Survie

Centrafrique : un État fantôme sous l’œil de Paris

rédigé le 3 avril 2013 (mis en ligne le 10 avril 2013) - Odile Tobner

La République centrafricaine est un pays grand comme la France et comptant moins de six millions d’habitants, huit au km2. Entre savane et forêt, le pays ne manque pas de ressources agricoles. Son sous-sol est très riche en métaux précieux, minerais et énergies fossiles : diamant, uranium, pétrole. Cependant la Centrafrique est classée dans les dix pays les plus pauvres du monde en matière de développement humain.

Les causes de cette distorsion entre potentialités et réalité, qui caractérise tant d’États en Afrique, sont d’ordre historique et politique. La colonisation, du fait des exactions des grandes compagnies concessionnaires, a laissé un désert humain, assujetti ensuite à une tutelle néocoloniale constante. Aucun leader nationaliste n’a pu rester ou accéder au pouvoir. Après la rapide disparition de Barthélemy Boganda et la mise à l’écart d’Abel Goumba, le pays a connu surtout la férule de militaires centrafricains issus de l’armée française : Jean-Bedel Bokassa, au pouvoir de 1966 à 1979, ancien capitaine, vétéran des campagnes de France, d’Indochine et d’Algérie, puis André Kolingba, au pouvoir de 1981 à 1993, ancien enfant de troupe, élève puis officier de l’armée française. Ce dernier sera flanqué, cas extrême de tutelle coloniale, d’un « proconsul » en la personne du colonel des services français Jean-Claude Mantion, gouverneur de fait de Centrafrique de 1980 à 1993. La RCA est aussi alors un porte-avion français au cœur du continent, avec les bases de Bouar et de Bangui, qui ne seront évacuées qu’en 1998.

Vainqueur de la première élection dite démocratique, Ange-Félix Patassé, ancien ministre de Bokassa, échoue à gouverner un pays en proie au chaos et aux violences. L’armée française intervient à trois reprises en 1996 pour rétablir l’ordre, tandis que Barril assure la sécurité du président. Patassé tombera en 2003, après avoir en vain demandé le secours de la France, dont la passivité complice permet au général François Bozizé de prendre le pouvoir. C’est aussi le début d’une régionalisation du conflit, le Tchad d’Idriss Déby soutenant Bozizé, alors que les milices congolaises de Jean-Pierre Bemba se portent au secours de Patassé, au prix d’une guerre civile féconde en atrocités de part et d’autre.

En février 2013, le même scénario se reproduit, aux dépens cette fois de Bozizé, devenu encombrant en raison de ses excès de prédation et des faveurs qu’il accorde aux Chinois. Une nébuleuse de mouvements rebelles, la Séléka, s’empare de Bangui et chasse Bozizé. Leur chef, Michel Djotodia, se proclame président, alors qu’il est lui- même contesté au sein de la Séléka. François Hollande a lancé un « appel au calme ».

La France et l’UE ont fait de molles déclarations demandant « le respect des accords de Libreville », fruit d’une négociation tripartite entre le gouvernement, l’opposition et la rébellion visant à mettre fin au conflit - que Bozizé n’aurait pas appliqués. Pendant que Bangui est une nouvelle fois livrée au pillage, l’armée française, qui occupe l’aéroport pour « protéger les ressortissants étrangers », selon les termes consacrés, a tué deux citoyens indiens qui s’approchaient de l’aéroport. Le Drian a déclaré qu’on enquêterait sur cet incident ubuesque, qui offre une bonne illustration de l’absurdité qui prévaut depuis tant d’années en Centrafique.

Cela fait maintenant plus d’un demi-siècle que les Centrafricains, appauvris et massacrés, souvent par centaines, par les chefs de clan qui se disputent un pouvoir privatisé, assistent impuissants à la mise à sac de leur territoire. Ils sont la quantité négligeable de l’histoire, dont les enjeux se jouent entre intérêts autrement importants, loin de l’Afrique, essentiellement à Paris. C’est là en effet qu’on a toujours décidé de soutenir ou d’éliminer tel ou tel potentat, telle ou telle faction, non selon leur malfaisance pour leur pays et leurs concitoyens, mais selon les services qu’ils sont susceptibles de rendre aux intérêts français. Après la Côte d’Ivoire et le Mali, voilà un autre exemple des bienfaits de la tutelle française. Quel est le prochain ?

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 223 - avril 2013
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