh à Bamako, puis Dakar... Les réseaux qui le protège jouent de nouveau la discrétion. Qui a dit que la Françafrique était moribonde ?

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 214 - juin 2012
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