Survie

L’île Maurice, angle mort de la « liste Canfin » des paradis fiscaux

rédigé le 5 juin 2013 (mis en ligne le 1er août 2013) - Mathieu Lopes

A l’heure où le gouvernement
affiche sa volonté de
combattre l’évasion fiscale,
le ministre délégué au
Développement, Pascal
Canfin, a publié fin mai une
liste de 17 paradis fiscaux
par lesquels l’Agence
française de développement
ne passera plus. Une
avancée, certes, mais qui
« oublie » l’Île Maurice,
pourtant utilisée par l’AFD
dans plusieurs projets
africains. Plus généralement,
la portée de ce type de liste
de paradis fiscaux est limitée
par définition.

Présenté dès son entrée au gouver­nement comme un spécialiste du
sujet, Pascal Canfin se devait de
faire un geste politique sur les paradis
fiscaux. Ainsi, en publiant une liste de
17 pays via lesquels l’aide publique
au développement française ne devrait
plus pouvoir transiter, le ministre va
plus loin que la ridicule liste officielle
française des « États et territoires non
coopératifs
 », qui ne comporte que huit
noms dont aucun ne peut être considéré
comme un poids lourd du genre [1].

Comme
le relève l’AFP le 28 mai, les
paradis fiscaux et judiciaires s’illustrent
par « leur manque de coopération lors
d’enquêtes sur le détournement [de l’aide
au développement]
 ». Cette annonce, qui
doit encore être suivie de faits, est donc
une avancée vers une aide publique au
développement « épurée ».

L’absence remarquée de l’île Maurice

En janvier 2013, Billets d’Afrique mettait
en lumière l’African Agriculture Fund
(AAF)
, lancé notamment par l’AFD,
un fonds d’investissement « pour
l’agriculture en Afrique
 », qui fait
miroiter à ses partenaires privés de beaux
profits en misant sur l’accaparement de terres. La gestion de l’AAF a été confiée
à un gestionnaire de fonds enregistré à
Maurice, et le premier investissement
de ce fonds était une participation dans
Goldtree, accapareur de terre également
basé à l’île Maurice.

Malheureusement la liste présentée par
Pascal Canfin n’inclut pas ce paradis
fiscal si pratique, y compris pour l’argent
sale. Ainsi, en 2009, le magistrat anti-
corruption Renaud Van Ruymbecke
ironisait : « Deux exemples parfaits, et
je les conseille d’ailleurs à ceux qui
ont de l’argent sale à placer, c’est l’île
Maurice et Singapour. Quand un juge
fait une demande à l’île Maurice dans
une enquête, il n’y a pas de réponse
 » [2].

En 2010, les plateformes d’ONG Counter
Balance et Eurodad pointaient l’usage trop
régulier de l’île Maurice par la Banque
européenne d’investissement (BEI) pour
le financement de projets en Afrique.
D’après leurs travaux, 60% des fonds
d’investissement de la BEI pour l’Afrique
s’y trouvaient. Jean Merckaert, spécialiste
des paradis fiscaux relevait alors :
« L’Agence française de développement
(AFD) n’est pas en reste. Elle a octroyé
au gouvernement mauricien 72 millions
d’euros depuis 2006 en appui au
« programme de transition économique ».
Celui-ci vise notamment à « renforcer les
services financiers », peut-on lire sur le
site de l’AFD
 ». Si cette mention ne figure
plus aujourd’hui sur le site de l’AFD, ce
paradis fiscal semble malheureusement
toujours être utilisé.

Sur le cas précis de l’île Maurice, la
volonté politique semble pourtant exister
ailleurs. Ainsi, l’homologue belge de
M. Canfin, le ministre de la Coopération
au développement, Jean-Pascal Labille
a annoncé devant son parlement que la
société belge d’investissement pour les
pays en développement (BIO) se dégagerait
« le plus rapidement possible » de ses
fonds d’investissement dans les grands
centres offshore : 6 aux îles Caïman, 7 à
l’île Maurice et 5 au Luxembourg [3].

Des limites des listes de paradis fiscaux et judiciaires

Si le geste du ministre français est
un acquis à prendre, l’outil choisi
porte, par sa définition, des limites. Il s’attaque ainsi à la Suisse, place forte
de l’évasion fiscale et de l’opacité
ciblée par de très nombreuses autres
initiatives ces derniers temps, mais
oublie donc Maurice, ainsi que l’en­
semble des territoires européens,
dont le Luxembourg en particulier.

D’une ma­nière générale, cette liste de
17 territoires est à comparer au classement
suivant l’Indice d’opacité financière établi
pas le Tax Justice Network qui examine
73 juridictions dont les pratiques et la
législation posent problème. Une liste
restreinte implique donc, soit le choix de
critères à la définition délicate, soit, plus
probablement, le ménagement de certains
territoires pour des raisons politiques. Par
ailleurs, un tel outil crée, en creux, un
vernis acceptable pour les juridictions qui
n’y figurent pas.

Le bémol de Fabius

Cette liste doit donc être prise comme une
avancée à la fois pour une aide publique
au développement plus saine et la lutte
générale contre l’utilisation des paradis
fiscaux et judiciaires.

Certains nominés ont même fait preuve
d’une certaine inquiétude. Ainsi, Laurent
Fabius s’est senti obligé de bien préciser
à l’agence de presse hispanophone EFE

le caractère purement technique de cette
liste, le Panamá et le Costa Rica y figurant.
Cette nouvelle liste permet d’ailleurs de
remettre en lumière l’inutilité totale de la
liste noire française officielle.

Mais d’une part, on aimerait bien connaître
les activités exactes de l’AFD auxquelles
elle imposera de mettre fin. D’autre part,
surtout, elle est encore insuffisante, tant
dans le nombre des juridictions pointées
que dans son champ d’application, et les
enjeux appellent des mesures à l’ampleur
bien plus étendue.

[1Pour rappel, cette liste comporte le Botswana,
Montserrat, Brunei, Nauru, le Guatemala, Niue,
les îles Marshall et les Philippines. Elle est donc
totalement inutile.

[2Cité par Jean Merckaert,Ile Maurice, l’autre paradis, Faim Développement Magazine n°245,
janvier-février 2010

[3Un député d’opposition relève, avec
raison, que les investissements à Guernesey et
aux Bermudes ont été oubliés par son ministre.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 225 - juin 2013
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