Survie

Premier ou dernier pas d’une reconnaissance des crimes de la colonisation ?

rédigé le 7 novembre 2012 (mis en ligne le 7 janvier 2013) - Henri Pouillot

Henri Pouillot a été affecté
de juin 1961 à mars 1962
à la Villa Susini à Alger,
le centre de torture de
l’armée française. Témoin
privilégié de la guerre
d’Algérie et des méthodes
de l’armée française, il
se félicite des récentes
déclarations de François
Hollande à propos du
massacre du 17 octobre
1961 tout en déplorant
les signaux favorables
lancés aux nostalgiques de
l’Algérie française.

« Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le
droit à l’indépendance ont été tués
lors d’une sanglante répression. La
République reconnaît avec lucidité
ces faits. Cinquante et un ans après
cette tragédie, je rends hommage à la
mémoire des victimes.
 »

La déclaration de François Hollande
(AFP, 17 octobre) est importante puis­
qu’il y a un premier pas de franchi :
la reconnaissance de la responsabilité
de la République française. Les
termes restent cependant en dessous
de la nécessité puisqu’il s’agit d’un
crime d’état.

Sans bouder ce geste
présidentiel tant attendu, on peut noter
que l’Elysée s’est exprimé par une
simple déclaration à l’AFP, refusant de
recevoir une délégation du « Collectif
du 17 octobre
 ». La communication ne
s’est pas faite depuis un lieu symbolique
et avec cérémonie, ce qui montre que
Hollande a sans doute estimé que ce pas
était suffisant sur un sujet si sensible
alors que de nombreuses organisations
et personnalités, des parlementaires,
étaient intervenus auprès du président
de le République pour demander
une expression forte à l’occasion du
cinquantième anniversaire de la fin de
la Guerre d’Algérie.

La déclaration de
François Hollande intervient aussi à
quelques semaines d’un déplacement
à Alger alors que la France négocie
un soutien algérien à l’intervention
militaire envisagée au Mali. Quatre
ministres français sont déjà allés
préparer le terrain. Si la presse
française a été discrète sur ces visites,
la presse algérienne a évoqué, outre le
dossier malien, la signature éventuelle
d’accords économiques significatifs.

Reste que si la parole présidentielle
est effectivement importante, d’autres
signaux viennent en affecter la portée.

Et pas des moindres. Ainsi le ministre
de la Défense, Jean-Yves Le Drian,
a annoncé l’inauguration d’une stèle
à la gloire du général Bigeard le
20 no­vembre prochain. Une honte
alors que la présidence Sarkozy,
devant le tollé, avait renoncé au
transfert de ses cendres aux Invalides.

Hollande, Le Drian connaissent-ils les
tristement célèbres « crevettes Bigeard » ?
Cet officier tortionnaire avait, en effet,
inventé et perfectionné une technique
radicale consistant à larguer, depuis des
hélicoptères, des Algériens condamnés à
mort sans jugement (sauf le sien) d’abord
dans les massifs montagneux, puis en mer
lestés d’un bloc de ciment. Une pratique et
un savoir-faire enseigné plus tard par son
ami le général Aussaresses et les officiers
Lacheroy et Trinquier aux militaires de la
dictature argentine.

Autre signal contradictoire
de la
présidence Hollande : une fin de non-recevoir au retrait d’une stèle érigée,
il y a deux ans, à la « gloire » du
colonel Château-Jobert à l’intérieur de
la caserne de Pau où sont formés les
jeunes parachutistes.

Pau : une stèle à la gloire d’un terroriste

Château-Jobert, ancien résistant, avait
aussi participé au putsch d’avril 1961
avant de déserter, de diriger le maquis
de l’Ouarsenis pour torpiller le cessez-
le-feu. Fervent partisan de l’Algérie
française, il avait été condamné à mort
(puis gracié) pour ses activités l’OAS.

C’est pourtant lui qui fera l’objet
d’une cérémonie fin octobre. Bel
exemple pour les nouvelles recrues de
l’armée !

Omerta française

Le chemin reste donc encore long
pour que la France regarde en face
son passé colonial où la torture, les
brimades et les humiliations étaient
une pratique « naturelle ». Le code
noir ou le code de l’indigénat avaient
institué le racisme comme l’un des
fondements de la politique de notre
pays.

Le chemin est encore tortueux
pour que la France soigne cette
shizophrénie, héritage d’un passage,
sans coup férir, du statut d’oppresseur
à celui « d’ami » de l’Afrique vendu
aux Français par les autorités. Il
reste donc à reconnaitre une quantité
de crimes coloniaux, des massacres
de Sétif, Kherrata, Guelma le 8 mai
1945, de Madagascar en 1947, de la
guerre secrète au Cameroun entre
1955 et 1971 pour ne parler que du
continent africain.

Pour que cette reconnaissance du mas­sacre du 17 octobre 1961 ne soit pas
le dernier pas dans la reconnaissance
officielle de l’« aventure » coloniale
en général et des crimes coloniaux
en particulier, il serait donc temps de
rompre avec la nostalgie d’un passé
« glorieux » et de cesser d’honorer les
grandes figures du colonialisme et de
l’« Algérie Française ».

On n’en prend pas le chemin à la
lecture des déclarations de Laurent
Fabius (21 octobre) à propos de
la visite de François Hollande le
19 décembre en Algérie
 : « Les
Algériens ne souhaitent absolument
pas qu’on fasse un voyage tourné
vers le passé », « nos amis algériens
ne souhaitent pas un traité d’amitié
franco-algérien, mais un partenariat
stratégique, centré sur les domaines
économique, éducatif, énergétique et
pourquoi pas militaire.
 »

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 218 - novembre 2012
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