Survie

Génocide des Tutsi : heurts et malheurs de la Justice

rédigé le 8 avril 2013 (mis en ligne le 3 mai 2013) - Alain Gauthier

Alors que la Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a prononcé récemment des acquittements incompréhensibles, un premier procès de présumé génocidaire pourrait se tenir en France cette année. La justice française est-elle à un tournant en ce qui concerne le génocide perpétré au Rwanda ?

Les juges du Pôle « Génocide et crimes contre l’humanité » du tribunal de grande instance de Paris ont décidé, le 4 février dernier, de clôturer l’instruction dans l’affaire Pascal Simbikangwa. Même si nous n’avons à ce jour aucune certitude sur la décision que prendront les juges quant à un renvoi devant une cour d’assises – un non-lieu n’est jamais totalement exclu –, tout laisse cependant penser que Simbikangwa sera le premier génocidaire présumé à être traduit devant une juridiction française. L’annonce de la clôture de l’instruction dans ce dossier ne peut donc que réjouir tous ceux qui luttent depuis des années pour que justice soit rendue aux victimes du génocide des Tutsi perpétré au Rwanda en 1994.

L’affaire Simbikangwa n’est pas la plus ancienne, mais dans la mesure où cet ex-capitaine des FAR (Forces armées rwandaises) est incarcéré, il ne pourra rester plus longtemps en prison sans qu’une décision soit prise. Condamné pour trafic de faux papiers sur l’île de Mayotte où il avait trouvé refuge, il a été aussitôt visé par une plainte déposée par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). Son arrestation et sa détention sont essentiellement dues à la détermination de Marc Brisset-Foucault, alors procureur sur cette île française de l’océan Indien. Devrait suivre le procès d’Octavien Ngenzi, arrêté lui aussi à Mayotte et qui est en détention provisoire depuis 2010. Leur situation d’internés les rend prioritaires.

Deux dossiers confiés à la France par le TPIR

Parmi les autres plaintes (25 au total) visant des présumés génocidaires vivant en France, et déposées par le CPCR ou par d’autres associations comme Survie, la Fédération internationale des ligues des Droits de l’homme (FIDH) ou la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), deux se distinguent : les dossiers Wenceslas Munye­ shyaka et Laurent Bucyibaruta. Ces deux affaires ont en effet été confiées à la justice française par le TPIR. Elles tardent à revenir sur le devant de la scène, malgré a gravité des accusations.

L’abbé Wenceslas Munyeshyaka, curé de la paroisse de la Sainte-Famille à Kigali en 1994, est soupçonné d’avoir livré aux tueurs des Tutsi réfugiés dans son église, et d’avoir accordé sa « protection » à des femmes tutsi en échange de faveurs sexuelles. Laurent Bucyibaruta, préfet de Gikongoro pendant le génocide, est l’un des organisateurs présumés du massacre de Murambi, qui fit entre 20 000 et 50 000 victimes le 21 avril 1994.

Même si des raisons techniques sont invoquées pour expliquer l’inaction apparente des magistrats français (adaptation du droit anglo-saxon à la justice de droit latin, en particulier), il est plus que temps que Munyeshyaka et Bucyibaruta rendent des comptes.

D’autres affaires en souffrance

D’autres dossiers devraient aussi faire la Une de l’actualité. La plainte contre le médecin Sosthène Munyemana date de 1995 : peut-on parler de « délai raisonnable » sans se moquer des victimes ? Les docteurs Eugène Rwamucyo, idéologue extrémiste de la première heure, et Charles Twagira, en poste à l’hôpital de Kibuye en 1994, ne devraient pas non plus échapper à a Justice. C’est aux juges de décider si l’instruction dans ces affaires doit être clôturée. D’autres dossiers sont en souffrance, sans compter les nouvelles plaintes qui pourraient être déposées.

Un des « cerveaux » du génocide mis en examen en France

Le 1er mars 2013, une source judiciaire annonçait que Laurent Serubuga avait été mis en examen et qu’une commission rogatoire internationale pourrait être lancée contre lui. Chef d’état-major adjoint des FAR jusqu’en 1992, le colonel Serubuga doit à nos yeux être considéré comme un des plus grands responsables du génocide des Tutsi, au même titre que le colonel Théoneste Bagosora, condamné à la réclusion à perpétuité par le TPIR, avant de voir sa peine réduite à trente ans en appel.

Mis à la retraite en 1992, comme son alter ego le colonel Pierre-Célestin Rwagafilita, aujourd’hui décédé, et le colonel Aloys Simba, condamné par le TPIR, Serubuga avait repris du service en 1994, après s’être illustré, dans sa région natale de Ngororero, dans le massacre des Tutsi Bagogwe (janvier-mars 1991). On peut se demander pourquoi le TPIR ne s’est jamais intéressé à ce haut dignitaire du régime, membre éminent de l’Akazu, un proche de madame Habyarimana, la sans-papier la plus célèbre de France. Au vu des dernières décisions de ce tribunal (voir ci-dessous), peut-être n’avons-nous pas trop à le regretter.

La première plainte contre Laurent Serubuga avait été déposée en 2000, mais elle avait un temps été classée sans suite, pour « défaut de preuve ». Une nouvelle plainte avait alors été déposée par Survie et la FIDH. Le CPCR s’est à son tour porté partie civile en 2007. Laurent Serubuga est mis en examen pour « génocide et complicité de crimes contre l’humanité ». Avec lui, nous avons affaire à un véritable responsable, dont la présence en France depuis de trop nombreuses années est une insulte faite à la mémoire des victimes.

Acquittements en appel au TPIR

Mais attention ! Un procès n’est jamais gagné d’avance. Le TPIR nous a habitués à des décisions incompréhensibles et scandaleuses, tels les récents acquittements prononcés par la chambre d’appel en faveur de Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza. Respectivement ministres du Commerce et de la Fonction publique, ils étaient membres du gouvernement intérimaire rwandais qui a conduit le génocide à son terme. Condamnés à trente ans de réclusion en première instance, ils ont été acquittés en appel sous prétexte qu’ils ne connaissaient pas à l’avance le contenu du discours que le président Sindikubwabo avait prononcé à Butare, en leur présence, et sans qu’ils s’en désolidarisent à aucun moment, pour appeler les Hutu à « continuer le travail ».

On pourrait aussi évoquer le cas de Protais Zigiranyirazo, alias « Monsieur Z », frère d’Agathe Habyarimana, membre éminent du premier cercle de l’Akazu, également acquitté en appel. Autant de décisions qui peuvent faire souhaiter la fermeture de cette institution qui aura condamné quelques génocidaires notoires, mais aussi rendu des décisions à nos yeux injustes.

Et maintenant ?

Reste aujourd’hui à nous intéresser à ce qui pourrait se passer en France. Un premier procès serait le signal tellement attendu, tant par les victimes que par les associations plaignantes, ou par tous les citoyens qui tentent de comprendre ce qui s’est passé au Rwanda entre 1990 et 1994. Un procès pour la Mémoire, un procès pour l’Histoire, un procès qui doit en appeler beaucoup d’autres. Un procès qui donnerait un sens à notre combat, mais au cours duquel il faudra se battre pour faire admettre la vérité à des jurés populaires pour qui le Rwanda reste un petit pays lointain où des choses indicibles se sont passées voici bientôt vingt ans. Le combat pour la justice ne fait peut-être que commencer.

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