Survie

Côte-d’Ivoire : détention de Michel Gbagbo

rédigé le 10 juin 2012 (mis en ligne le 1er août 2012) - Billets d’Afrique et d’ailleurs...

La situation des détenus politiques en Côte d’Ivoire est un sujet quasi totalement occulté dans les médias français. C’est peu de dire qu’elle se trouve hors de tout respect des droits humains. Elle constitue un crime à l’égard de personnes contre lesquelles aucune charge sérieuse n’est établie. En attendant qu’on puisse fabriquer des dossiers ces personnes sont maintenues au secret, soumises à des traitements dégradants, livrées à l’arbitraire de geôliers authentiques criminels, jouissant d’une totale impunité.

Parmi ces prisonniers victimes de la force et de l’arbitraire se trouve Michel Gbagbo,
fils du président Laurent Gbagbo et de sa première épouse, française, Mme Chamois.
Capturé alors qu’il se trouvait près de son père dans l’assaut soutenu par les forces
françaises, contre la résidence présidentielle, maltraité déjà lors de sa capture, il a été détenu pendant des mois dans la sinistre prison de Bouna, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, tout comme Pascal Affi N’guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI).

Évacué en mars dernier vers un hôpital d’Abidjan, dans un état alarmant après une
piqûre de scorpion en janvier, Michel Gbagbo reste maintenu au secret, sans contact avec sa famille ou ses avocats. Ce professeur de psychologie à l’université d’Abidjan, né en 1969 à Lyon d’une mère française aurait dû bénéficier depuis longtemps de la protection active de la diplomatie française.

Un comité de soutien s’est formé autour de sa mère et a tenu le jeudi 31 mai une conférence de presse à Paris pour exiger son évacuation urgente. Mme Chamois a lu un passage d’une lettre du 25 mai aux nouvelles autorités françaises, adressée en premier lieu au président Hollande et au ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius :

« (...) mon fils a été transféré le 7 mars 2012 à Abidjan, pour une hospitalisation à la polyclinique internationale Sainte Anne-Marie où il séjourne encore actuellement. Dans cet hôpital, mon fils est gardé par des hommes en armes qui lui interdisent tout contact avec ses avocats et sa famille et ceci, nonobstant l’autorisation de visite donnée par le juge d’instruction.

Du 11 avril 2011 et jusqu’au mois d’août 2011, donc pendant quatre mois, mon fils a été détenu en dehors de tout cadre légal. Du fait de la présence incontrôlée de divers groupes armés, l’insécurité va en s’aggravant en Côte d’Ivoire et constitue une menace pour mon fils, déjà fortement éprouvé par les conditions de son arrestation et de sa détention.

C’est pourquoi je réitère le souhait de voir le gouvernement français œuvrer
en vue d’obtenir pour lui un rapatriement sanitaire et humanitaire en France. »

Me Habiba Touré a précisé qu’il y a environ un an, les autorités ivoiriennes avaient justifié la situation par une mesure « d’assignation à résidence » à l’encontre des proches de Laurent Gbagbo. Mais, contrairement à ce que prévoit la loi, aucun décret n’officialisait cette mesure. La cour de justice de la CEDEAO ayant été saisie de cette atteinte au droit, les autorités ivoiriennes ont fini, après quatre mois d’isolement de ces personnes, par les inculper – indistinctement ! – « d’atteinte à
la défense nationale, attentat contre l’autorité de l’État, constitution et participation
à une bande armée, participation à un mouvement insurrectionnel, atteinte à
l’ordre public, coalition de fonctionnaires, rébellion, usurpation de fonction, tribalisme, xénophobie et complicité de toutes ces infractions
 », rapporte Me Touré.

Au premier dépôt de plainte en France sur la situation que subit Michel Gbagbo, le procureur avait botté en touche : certes Michel Gbagbo est français, mais c’est un « agent d’un État étranger » - sic - et la coutume internationale oblige à classer la plainte sans suite.

Après ce refus, Me Touré a annoncé son intention de déposer plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction.
On passe de la coutume internationale au local avec la réponse du ministère des Affaires étrangères de Juppé, alerté sur le même sujet : « Une visite lui a été rendue le 19 septembre dernier par un agent du consulat général de France afin de s’assurer de ses conditions de détention. Elles sont apparues conformes aux normes locales – sic –, son état de santé est satisfaisant. »

La protection consulaire due aux res­sortissants français s’est donc limitée au strict minimum : deux visites en un an. Pour le reste, les autorités politiques et judiciaires
ont fermé les yeux.

Pourtant, pour Me Touré, « à l’heure actuelle, les autorités judiciaires ivoi­riennes ne sont pas indépendantes », « le judiciaire est soumis au politique et Michel Gbagbo constitue, comme bien d’autres, une monnaie d’échange aux yeux du régime Ouattara », « les juges d’instruction n’ont pas véritablement de fonction », « depuis
un an [que Michel Gbagbo est détenu], il n’y a eu aucun autre acte d’instruction, le
dossier est vide.
 »

Il reste que l’ONUCI, le gouvernement français et les organisations des droits de l’homme devraient s’inquiéter du sort de tous les prisonniers politiques
détenus en Côte d’Ivoire depuis plus d’un an à Bouna, à Katiola, à Khorogo, à Odienné.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 214 - juin 2012
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