Survie

Bordeaux : « Bonnes nouvelles d’Afrique »

rédigé le 5 juin 2013 (mis en ligne le 2 août 2013) - Survie Gironde

C’est l’intitulé du colloque organisé le 17 mai dernier par la mairie de Bordeaux et la fondation Prospective et innovation. Selon le maire, Alain Juppé, l’événement a permis de « marquer la relation d’exception que la ville de Bordeaux entretient avec l’Afrique ».

La fondation Prospective et innovation a été fondée en 1989 par René Monory, ancien ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat et François Dalle, ancien dirigeant de l’Oréal, pour défendre l’idée que la France serait contrainte à « innover et se réformer pour maintenir le rang que l’histoire lui a conféré ». Elle est actuellement présidée par Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre et dirigée par Olivier Cazenave, conseiller maître à la Cour des comptes. Reconnue d’utilité publique, la fondation agit comme un think tank qui, à en juger par les participants à ce colloque, semble plutôt bien implanté dans les réseaux politico-économiques liés à l’Afrique.

Il y avait donc une délégation ivoirienne de plusieurs ministres et coté invités, l’ancien président du Sénégal, Abdou Diouf, et actuel secrétaire de l’Organisation Internationale de la Francophonie, l’ambassadeur congolais en France, Henri Lopes, Jean-Michel Severino, ancien directeur général de l’Agence française de développement (AFD), Paul Derreumaux, ancien PDG de Bank of Africa, ainsi que des représentants du ministère des Affaires étrangères français (MAE), et bien sûr des représentants de grandes entreprises françaises implantées en Afrique.

Catalogue de clichés

Ce colloque a été l’occasion de retrouver des clichés paternalistes. Ainsi le modèle démocratique occidental n’est pas adapté à la culture africaine : il existerait une démocratie à l’africaine qui tiendrait compte des valeurs traditionnelles, où le chef de l’État serait vu par son peuple comme un père bienveillant.

Il nous faudrait donc considérer les gouvernements dictatoriaux des pays avec lesquels nous aimerions faire des affaires comme « des partenaires avec leurs défauts » selon Henri Lopes. En revanche, notre modèle économique et nos produits, eux, ne semblent pas poser de problème culturel, et l’Afrique, cet « espace vierge, espace de conquête agricole », (Michel Godet, professeur au Conservatoire national des arts et métiers et créateur du Cercle des entrepreneurs du futur), avec son taux de croissance à 5%, fait tourner les têtes.

L’agriculture et particulièrement les céréales et protéo-oléagineux étant perçues, ainsi qu’en a témoigné le représentant de l’en­treprise Touton, « comme un relais de croissance après la fin des ressources fossiles ».

Les représentants du MAE n’ont pas manqué de rappeler que l’Afrique est une priorité pour le gouvernement de Hollande, avec le refrain connu de la lutte contre l’islamisme radical, sur fond d’enjeux stratégiques d’accès aux énergies et d’implantation des entreprises françaises, PME incluses, sur les marchés africains. Aidés par nos diplomates, nos entrepreneurs n’ont donc plus qu’à « renou­ veler et développer leurs investissements et être plus compétitifs en Afrique » d’après Jean-Michel Severino.

Raffarin ne s’y trompe pas, il faut concevoir l’Eurafrique comme un ensemble fort et solidaire face à l’Amérique avec « la francophonie comme porte-drapeau et élément fédérateur » selon Abdou Diouf. Il ne s’agirait pas en effet que l’Afrique s’émancipe de sa vieille tutelle européenne, et a fortiori française.

La loi des séries

Ce rendez-vous, appelé à devenir annuel selon les organisateurs, s’inscrit dans une série d’événements locaux liés à l’Afrique. A commencer par l’accueil de chefs d’Etats, comme le dictateur camerounais Paul Biya en juillet 2009, et la visite prévue de l’ivoirien Alassane Ouattara « du 16 au 18 juin, qui profitera de sa visite pour parler tramway, un projet cher au groupe Alstom, mais aussi gestion des déchets urbains » (Lettre du continent n°658).

En 2010, Alain Juppé a fait de Bordeaux la ville pilote pour « l’année de l’Afrique » voulue par Nicolas Sarkozy à l’occasion du cinquantenaire des indépendances africaines. Titre pour lequel elle n’a pas eu à se battre, puisqu’elle a été la seule grande ville à se saisir de cette coquille vide, avec un programme à forts relents néocoloniaux. Enfin en mai 2011, c’est au Club Bordeaux Afrique de la chambre de commerce et d’industrie qu’on doit l’organisation de l’Africa France Business Meeting, cofinancé par la mairie de Bordeaux, l’État, l’AFD, le MEDEF, Total et Bolloré Africa Logistics.

Richesse françafricaine du terroir bordelais

Le groupe Castel, géant de la boisson en Afrique centrale et dont le siège se situe dans l’agglomération bordelaise, a poussé cette logique jusqu’à créer un cercle de réflexion, le Club Bordeaux Cameroun. Présidé par Pierre Castel, il est animé par un chargé de mission de la mairie de Bordeaux, officiellement rattaché à la vie associative et à la diversité : Pierre de Gaëtan Njikam, que l’on retrouve dans la coordination de tous les événements de la mairie de Bordeaux liés à l’Afrique. « L’Afrique qui gagne est à Bordeaux », c’était le slogan de l’Africa France Business Meeting de 2011. Celle qui perd est logiquement restée chez elle.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 225 - juin 2013
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