Survie

Paul Barril face à la justice française

rédigé le 3 juillet 2013 (mis en ligne le 2 septembre 2013) - Groupe Rwanda

De nouveaux ennuis
judiciaires se profilent pour
l’ancien gendarme Paul Barril
alors que le parquet a ouvert
une information judiciaire à la
suite d’une plainte le visant
pour complicité de génocide.

Une qualification gravissime
contenue dans la plainte
déposée le 24 juin dernier par
l’association Survie, la Fédération
internationale des ligues des droits de
l’homme (FIDH) et la Ligue française
des droits de l’homme (LDH)
qui
s’appuie notamment sur l’accord
d’assistance de fourniture d’armes
et de munitions et de formation et
d’encadrement, signé le 28 mai 1994,
par Barril et le Premier ministre du
Gouvernement intermédiaire rwandais
(GIR), Jean Kambanda. Cette plainte
s’appuie également sur la jurisprudence
du Tribunal Pénal International :

« un
accusé est complice de génocide s’il a
sciemment et volontairement aidé, assisté
ou provoqué une ou d’autres personnes
à commettre le génocide, sachant que
cette ou ces personnes commettaient
le génocide, même si l’accusé n’avait
pas lui-même l’intention spécifique de
détruire en tout ou en partie le groupe
national, ethnique, racial ou religieux
visé comme tel.
 »

Paul Barril est particulièrement au fait
de la situation politique au Rwanda. Il
travaille en effet depuis 1989 avec les
autorités rwandaises avec lesquelles il
a été mis en contact par l’intermédiaire
de François de Grossouvre, l’homme
de l’ombre de François Mitterrand. La
liste de ses contacts rwandais recouvre
les cercles du pouvoir : Habyarimana,
Sagatwa,
Singaye,
Nsengiyumva,
Bagosora, Bizimungu, Kabiligi... Il
affirme même avoir été en contact
régulier avec la rébellion, le Front
Patriotique Rwandais (FPR). Puis en
avril 1994, pendant le génocide, Paul
Barril est au Rwanda : il sait donc ce
qui s’y passe.

Par ailleurs, les acteurs
qui suivaient à l’époque la politique
rwandaise connaissaient l’existence
d’un risque de génocide
. Après les
enquêtes des organisations de défense
des droits de l’homme en 1992 et 1993
sur les massacres qui avaient déjà eu
lieu, l’ONU se penche sur le dossier
rwandais et réalise une enquête sur place
en avril 1993. Le rapport de l’envoyé
spécial Bacre Waly Ndiaye paraît le 11
août 1993, et décrit déjà l’implication
des autorités dans les massacres, la
formation des miliciens par les FAR,
la distribution d’armes de guerre à des civils et l’utilisation des médias pour
inciter à la haine.

Un contrat d’armement en plein génocide

Avec plus d’un mois de retard, le 17 mai
1994, alors que le génocide est en cours,
l’ONU vote la résolution 918 qui instaure
un embargo sur les armes car les miliciens
et militaires de l’armée rwandaise (FAR)
tuent certes à l’aide de machettes, mais
aussi avec des fusils de guerre, des
grenades et même dans certain cas à l’aide
de mortiers comme à Bisesero.

Une dizaine de jours plus tard, le 28 mai,
Jean Kambanda, Premier ministre du
gouvernement génocidaire, signe donc
avec Paul Barril un contrat d’ « assistance »
pour 2 millions de cartouches de calibre
5,56 et 7,62, des milliers de grenades à
main, de grenades à fusils, d’obus et de
mortiers, ainsi que de la formation et de
l’encadrement. Montant du contrat : 3,13
millions de dollars. Un acompte de 1,2
millions de dollars est versé à Paul Barril
par l’attaché militaire de l’ambassade du
Rwanda à Paris, le Lieutenant-colonel
Ntahobari, sur ordre du ministre de la
Défense Augustin Bizimana.

Plusieurs témoignages recueillis par
le Tribunal Pénal International pour le
Rwanda (TPIR) prouvent que les types
d’armes que Paul Barril s’était engagé à
fournir ont servi au génocide. Dans un
télégramme daté du 12 juin 1994, le préfet
Kayishema, condamné par le TPIR pour
génocide, avait réclamé des munitions
pour commettre le génocide à Bisesero.

Détail de la demande : « grenades à fusils,
grenades à main, cartouches pour R4 [un
fusil d’assaut de calibre 5,56...]
 ». Jean
Kambanda, condamné à la prison à vie
pour génocide, le reconnaît d’ailleurs dans
des aveux écrits au TPIR : il a distribué
des armes à des miliciens et des civils
dans le but de commettre le génocide.

Un contrat partiellement exécuté

Un compte-rendu de réunion des FAR
en exil au Zaïre de septembre 1994 nous
apprend que l’essentiel de ce contrat du 28
mai n’a cependant pas été honoré par Paul
Barril : « L’opération TURQUOISE NE
voulant PAS superposer avec toute autre
coopération française avec le Rwanda
a fait rater la mission BARRIL
 ». Cette
phrase prouve néanmoins que la non-exécution du contrat n’est pas du fait de
Paul Barril. Or en droit, la seule tentative
du crime de complicité de génocide est
punissable. Par ailleurs, ce même compte-
rendu indique que le contrat a néanmoins
été effectué pour un montant de 130 000
dollars, auquel il est fait référence dans
le contrat sous la forme « la première
mission
 ». Les génocidaires en exil au
Zaïre voudraient donc récupérer auprès de
Paul Barril la somme de 1,07 millions de
dollars. Une lettre d’Augustin Bizimana au
Premier ministre Jean Kambanda, en date
du 13 septembre 1994, précise à propos
d’« un certain ancien capitaine de la
Gendarmerie française nommé BARRIL
 »
qu’« il faudrait par conséquent récupérer
le solde après avoir réglé les factures du
Capitaine BARRIL dont 130.000 $ USA de
location d’un avion utilisé par son équipe
en mai 1994.
 »

19 ans d’attente

L’Etat français était au courant depuis
le printemps 1994 d’au moins une partie
de ces activités de Paul Barril, y compris
de l’existence de ce contrat. Pourquoi,
pendant toutes ces années, ces éléments
n’ont-ils pas été fournis au parquet pour
ouverture d’une enquête ? Et qui est le
responsable français qui a proposé que le
capitaine Barril soit promu au grade de
commandant de réserve de la gendarmerie
à l’été 1994 ?

Il a donc fallu une plainte 19 ans plus tard
pour qu’une instruction judiciaire soit
enfin ouverte. Cette instruction devrait,
entre autre, permettre d’éclaircir le contenu
de cette « première mission », ainsi que
la mention, dans ce même compte-rendu
des FAR en exil, de l’existence « d’autres
contrats du genre
 »...

Quant à la phrase « L’opération
TURQUOISE NE voulant PAS superposer
avec toute autre coopération française avec
le Rwanda a fait rater la mission BARRIL
 »,
elle peut être interprétée de multiples
façons. L’armée française prétend ne pas
avoir de lien avec Barril, sous prétexte
qu’il agit à titre privé, comme mercenaire.

Or peu après le génocide, en 1998, la revue
de stratégie de l’armée, Défense Nationale,
publie un article sur le recours de l’armée
aux mercenaires, adaptés aux opérations
clandestines, et inéluctables pour les
interventions au milieu de populations en
armes en guerre civile. L’auteur de l’article
n’est autre que le commandant Grégoire de
Saint-Quentin, assistant militaire technique
à la mission militaire de coopération au
Rwanda en 1994. A ce titre, il conseillait
le bataillon paracommando de l’armée
rwandaise - régiment qui allait devenir le
fer de lance du génocide.

Des mercenaires français impliqués dans le massacre de Bisesero ?

Dans un article documenté, un des meilleurs connaisseurs du dossier,
le journaliste Jean-François Dupaquier ouvre d’autres pistes quant à
la présence de Barril au Rwanda et non des moindres : « Bien d’autres
questions sont posées sur le rôle de Paul Barril et de son équipe de
mercenaires français embauchés par le « gouvernement génocidaire » et
présents au Rwanda durant le génocide. Plusieurs d’entre-eux semblent
s’être trouvés sur les collines de Bisesero à la mi-mai 1994 pour conseiller
l’extermination des Tutsi qui s’y étaient rassemblés au nombre d’environ
50 000 et qui menaient une défense désespérée. Un des mercenaires
de l’équipe, peut-être révolté par le « travail » qui lui était assigné, a été
tué par un milicien interahamwe le 20 ou 21 juin 1994. Le milicien a été
convoqué par le Premier ministre Jean Kambanda, peut-être moins
pour le sermonner que pour lui imposer le silence sur cet « accident
professionnel
 ». Les sites français de mercenaires qui prétendent « rendre
hommage aux nôtres tués au combat
 » se sont bien gardés de citer son
nom et les circonstances de son décès.
 » (Afrikarabia, 26 juin)

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 226 - juillet-août 2013
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