Survie

Mali : la France, chantre de l’autonomie du Nord

rédigé le 8 février 2013 (mis en ligne le 12 février 2013) - Gérard Moreau, Juliette Poirson

Après l’entrée en guerre
de la France au Mali, et la
prise des villes du nord, des
personnalités politiques
françaises, Laurent Fabius
et Elisabeth Guigou en
tête, mettent en avant les
revendications du MNLA et
l’autonomie du nord du pays.

Al’occasion du point presse du
28 janvier, le ministre des Affaires
étrangères, Laurent Fabius déclare
qu’« il revient aux autorités maliennes de
préparer des élections et d’engager sans
plus attendre des discussions avec les
représentants légitimes des populations du
nord (élus locaux, société civile) et les groupes
armés non terroristes qui reconnaissent
l’intégrité territoriale du Mali. Seul un
dialogue nord-sud permettra de préparer le
retour de l’Etat malien dans la région Nord
 ».

Elisabeth Guigou, députée, présidente de la
commission des Affaires étrangères déclare
à son tour le 2 février qu’« il faut qu’un plan
d’autonomie pour le nord du mali soit mis en
place parce que c’est demandé depuis très
longtemps par les Touaregs en particulier
mais pas seulement. » La classe politique
semble assez unanime sur la question.

En janvier 2012, le ministre des Affaires
étrangères de l’époque, Alain Juppé, en visite
à Bamako en avait appelé au dialogue avec
le MNLA. Un an plus tard, il semble vouloir
donner aussi du crédit au groupe Mouvement
islamique de l’Azawad (une scission d’Ansar
Dine au lendemain de l’intervention de
janvier 2013, qui en appelle soudain à une
solution politique) et persiste « beaucoup
d’entre eux [des Touareg] se battent, depuis
des décennies, non pour imposer la charia
mais pour faire valoir leurs droits. Nous
avons affirmé notre détermination à garantir
l’intégrité territoriale du Mali et c’est un
principe fondamental. Mais dans ce cadre,
des solutions de décentralisation poussée,
voire d’autonomie sont envisageables
 ».

En réalité, à partir de fin 2011, quand le
MNLA se constitue, les autorités fran­çaises ont adopté une posture équivoque
et lui ont prêté une oreille attentive, sans
doute notamment dans l’idée que ce groupe
armé touareg puisse être un allié dans la
lutte contre AQMI – un argumentaire à
nouveau repris aujourd’hui. La même année, la visite au Quai d’Orsay d’une
délégation du MNLA avait fait du bruit.

En janvier 2013, un drôle de personnage
refait surface : Robert Dulas. Emissaire
officieux, barbouze, ancien conseiller
de divers chefs d’Etats africains, vice-président de la société militaire privée
française Secopex, cet « ex-« ambassadeur
itinérant et plénipotentiaire
 » (!)
a
été nommé, en 2010, par la junte au
pouvoir à Niamey pour travailler « à
l’émergence d’une province autonome
touareg
 » (Lettre du continent n°604).
Dulas explique donc dans un interview
à la Tribune de Genève qu’un accord
se négocie en coulisses avec le MNLA :
« Des contacts ont été pris avec la France,
les choses sont en phase de finalisation
 ».
A noter que le MNLA et une faction du
groupe Ansar Dine entrée en dissidence,
le MIA, ont opportunément repris la ville
de Kidal à la veille de l’arrivée de l’armée
française.

Une barbouze française grenouille avec le MNLA

Robert Dulas déballe même largement
son rôle d’intermédiaire :

« J’ai aidé à la
réalisation d’une tournée diplomatique
pour leur ouvrir des portes en Europe et
aux Etats-Unis. Il fallait que les gens et
en particulier les politiques comprennent
que les Touareg du MNLA étaient laïques
et totalement contre l’application de la
charia. En France, ils ont été reçus à
l’Assemblée nationale, au Sénat, aux
Affaires étrangères et dans différents
ministères. Ils ont aussi pu nouer des
contacts avec le Nigeria et l’Algérie. Par
la suite, ils ont été perçus différemment.
La Suisse aussi a noué des contacts avec
eux et collaboré à la rédaction de textes
de consensus.
 »

Au-delà du politique, les médias
français offrent aussi une couverture
exceptionnelle aux portes-parole du
MNLA. En premier lieu Moussa Ag
Assarid qui a accès régulièrement aux
antennes depuis le mois de janvier
2012 y compris depuis la déclaration
d’indépendance de l’Azawad du MNLA
faite le 6 avril 2013. Surprenant quand
officiellement, l’intervention française
a pour but officiel le retour à l’intégrité
territoriale du Mali.

On peut s’étonner que les autorités et les
médias français fassent tant de cas des
revendications fluctuantes de ce groupe – et à l’inverse
prennent peu en
compte la voix des
au­tres
Maliens
demeurant dans
le nord du pays
– ou d’ailleurs.

Au Mali, Kalifa
Doumbia, député
UDD
élu
en
Commune VI de
Bamako déclare
en janvier 2013 :
« Nous pensons
qu’il n’y a pas
réellement
d’interlocuteur
en matière de
négociation en ce moment. Nous ne les
croyons pas du tout, mais seulement, il
y a des communautés qui sont restées
en place, nous pouvons demander
une
table-ronde
de
conciliation
avec ses populations pour que nous
puissions établir une véritable base de
développement socio-économique et
de mieux vivre avec les populations du
nord.
 »

L’engouement des autorités et
médias français pour le peuple touareg et
l’autonomie du nord évacue les réalités
que les Maliens connaissent bien :
le MNLA n’est pas représentatif des
Touareg, loin s’en faut et ils ne sont pas
seuls habitants au nord du Mali. Et ils ne
sont même pas majoritaires en nombre,
Peuls, Songhaï, Arabes, Bamanan étant
complètement oubliés. Escamotés aussi
l’histoire politique complexe de la région
et les différents accords – en particulier
le Pacte national signé à l’issue de la
rébellion des années 1990 qui ont permis
d’intégrer de nombreux Touaregs et
Arabes du nord dans l’armée et dans
l’administration depuis vingt ans et prévu
le décaissement de sommes importantes
pour le développement du nord du pays..

Simplification à outrance

Les autorités comme les médias
français ne rappellent pas non plus que
des personnalités touaregues sont aux
commandes des plus hautes institutions
du Mali comme Oumarou Ag Mohamed
Ibrahim président du Haut Conseil des
Collectivités, Assarid Ag Ambarcaouane,
vice-président de l’Assemblée nationale,
Agatham Ag Alhassane, ex-directeur de
l’ABFN, ex-ministre de l’Environnement
puis de l’Agriculture... Ni que sur dix-neuf députés du Nord, onze sont des
Touareg.

Quant à savoir si le nord du Mali a été
particulièrement négligé au profit du
reste du Mali, rien n’est moins certain.
Plus de 70% de la population du Mali vit
en dessous du seuil de pauvreté, que ce
soit dans les régions du nord ou ailleurs.
Des projets étaient en cours avant le
conflit : une route pour mieux desservir
Tombouctou ou le barrage de Taoussa
qui allait transformer l’agriculture de la
région. Et si les fonds d’aide affectés
au nord n’ont pas apporté les résultats
escomptés, le phénomène n’est pas
propre à cette région.

Alors pourquoi cet amour immodéré
des autorités françaises pour le MNLA ?
Comment se fait-il que les champions
de la démocratie placent sur le même
plan les élus des régions du nord et les
« groupes armés non terroristes », alors
que ce même groupe a été le premier à
prendre les armes en janvier 2012 ?
Pourquoi tout ce vocabulaire qui fait
des Touareg un groupe à part, alors
que le Mali est un pays pluri-ethnique.
Pourquoi chercher à dresser le « nord »
contre le « Sud », alors qu’un collectif
des conseils régionaux de Mopti,
Tombouctou, Gao et Kidal en appellent
à un processus où « les populations
civiles et l’ensemble de leurs élus et
représentants [seraient] au cœur du
processus de paix et de réconciliation
 »
et engagent leur responsabilité collective
« pour la préservation de notre vivreensemble » ?

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 221 - février 2013
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