Survie

Un gouvernement au service des entreprises françaises en Afrique

rédigé le 7 novembre 2012 (mis en ligne le 6 janvier 2013) - Alice Primo

Loin de remettre en cause
l’héritage d’un demi-siècle
d’ingérence économique en
Afrique, le gouvernement
multiplie les gestes et
déclarations d’allégeance
aux entrepreneurs français,
se montrant plus soucieux
de contenir la concurrence
internationale dans « leur »
pré-carré que de s’attaquer à
ce pan de la Françafrique.

Le 4 octobre, le ministère de
l’économie et des finances célébrait
en grande pompe le quarantième
anniversaire des accords de coopération
monétaire du franc CFA et du franc
comorien, en présence, entre autres, des
ministres des Finances des pays concernés
et des gouverneurs des Banques centrales
des trois zones monétaires (Afrique de
l’Ouest, Afrique centrale, Comores).

Invité d’honneur, Alassane Ouattara,
installé à la présidence ivoirienne grâce
à l’armée française, a déclaré voir en
ces accords « le symbole de la qualité et
de la profondeur des liens économiques,
culturels et politiques qui unissent
l’Afrique à la France
 ». Jusque là, rien
de nouveau ni de surprenant, sauf si l’on
espérait qu’à l’occasion de son retour au
pouvoir, la gauche française ouvrirait le
débat sur cette ingérence historique de
la France dans les affaires monétaires -et
donc économiques- d’une quinzaine de
pays d’Afrique.

Moscovici, ou la mission éducatrice de la France

C’était compter sans la capacité à nous
surprendre du gouvernement, qui ne se
contente pas de prolonger benoîtement
certaines politiques prédatrices, mais
innove fièrement dans le paternalisme
de mauvais goût.

Le nouveau billet de 500 francs CFA émis le 3 novembre à l’ocasion du cinquantième anniversaire de la BCEAO.

Ainsi, le même jour,
le ministre de l’économie et des finances
français, Pierre Moscovici, cosignait avec
Alassane Ouattara une tribune publiée
dans le Figaro
– un journal plus lu que
d’autres dans les milieux d’affaires,
diront les mauvaises langues. Ils y
affirmaient leur volonté de « se tourner
vers l’avenir
 », ce qui impliquerait
notamment de « promouvoir des contrats
commerciaux justes et équitables. (...)
L’aide au développement doit apporter
aux États africains un appui juridique et
financier renforcé pour mieux négocier
les contrats qui les lient aux entreprises
internationales. Une initiative sera
prise en ce sens lors de notre réunion
 ».

Dès le lendemain, des médias africains
diffusaient cette info selon laquelle
« Paris souhaite aider les Etats africains
à négocier les contrats internationaux
 »,
avec la même générosité désintéressée que
le lion apprenant à la gazelle à chercher les
meilleurs points d’eau. C’est sûr que Paris
a l’expérience de telles négociations :
plus de cinquante ans de contrats léonins
pour les entreprises françaises, privées ou
publiques, ça permet d’établir un catalogue
complet des « bonnes pratiques ». Pour
justifier l’imposture, les deux Tartuffes
affirmaient dans le même élan que « le
temps de l’exploitation outrancière des
réserves africaines est heureusement
révolu
 » : ça ne coûte rien de l’affirmer, et
surtout ça permet de justifier l’activisme
diplomatique en faveur du maintien du
pillage.

Canfin et le « savoir-faire français »

Car après tout, l’économie française a
besoin des « pays en développement ».
C’est ce qu’avait affirmé à Médiapart
(16 juillet) le ministre délégué au
développement Pascal Canfin
 : « Nous
avons un problème de déficit commercial.
Il n’est donc pas illégitime que la
diplomatie française travaille à le réduire.
La mauvaise façon de le faire serait, en
ce qui concerne le champ dont j’ai la
responsabilité, de lier les aides publiques
au développement à l’obtention de
marchés pour les entreprises françaises
 ».

L’aide liée, pourtant, ça marche bien :le
rapport que la Cour des Comptes a publié
fin juin
explique par exemple
comment, de 2001 à 2011, le
versement d’un euro « d’aide »
a rapporté entre 5 et 10 euros
de contrats pour les entreprises
françaises lorsque cela se
faisait via des dispositifs ayant
comme condition préalable
d’avoir recours à nos vaillants
entrepreneurs.

Le problème,
c’est que c’est mal vu par les
autres bailleurs internationaux
et que le Parti socialiste s’est
régulièrement insurgé contre
le maintien de tels dispositifs,
pendant les dix années passées
dans l’opposition. Mais la
suite du propos de Pascal
Canfin montre que ça n’est
pas un problème : « Mais si l’on peut
développer notre aide dans des secteurs
où il existe un savoir-faire français,
comme l’assainissement ou les services
urbains, (...) c’est une bonne chose
 ».

Cela tombe bien, dans l’ensemble du
pré-carré françafricain, cinquante ans
d’ingérence économique ont conduit à
éviter l’émergence d’un « savoir-faire
local
 » et à maintenir la prédominance
des entreprises françaises. Surtout,
que le ministre du « développement »
continue de ne pas s’interroger sur les
dynamiques historiques qui ont conduit
à cette situation. Les trois milliards
d’euros prochainement déversés en Côte
d’Ivoire à la faveur de son « Contrat
désendettement développement
 », ou
C2D (Billets n°217, octobre 2012),
pourront ainsi continuer à gonfler les
carnets de commande parisiens.

Fabius, ministre du redressement productif en Françafrique

Laurent Fabius avait, quant à lui, expliqué
début septembre son souhait de travailler
à la relance des entreprises françaises...
en Afrique. Ses discours prononcés lors
de la XXème conférence annuelle des
ambassadeurs, les 28 et 29 août, ont
été l’occasion de ressortir le leit-motiv
de la « diplomatie économique ». Voilà
bientôt quinze ans que l’expression fait
florès, puisque Jacques Chirac l’avait
déjà employée au sommet Afrique-France de 1998.

Aussi décomplexé
que l’était le ministre sarkozyste Alain
Joyandet sur la question, Fabius veut
encourager ce mélange des genres :
« Nous avons besoin d’une diplomatie
économique forte, active, réactive,
efficace, à l’écoute de tous les acteurs
économiques de « l’équipe de France ».
En continuant de servir les intérêts
généraux de la France, le ministère des
Affaires étrangères doit devenir, aussi,
le ministère des entreprises. Il doit
renforcer son « réflexe économique »,
et les entreprises renforcer leur « réflexe
diplomatie
 ».

Même pas d’enrobage sur
les prétendus bienfaits de la croissance
économique sur le développement :
Fabius parle ici de l’international en
général, donc sans se limiter au pré-carré
traditionnel ; il lorgne même plutôt vers les
marchés à conquérir dans les économies
dites « émergentes ». L’enjeu, c’est
l’emploi en France, dont les statistiques
guident les orientations politiques bien
davantage qu’une éventuelle ligne
idéologique : soutenir les entreprises à
l’international (ou plus exactement, les
dirigeants des entreprises), ça ne peut
qu’être bon pour l’emploi en France, et
même pour la planète. Pas besoin de le
démontrer, il suffit de l’affirmer : « La
diplomatie économique ­ – qui est aussi
écologique – est la contribution directe
que nous pouvons apporter à l’exigence
de redressement économique. Nous
faisons, vous faites déjà beaucoup et les
entrepreneurs apprécient en général
notre action. Mais le déficit considérable
de notre commerce extérieur, juge de
paix de notre compétitivité, montre
que nous devons faire plus et mieux.
Certes, l’administration ne remplace
pas les entreprises et beaucoup d’autres
ministères sont aussi concernés que
nous, mais nous pouvons et devons les
accompagner. Les défis de la croissance
et de l’emploi se jouent, pour une part, à
l’international
 ».

La France, puissance d’influence

Il n’y avait pas grand monde dans
l’auditoire pour contredire le ministre :
outre les diplomates, parmi les autres
intervenants à cette conférence des
ambassadeurs, le gratin de la Françafrique
économique était présent. Les patrons de
Total, d’Areva et de GDF-Suez faisaient
par exemple partie des personnalités
invitées à exposer leur point de vue,
tout comme Philippe Gautier, directeur
du MEDEF International, et Alexandre
Vilgrain, président du CIAN (Conseil
des investisseurs français en Afrique)
.

Quant à la table ronde sur « les stratégies
à l’exportation de la filière nucléaire
française
 », elle comptait parmi ses
intervenants la ministre de l’écologie
Delphine Batho... que l’on imagine
mal souligner les ravages écologiques
et sociaux d’Areva au Gabon, au Niger
et en Centrafrique, par exemple. Il est
également peu probable que la situation
politique de ces pays ait été abordée dans
la table ronde dédiée au continent, axée
sur la thématique « L’Afrique, continent
en croissance
 ».

De fait, les dictatures françafricaines
ont comme toujours été absentes des
discours du ministre des Affaires
étrangères. Celui-ci a pourtant affirmé
que « notre pays dispose d’une influence
qui dépasse celle qui se déduirait des
seules réalités matérielles. La France
est bien une « puissance d’influence
 ».
On sait dès à présent au service de quels
objectifs ce gouvernement souhaite
utiliser cette influence.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 218 - novembre 2012
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