Survie

Centrafrique : un malade en phase terminale

(mis en ligne le 14 janvier 2013) - Raphaël de Benito

Au fil des tutelles coloniales, néocoloniales et régionales, empoisonné par la Françafrique, l’embryon d’État centrafricain a dérivé vers une militarisation
et l’ethnicisation de sa politique. A cet égard, le pouvoir de François Bozizé
n’échappe pas à la règle.

Sa gestion clanique et brutale du pouvoir, les détournements en tout genre au profit de sa famille, n’ont fait que perpétuer cet état de fait et il subsiste toujours des foyers insurrectionnels comme l’a montré l’émergence et l’offensive éclair de la coalition Séléka. Composé de factions rebelles dissidentes, le Séléka a pris les armes le 10 décembre et contrôlait la majeure partie du pays le 31 décembre.

Comment s’en étonner alors, qu’en plus des prébendes présidentielles, François Bozizé, « réélu » en 2011, au terme d’une mascarade électorale n’a jamais respecté les accords de paix conclus entre 2007 et 2011 qui prévoyaient un programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion. De même, le Dialogue politique inclusif de 2008 qui avait permis de réunir à une table de négociations, pouvoir, société civile, opposition et rébellion est resté lettre morte. Qui plus est, l’opposition soupçonnait Bozizé de préparer un troisième mandat en modifiant la Constitution.

Tous les ingrédients étaient donc réunis pour assister à une nouvelle poussée de fièvre même si l’apparition et les succès fulgurants de la coalition Séléka en ont surpris plus d’un.

Un Etat décomposé

L’offensive Séléka a eu le mérite de révéler la fragilité du régime Bozizé défait militairement en à peine trois semaines et contraint de quémander une intervention militaire française, à renoncer publiquement à un troisième mandat et proposer un gouvernement d’union nationale. Toutefois, « Boz » se donnait un peu d’air début janvier alors que le chef d’Etat-major de la Force multinationale d’Afrique centrale (FOMAC), Jean-Félix Akaga prévenait la coalition Séléka que la prise du verrou de Damara, à 75 km de la capitale était ligne rouge à ne pas franchir. Ce gel de la situation sur le terrain est la conséquence de l’intervention de la France et des luttes d’influences entre Etats d’Afrique centrale. En revanche, le Séléka réclamait toujours le départ de Bozizé.

L’influence française

En premier lieu, le Tchad, qui a installé Bozizé avec l’aide de la France en 2003 et considère la Centrafrique comme son vassal. Alors que ces derniers mois, Bozizé était moins docile envers le président tchadien Idriss Déby, celui-ci est accusé d’avoir armé et financé la coalition Séléka lui permettant sa conquête éclair. Plusieurs témoins racontent que les forces tchadiennes, acheminées sous le prétexte d’interposition, avaient l’arme au pied durant l’offensive rebelle. En réalité, les Tchadiens avaient besoin de contrôler le terrain pour jouer les arbitres. Les prétentions régionales et le double jeu de Déby ont eu le don d’irriter ses homologues d’Afrique centrale qui ont donc cherché à le contrer.

Le Cameroun, le Gabon, le Congo-Brazza, l’autre parrain de Bozizé, et la RDC, pourtant incapable de défendre son territoire dans les Kivus, ont donc envoyé d’urgence quelques centaines d’hommes pour soutenir ce qu’il restait de l’armée centrafricaine prise en charge par trois ex-officiers français de la société militaire privée EHH LCC (Billets n°219, décembre 2012). L’Afrique du Sud également, dans son rôle de puissance continentale a envoyé, début janvier, deux cents soldats à Bangui.

Mais, c’est la France, qu’on le veuille ou non, qui, la première, a envoyé un signal aux rebelles en déployant 300 légionnaires basés à Libreville pour renforcer son détachement militaire déjà présent à Bangui (Voir ci-dessous). Officiellement, et selon le refrain bien connu, les soldats français ne sont là que pour protéger les ressortissants français et européens de Bangui.

Sauf que des militaires français se sont inquiétés, en visitant la rebéllion, du devenir du gisement d’uranium de Bakouma en attente d’exploitation par Areva ! Certainement les intérêts français que François Hollande appelait à défendre en Centrafrique.

La présence militaire tricolore s’est donc révélée assez dissuasive pour amener la coalition Séléka dont la représentation extérieure est à Paris, à accepter de négocier à Libreville début janvier. Aujourd’hui, en l’absence de réflexion sur les fondements de sa politique en Afrique, la France est plus que jamais prisonnière de ses contradictions. La France est la moins bien placée pour intervenir en Centrafrique en raison de son une ingérence permanente dans le pays depuis l’indépendance il y a plus de 50 ans. C’est même un officier des services secrets français, Jean-Claude Mantion alias « Lucky Luke » (voir ci-dessous) qui gouverna la Centrafrique entre 1980 et 1993.

La France appelle aujourd’hui au dialogue en Centrafrique mais a cautionné le vol électoral de 2011. En janvier 2010, son ambassadeur, Jean-Pierre Vidon, faisait preuve d’une lucidité sans pareil en chantant les louanges du général-président Bozizé, faisant don de sa personne à la patrie, tout en estimant que « la situation politique s’était apaisée (…) tandis que la situation sociale et sécuritaire considérablement amélioré à Bangui ». A croire que l’ambassadeur écumait le Plantation ou le Zodiaque, hauts-lieux de la vie nocturne banguissoisse, tant les observateurs du pays, y compris dans les milieux diplomatiques, tenaient des propos pessimistes sur l’avenir du pays.

On pourra objecter que Hollande a remplacé Sarkozy à la tête de l’Etat et qu’une nouvelle politique est à l’œuvre. Il n’en demeure pas moins que si la France semble plus discrète dans le dossier centrafricain, elle maintient une coopération sécuritaire étroite avec des acteurs peu reluisants dans le long dossier centrafricain. Ainsi le Gabon a « parrainé » les pourparlers de paix centrafricains de 2008, le Congo-Brazza jouant le médiateur dans les négociations entre la rébellion et Bozizé début janvier.

Quant au Tchad de Déby, constatant qu’il n’y avait plus aucun avantage à tirer de la situation en Centrafrique, il a carrément dicté sa conduite à la coalition Séléka lors des pourparlers de Libreville. L’accord qui en a découlé ne satisfait personne : Bozizé allant jusqu’au bout de son mandat en 2016, flanqué d’un premier ministre de l’opposition civile tandis que la coalition Séléka rentre bredouille au grand dam de ses chefs militaires qui contrôlent la majeure partie du pays. On imagine bien la cohabitation durant les trois prochaines alors qu’à la veille des pourparlers, Bozizé traitaient les rebelles de mercenaires terroristes tandis que ceux-ci exigeaient des chefs d’Etat centrale qu’ils saisissent la Cour Pénale Internationale pour juger les crimes du président centrafricain.

A vrai dire, l’application de cet accord au forceps ne repose que sur la bonne foi des uns et des autres. Autant dire que la prochaine crise en Centrafrique est déjà en gestation avec toujours le risque de l’effondrement complet d’un Etat si fragile.

« Boz », évangéliste suprême et putschiste dans l’âme

Le général-président centrafricain François Bozizé, est arrivé au pouvoir par les armes en 2003.

Aide de camp du sanguinaire Jean-Bedel Bokassa, Bozizé devient, à 32 ans, le plus jeune général de l’armée. A la chute de Bokassa en 1979, il part alors à l’école de guerre en France. Il revient en 1981 à la faveur d’un putsch qui verra le général André Kolingba remplacer David Dacko, qui avait succédé à Bokassa. Ministre de l’Information, ce taiseux et piètre orateur tentera, deux ans plus tard, de renverser Kolingba. Il fuiera au Bénin d’où il sera extradé en 1989. Emprisonné deux ans, il échappe de justesse en 1990 à une tentative d’assassinat dans sa cellule et prendra la fuite vers le nord du pays. En 1993, Bozizé se présente aux présidentielles qui seront remportées par Ange-Félix Patassé. Réintégré dans l’armée, Bozizé soutient Patassé dont il devient en 1997 le chef d’état-major. En octobre 2001, il tentera de le renverser et ratera son coup d’Etat avant de pendre la fuite pour le Tchad, puis la France, avant de revenir dans le nord de la Centrafrique lancer la rébellion des "Patriotes".

Il prendra enfin le pouvoir en 2003 grâce à l’armée tchadienne qui lui a fourni sa garde rapprochée jusqu’à l’automne dernier. Depuis 2003, « Boz » comme le surnomme les Banguissois, a été confronté à de nombreuses poussées de fièvres.

En 2006-2007, c’est la France qui lui sauve la mise à Birao. Fin 2010, c’est l’ami de toujours, le Tchad, qui l’aide à se débarrasser des rebellions du nord. En 2011, Bozizé, « évangéliste suprême » de l’Eglise du christianisme céleste Nouvelle Jérusalem qu’il a fondée, affirmait que le pays s’était pacifié sous sa présidence, et qu’il pouvait désormais le « relancer » grâce aux richesses du sous-sol encore inexploitées : uranium, or, pétrole et diamants.

Zoom

Avec une population de près de 5 millions d’habitants, le pays, enclavé au cœur de l’Afrique centrale, est l’un des plus pauvres du monde malgré ses énormes richesses potentielles, minières et agricoles (uranium, diamants, bois, or). L’économie a été dévastée par les multiples crises politico-militaires qui ont empêché le pays d’assurer le minimum à ses habitants. Le pays, dont près de 70% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté avec un PIB par habitant de 483 dollars (2011), est à 80% rural et produit du coton, café et tabac. Selon l’Institut international des études stratégiques (IISS, 2012), les forces armées comptent 2.150 hommes et les paramilitaires 1.000 hommes.

Micopax

Les 250 militaires français déjà présents à Bangui sont chargés de l’assistance de la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX), placée sous l’autorité de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC). La MICOPAX bénéficie du soutien financier de l’Union Européenne et logistique de la France. Elle a pour mandat de consolider le climat de paix et de stabilité, d’aider au développement du processus politique et de soutenir le respect des droits de l’homme. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le bilan n’est pas brillant. Son mandat doit se terminer le 31 décembre 2013.

Lucky Luke

Le lieutenant-colonel Jean-Claude Mantion, agent des services secrets français, débarque à Bangui, le 2 décembre 1980. Chargé d’encadrer le président David Dacko installé par Paris pour succéder à Bokassa, puis son remplaçant le général André Kolingba, il déjouera dès 1982 une tentative de coup d’État fomentée par Ange-Félix Patassé et deux généraux en vue, François Bozizé et Alphonse Mbaïkoua. Les représailles sont terribles et les fiefs de Patassé au nord de pays sont rasés et nombreux habitants massacrés donnant à naissance à une 1ère fracture entre populations du nord et du sud. Kolingba confie à « Lucky Luke » Mantion un nombre toujours plus importants d’attributions au point d’être un 1er ministre de l’ombre. Il gouvernera de facto la Centrafrique pendant treize ans. C’est pendant cette décennie que le Yakoma Kolingba a instillé le poison de l’ethnicité, plaçant ses proches et les membres dans tous les rouages de l’Etat et de l’armée. Cette instrumentalisation de l’appartenance tribale à des fins politiques, la Centrafrique la paye encore.

Entre 2003 et 2006, le volume global de l’aide consentie par la France était de 95 millions d’euros, en incluant le soutien apporté à la force de paix de la CEMAC. Somme importante dans le contexte centrafricain à laquelle il faut ajouter le coût de près de 70 conseillers techniques français, placés aux postes névralgiques de l’appareil d’État, des cabinets ministériels à la Garde présidentielle. Auprès du chef de l’État, un général français s’occupait – officiellement – de la « refonte » de l’armée centrafricaine. Il faut aussi prendre en compte les « privés » employés dans la sécurité du palais présidentiel jusqu’à la douane en passant par les services de renseignement.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 220 - janvier 2013
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