Survie

Areva hors la loi à Imouraren

rédigé le 3 septembre 2012 (mis en ligne le 2 novembre 2012) - Alice Primo

Tandis qu’Arnaud
Montebourg déclenche la
polémique en déclarant que
le nucléaire est « une filière
d’avenir
 », les Nigériens
tentent de défendre leur
propre futur face à Areva,
accusé de ne pas respecter
la réglementation locale.

Le 21 août, des travailleurs de la Société
des mines de l’Aïr (Somaïr), une des
deux filiales d’Areva qui exploitent
actuellement l’uranium dans la région d’Arlit,
ont « spontanément » cessé le travail et
bloqué des camions sur la mine de 5h à midi,
« pour rappeler des engagements d’Areva au
sujet de revendications salariales
 », selon un
représentant syndical cité par l’AFP.

Que ce
soit pour les travailleurs ou pour la population
locale, Areva-Niger a une conception bien
particulière du dialogue social, à en croire les
organisations de la société civile qui avaient
organisé une marche de protestation à Arlit le
9 juin dernier : « Depuis plus de deux ans que
nous avons accepté la création du dialogue de
concertation avec le groupe AREVA, aucune
avancée significative sur la prise en compte de
nos préoccupations n’a été constatée
 ».

Contamination gagnant-gagnant

Leur déclaration commune est sans appel :

« Aujourd’hui, les directions des filiales
du groupe AREVA gèrent la population
comme des prisonniers, en décidant
qui va être déguerpi manu militari, qui
va avoir de l’eau le matin ou le soir ou
pas du tout, qui va être soigné ou qui va
mourir et quand. (...) Pendant que les
Nigériens sont dans cette situation décrite
plus haut à laquelle s’ajoute la famine,
Areva consacre des moyens colossaux
à l’organisation des meetings sportifs
en France, le sponsor des clubs de foot
à Nuremberg en Allemagne à hauteur
du milliard, des voyages de tromperies
de journalistes nigériens sont organisés
à Arlit pour renforcer la propagande et
faire valoir la participation ridicule au
développement durable ».

Deux jours après cette marche, le
président nigérien Mahamadou Issoufou
était justement reçu à l’Élysée par
François Hollande, ravi de s’afficher un chef d’État démocratiquement élu. A
l’issue du rendez-vous, tandis que son
homologue avait vanté « l’esprit gagnant-gagnant » de la relation franco-nigérienne,
Hollande s’était prononcé en faveur d’une
accélération de l’exploitation de l’uranium
nigérien, en dépit des alertes nombreuses
sur la contamination de la région d’Arlit
par Areva : « Il y a cette mine d’Imouraren
prévue en exploitation en 2014, si ça peut
aller plus vite nous y sommes favorables
 ».

Rappelons qu’il s’agit de la mine pour
laquelle Areva avait obtenu le contrat
d’exploitation en pleine préparation du
putsch institutionnel orchestré par le
précédent président nigérien en 2009 ;
un marché qui n’a jamais été remis en
question par les gouvernements successifs.
« Le plus grand projet industriel jamais
envisagé au Niger
 », comme s’en vante
Areva : « Imouraren est la mine d’uranium
la plus importante de toute l’Afrique et la
deuxième du monde. (...) Le démarrage
de sa production (...) permettra au Niger
de doubler sa production actuelle et de
se placer au deuxième rang mondial des
pays producteurs d’uranium
 ».

Le gisement, qui doit être exploité à
ciel ouvert, s’étend selon le groupe sur
8 km de long et 2,5 de large, mais à
une profondeur d’environ 130 m, ce qui
implique que toute la roche au-dessus
devra être préalablement retirée.

Or, depuis le 28 août, la Commission
de
recherche
et
d’information
indépendantes sur la radioactivité
(CRIIRAD) et l’ONG nigérienne de
protection de l’environnement Aghir
In’Man demandent la révision de
l’étude d’impacts que le groupe Areva
avait fournie pour remporter ce contrat
d’exploitation face à ses concurrents.
L’entreprise a tout simplement modifié
son projet (ou délibérément menti
dans l’étude d’impacts ?) et est passée
outre certaines dispositions légales
qui rendent désormais son étude tout
simplement invalide.

Les étranges « imprécisions » de l’étude d’impacts

L’exploitation de l’uranium consiste à
broyer des millions de mètres cubes de
roche et à les traiter avec des produits
chimiques permettant d’en extraire le
minerai, sous forme d’uranate (« yellow
cake
 ») afin de l’exporter vers la
France où il subira les autres étapes de
traitement et d’enrichissement. Après
avoir prévu le recours à deux techniques,
la lixiviation dynamique (pour 58% du
minerai produit) et la lixiviation en
tas (pour 42%), la firme a finalement
annoncé, en décembre dernier, qu’elle
traiterait l’ensemble du minerai par
la technique de « lixiviation en tas ».

Qu’importe si l’étude d’impacts n’en
tient pas compte : finalement, l’impact,
on s’en tamponne ?

La loi s’impose à tous... sauf à Areva

Plus grave : en plein désert, puisque le
process industriel nécessite beaucoup
d’eau (12 à 13 millions de m3 par an
selon Areva, qui seront prélevés dans
une nappe fossile très profonde, qui
ne se recharge presque pas), l’étude
d’impacts table uniquement sur « un
assèchement local des nappes
 » de deux
sites « dans l’environnement proche en
fin d’exploitation
 ». Seulement voilà,
maintenant qu’Areva a commencé à
pomper d’autres nappes souterraines
qui empêchent l’accès au précieux
minerai situé en-dessous d’elle, une
opération qu’elle appelle simplement
le « dénoyage » du site, les populations
locales constatent l’assèchement de
puits traditionnels dans les environs, du
jamais vu dans cette région de mémoire
de Touareg. Ce « détail » semble avoir
échappé à l’étude d’impacts...

Autre nouveauté pour les populations
locales : alors que l’étude d’impacts n’en
disait rien, Areva annonce désormais la
création d’un périmètre « sanitaire » de
450 km2 autour du complexe industriel
d’Imouraren, qui doit déjà couvrir 200
km2 : une zone subitement interdite
au bétail comme aux populations,
qui devront se passer de ces espaces
pastoraux et éviter de venir réaliser
des mesures de radioactivité sans les
précieuses autorisations de la firme...

A l’occasion d’une conférence de
presse d’Aghir In’Man à Niamey le 1er
septembre, les deux ONG ont publié
un nouveau communiqué de presse qui
prend à nouveau en défaut Areva... et
l’État nigérien. En effet, les autorités
nigériennes ont dûment délivré, en
juillet 2008, le Certificat de conformité
environnementale
pour
l’étude
fournie par Areva. Le hic, c’est que
l’Annexe P du rapport, qui concerne le
dimensionnement et la faisabilité des
aires de stockage de résidus radioactifs
et des bassins d’évaporation, est
entièrement en anglais.

Où est le
problème, puisqu’au Niger comme
ailleurs, les personnes capables de lire
et comprendre l’anglais ne manquent
pas ? Sauf que cela ne facilite pas une
appropriation et une compréhension
par les personnes directement concer­nées, en particulier en zone rurale...

C’est sans doute l’esprit d’un décret
présidentiel du 20 octobre 2000,
sur la procédure administrative
d’évaluation et d’examen des impacts
sur l’environnement, qui impose que
« le Rapport de l’Etude d’Impacts
sur l’Environnement (REIE) et les
autres documents annexés doivent être
entièrement rédigés en français. (...)
Tout rapport d’une EIE, qui ne satisfait
pas aux dispositions des articles 7 et
8 ci-dessus est purement et simplement
rejeté
 ».

Choix cornélien : soit l’étude
d’impacts est toujours considérée
comme valide, et l’État nigérien viole sa
propre réglementation, soit il revoit sa
copie et rejette enfin le rapport accepté
en 2008, mettant Areva en situation
illégale si elle continue à préparer
l’exploitation du site d’Imouraren.
Areva hors la loi à Imouraren, ça
ne serait pas la première fois, à en
croire ses employés qui s’étaient mis
en grève sur ce site en avril dernier,
pour dénoncer des violations de la
réglementation du travail au Niger, se
plaignant notamment qu’on leur impose
des journées de 12 heures.

A l’époque, la direction d’Areva avait
voulu faire passer ces ingrats pour
des ennemis du développement, en
annonçant qu’avec de tels mouvements
de grève il serait difficile de tenir
les délais de mise en exploitation du
gisement. Aujourd’hui, ces deux ONG
réclament justement un report
, et surtout
une étude d’impacts sincère et soumise
à des contre-expertises fiables.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 216 - septembre 2012
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