Survie

Franc CFA, la grande mystification

rédigé le 7 novembre 2012 (mis en ligne le 7 janvier 2013) - Odile Tobner

On peut mesurer les
enjeux impériaux qui
gravitent autour du
franc CFA à l’ampleur
des mensonges qui se
déploient effrontément
dans les discours
officiels et à l’importance
des omissions, bien plus
difficiles à cerner, dans
ces mêmes discours.

Célébrer en grande pompe le
quarantième anniversaire
d’une réalité qui a soixante-
dix ans : aucune vieille haridelle,
usée sur les planches, n’aurait osé se
refaire ainsi une virginité.
La palme du mensonge revient sans
doute à Pierre Moscovici qui affirme,
dans une interview à Jeune Afrique
le 4 octobre : « Si on fait le bilan des
accords monétaires des zones franc,
on constate qu’il n’y a pas de tutelle
de la France. Ce sont des monnaies
souveraines. » Dans le style plus
c’est gros plus ça passe il n’y a que
Jeune Afrique pour oser relayer, sans
réaction, une telle énormité.

Plus sournois, on trouve, sur le site
du ministère de l’Economie tout un
dossier consacré à ce « quarantième
anniversaire
 »
.

Ce dossier est d’un jésuitisme
consommé.Un petit article intitulé
« autres exemples de coopération
monétaire
 »
tend à faire croire, de
façon mensongère, qu’il y aurait une
zone sterling ou une zone escudo
analogue à la zone franc. Or elles
n’ont pas grand chose de commun.
Il s’agit, dans ces zones, de simples
accords de change fixe. Aucun mot
n’est dit sur les nettes différences
qui changent tout. Tchoundjang
Pouemi, en 1980, distinguait déjà
une monnaie coloniale, le franc
CFA, et une « monnaie satellite »,
avec un taux de change fixe, qui
nuisait à l’indépendance monétaire
des pays mais ne l’obérait pas
totalement.

Peut-on
comparer
d’ailleurs des pays minuscules,
comme le Cap-Vert et Sao-Tomé
et Principe, dont la monnaie reste
arrimée à celle du Portugal – alors
que les grands pays lusophones que
sont le Mozambique et l’Angola ont
depuis longtemps une entière indépendance
monétaire – avec les 14 pays africains,
dont certains pourraient être de vrais
leaders régionaux, toujours assujettis
au CFA. Quant à la zone sterling, il
y a belle lurette qu’elle n’existe plus,
même si les monnaies du Kenya ou
du Ghana ont eu quelque temps un
taux de change fixe avec la livre dans
les années soixante-dix.

Autre mensonge : écrire, dans le
chapitre « Histoire », « L’accession
des anciennes colonies françaises à
l’indépendance est rapidement suivie
de la signature d’accords bilatéraux
de coopération monétaire entre la France
et ses anciennes colonies. Celles-ci
demeurent néanmoins libres d’émettre leur
propre monnaie, et de quitter ainsi la Zone
franc, tout en maintenant une coopération
monétaire avec la France
 ».

On sait, depuis
le témoignage de Maurice Robert, chef du
service Afrique au SDECE de 1958 à 1968,
qui a confirmé le fait puisqu’il en a été
l’ordonnateur, que les services français, ont
inondé la Guinée, après son indépendance,
de faux billets de sa monnaie nouvellement
créée pour couler avec succès son
économie. Bel avertissement pour ceux qui
désireraient profiter de leur « liberté », tel le
Togolais Sylvanus Olympio, assassiné au
moment où il allait quitter la zone CFA.

Le mythe du franc CFA bienfaisant

Mais le plus gros mensonge, martelé à
longueur de discours, est le fait que le franc
CFA, tout comme la colonisation qui lui a
donné son nom, serait « bienfaisant » pour
les pays africains. C’est toute la substance
du discours de Ouattara qui est un long
panégyrique du CFA, conclu par de vibrants
remerciements de l’obligé à la puissance
tutélaire. Il omet de préciser qu’il a été un
grand artisan de la dévaluation de 1994,
chargé de persuader de son bien-fondé
tous les présidents africains unanimement
hostiles. Il s’agit, dans tous ces discours,
d’une inversion totale de la réalité.

Le franc CFA n’existe et n’est bienfaisant
que pour la France. Jamais on ne parle de
l’intérêt de la France. Pourquoi le cacher ?
Il est pourtant multiple : rapatriement des
bénéfices de ses entreprises, achat des
matières premières dans sa propre monnaie,
fixation d’une clientèle captive pour ses
productions. Tout cela est très concret.

Les avantages des Africains sont
théoriques. La « garantie illimitée » est une
pure hypothèse d’école. La France garantit
les achats en cas de manque de devises de
l’acheteur, mais, comme les devises de
l’acheteur sont dans le trésor français, cela
ne peut pas se produire. Les Africains paient
donc de la perte de leur indépendance un
avantage qu’ils se procurent seuls à eux-
mêmes.

Le chef-d’œuvre de Camdessus

On a vu, avec la dévaluation de 1994 ce
qu’il en est des changes fixes et comment la
France s’assoit dessus quand ça lui chante.
Tant pis pour les dégâts. Imagine-t-on les
Français avec, du jour au lendemain, deux
fois moins de pouvoir d’achat ? Ce serait
l’explosion sociale. Le motif prétendu,
doper les ventes des pays africains, est aussi
mystificateur.

Ce serait le cas si les pays africains étaient
des pays industrialisés. Leurs produits
pourraient concurrencer d’autres produits.
Cela protègerait l’emploi. Or ces pays
n’exportent pratiquement que des matières
premières. Ils n’ont guère de concurrents.
Leur intérêt est de vendre leurs matières
premières le plus cher possible.

Le discours de Camdessus, au colloque,
sur ce qu’il nomme pudiquement « le
réalignement monétaire de janvier 1994
 »,
est un chef-d’œuvre d’enfumage par un
« expert ». Il assène le seul argument
de la « croissance », qui ne mesure que
la croissance en effet du volume des
matières premières exportées, seule activité
économique de ces pays. Ce qui croît ce
sont les bénéfices des multinationales
mais absolument pas le niveau de vie
des populations. C’est la croissance sans
développement, phénomène qui affecte
principalement les pays africains de la zone
franc, et sur lequel on se garde bien de faire
le moindre colloque.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 218 - novembre 2012
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