Survie

Centrafrique : intervenir ou non...

rédigé le 3 avril 2013 (mis en ligne le 4 juin 2013) - Odile Tobner

Le 27 décembre 2012
François Hollande, refusait
d’accéder à la demande de
François Bozizé, président
de Centrafrique, de l’aider
à repousser les rebelles qui
menaçaient Bangui.

Des renforts français débarquent à Bangui le 22 mars en provenance de Libreville au Gabon.

A cette occasion, le président déclarait : « Si nous sommes présents, ce n’est pas pour protéger un régime, c’est pour protéger nos ressortissants et nos intérêts et en aucune façon pour intervenir dans les affaires intérieures d’un pays. Ce temps-là est terminé ». Cette déclaration a fait florès dans les médias français qui ont entonné leur refrain habituel « La Françafrique c’est terminé. ».

Ainsi dans 28 minutes du 29 mars, le journaliste Juan Gomez, dans sa rubrique de politique étrangère consacrée aux événements centraficains, a relayé la bonne nouvelle : « Le temps où la France intervenait en Afrique est terminé ». Il s’est attiré une réplique courtoise mais cinglante d’Anastasie Tudieshe, journaliste à Africa n°1, qui lui a rappelé que, selon la résolution 57 de l’ONU, un pays agressé par un pays étranger peut faire appel à un autre pays pour sa défense, que, par ailleurs, alors que le Mali ne subit pas l’agression d’un pays étranger, la France y est intervenue en force. Gomez répliqua piteusement que c’était le Mali qui avait appelé la France, oubliant ce qu’il venait de dire de la situation centrafricaine. Il est bon
de rappeler que le refus d’intervention de la France pour sauver un régime africain
menacé est loin d’être une nouveauté.

En 1963, De Gaulle abandonna Fulbert Youlou, premier président du Congo
Brazzaville, renversé par une rébellion marxiste. On explique ce lâchage d’un homme politique arrivé au pouvoir grâce aux colons, par l’horreur que ce prêtre excommunié, réputé pour ses extravagances, inspirait à madame De Gaulle.

Il y a certes des non-interventions qui sont des aveux. Ainsi la France n’est pas intervenue pour défendre des régimes légitimes contre lesquels elle avait suscité des complots, au Togo en 1963 pour sauver Sylvanus Olympio, au Mali en 1968 pour défendre Modibo Keita. Mais la France n’est pas intervenue non plus pour sauver le très francophile président du Niger Hamani Diori en 1974 : celui-ci pensait un peu
trop aux intérêts du Niger.

On disait que le refus de la France d’intervenir en
Côte d’Ivoire en 1999, pour sauver le successeur d’Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, chassé par la mutinerie du général Gueï, était dû au veto du premier ministre de Jacques Chirac, Lionel Jospin. Rétrospectivement on peut supposer qu’il y avait probablement d’autres raisons à cette bizarre abstention de Chirac. Le principal acteur du coup d’État de Gueï fut en effet Ibrahim Coulibaly, dit IB, séide de Ouattara. L’irruption intempestive de Gbagbo fit échouer le scénario, d’où la fureur persistante de Chirac contre ce dernier, d’où aussi, en 2010, la stupéfiante élimination de IB, qui en savait déci­dément trop. Gbagbo eut l’audace de demander l’assistance de la France pour préserver l’intégrité du territoire de la Côte d’Ivoire, lors de l’agression de 2002 par une rébellion basée au Burkina-Faso.

Il n’obtint évidemment pas satisfaction. La France se contenta de « s’interposer ». En 2003, Chirac laissa aussi tomber le président de la Centrafrique Ange-Félix
Patassé, qu’il avait pourtant obstinément secouru en 1996 et qui criait à l’aide
pour contrer le coup de force de Bozizé. Ce dernier, qui est abandonné lui-­même
aujourd’hui n’est donc pas une exception mais seulement le der­nier en date du lâchage de la France, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le respect de la
souveraineté du pays, simple­ment parce que, comme nombre d’autres, sa tête
ne revient plus à ses protecteurs.

La France est si peu soucieuse de la souveraineté de la Centrafrique qu’elle a envoyé six cents soldats occuper l’aéroport de Bangui pour « protéger les ressortissants et les intérêts français », ce qu’elle n’oserait jamais faire en Ukraine ou en Argentine,
quels que soient les risques courus par ses ressortissants et ses intérêts lors
de troubles civils. Il y a donc bien toujours une spécificité coloniale dans ses rapports avec les pays africains francophones.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 223 - avril 2013
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