Survie

Loi de programmation militaire : quel avenir pour la présence militaire française en Afrique ?

rédigé le 2 novembre 2013 (mis en ligne le 13 novembre 2013) - Raphaël Granvaud

Le texte de la loi de programmation militaire présenté cet été par le ministre de la Défense vient d’être adopté par le Sénat et sera voté à l’Assemblée nationale début décembre. L’ingérence militaire reste au cœur du projet.

La nouvelle loi de programmation
militaire, pour la période 2014-2019,
doit traduire budgétairement
les priorités mentionnées par le dernier
Livre blanc sur la défense
. Au nombre de
ces dernières, l’engagement prévu de nos
forces dans des « zones prioritaires pour
la défense et la sécurité
 », notamment
« le Sahel, de la Mauritanie à la Corne
de l’Afrique, ainsi qu’une partie de
l’Afrique subsaharienne
 ».

Préparer les prochaines interventions

Dans un contexte de restrictions
budgétaires et de suppressions de postes,
la capacité à rééditer une opération du
même type que l’opération Serval au
Mali est une préoccupation qui a
d’ailleurs été exprimée à plusieurs
reprises dans les débats préparant le vote
de la loi. Et ce, alors même que les
sénateurs reconnaissent (au vu des
opérations menées en Irak, en
Afghanistan, en Libye, et même au Mali
« où l’instabilité s’est transportée comme
dans un vase communiquant sur d’autres
pays
 ») que «  le bilan des interventions
depuis une quinzaine d’année n’est à
l’évidence pas totalement positif
 »…

Le budget de la défense est en fait un des
rares à être « préservé en valeur en dépit
de la conjoncture
 », selon les mots du
ministre. La diminution des effectifs
initiée précédemment est accentuée, mais
les moyens ainsi dégagés sont utilisés
pour «  donner la priorité à
l’équipement
 » et combler en partie les
lacunes matérielles déplorées par les
militaires au moment des précédentes interventions. Les opérations en Libye et
au Mali n’auraient en effet pu être
menées aussi rapidement sans l’aide
américaine en matière de renseignements
(drones), de ravitaillement en vol ou de
transport logistique.

« Diminuer nos effectifs en augmentant notre présence »

Concernant les forces prépositionnées (en
Afrique ou sur les territoires non
décolonisés), une déflation d’un peu plus
de mille hommes est annoncée. La base
de Djibouti devrait par exemple être
réduite à 600 hommes permanents contre
1400 aujourd’hui. Le reste de la
répartition n’a pas été communiquée. Si
cette évolution s’inscrit dans une histoire
longue de la diminution du nombre de
militaires français présents
(officiellement) de manière permanente
sur le sol africain depuis les
indépendances, au vu des priorités
réaffirmées par le dernier Livre blanc il
est peu probable que le nombre de
soldats présents diminue énormément, si
l’on considère tous les dispositifs
(coopération, opérations extérieures,
forces spéciales ou clandestines), et pas
seulement les forces prépositionnées
officielles. Le ministre de la Défense a
lui-même
prévenu tout contresens qui
interpréterait cette évolution comme un
désengagement : « Il n’est pas question
de renoncer à nos implantations en
Afrique mais de les organiser
différemment. Je n’ai pas tranché sur le
périmètre, mais sur un chiffre global.
 »

Le même expliquait :

« Une
réorganisation intelligente consiste à
diminuer nos effectifs en augmentant
notre présence
 ».

Cet apparent paradoxe renvoie sans
doute aux modèles de réorganisation
proposés par le dernier rapport des
sénateurs Chevènement et Larcher,
consacré aux enseignements de
l’opération Serval. Ceux-ci,
reprenant
sans doute les suggestions des officiers
auditionnés, plaidaient pour le maintien
de deux « bases opérationnelles » (à
Abidjan et Djibouti), de deux « pôles
opérationnels de coopération
 » plus
réduits (Dakar et Libreville) et pour le
développement, à l’image de la stratégie
américaine de quadrillage militaire,
d’échelons plus légers, d’un « réseau de
"nénuphars" autour de la zone de crise
que constitue aujourd’hui la bande
sahélosaharienne
(reposant sur les
dispositifs Épervier, Sabre et Serval)
 ».

Soldats français à la cérémonie d’investiture du président malien
Photo sous licence Creative Commons de la MINUSMA

Toujours plus de forces spéciales

Lors de l’examen du projet de loi, les
sénateurs se sont par ailleurs étonnés de
la baisse de la dotation prévisionnelle
pour les opérations extérieures (450
millions contre 630 l’année passée) dans
un contexte où les surcoûts finalement
constatés n’ont cessé d’augmenter pour
dépasser le milliard d’euros ces dernières
années. En 2013, le surcoût dû aux Opex
sera par exemple de 1.3 milliard d’euros,
dont la moitié pour l’opération Serval. Ils
se demandent notamment si cela ne
correspond pas à la volonté de
transformer « certaines opérations qui
n’ont plus rien de temporaire
 » (Licorne
en Côte d’Ivoire, Epervier au Tchad) en
forces prépositionnées, ce qui, dans le
cas de la Côte d’Ivoire constituerait un
retour en arrière, la base de PortBouët
ayant été fermée sous la présidence de
Laurent Gbagbo.

Un autre scénario est également possible,
compatible avec la stratégie des
« nénuphars » : c’est celui du
renforcement de la présence des forces
spéciales. Celles-ci
sont en effet les
seules qui « verront leurs effectifs et
leurs moyens de commandement
renforcés, de même que leur capacité à se
coordonner avec les services de
renseignement.
 » Or les hommes du
Commandement des Opérations
Spéciales (COS), déjà massivement
présents de manière non-officielle
en
Mauritanie, au Burkina, au Niger ou au
Mali ne sont comptabilisés ni dans les
troupes prépositionnées, ni dans les
opérations extérieures…

Décidons d’abord, expliquons ensuite

L’opération Serval a décomplexé les
militaires et les politiques, qui retrouvent
soudainement toutes les vertus aux
interventions unilatérales à l’ancienne.
Sur le fond, cela s’est traduit dans le
Livre blanc puis dans la loi de
programmation militaire, par
l’affirmation d’un impérialisme militaire
en Afrique (pardon, du devoir de
« défendre nos intérêts stratégiques » et
« d’exercer nos responsabilités
internationales
 ») parfaitement assumé.

La forme est également révélatrice de la
nature des relations qui perdurent entre
l’exécutif français et certains chefs
d’états des anciennes colonies africaines.
Ainsi, selon le journaliste Jean-Marc
Tanguy, « jusqu’à maintenant, la
communication sur les restructurations
[des forces prépositionnées] a
soigneusement évité d’évoquer les sites à
l’étranger, du fait des implications
diplomatiques
. »

La présence des forces
françaises en Afrique nous est pourtant
toujours vendue comme le fruit d’une
politique concertée avec les
gouvernements africains, les bases
militaires n’existant qu’à la demande et
au service de ces derniers. Voilà pourtant
comment Le Drian, auditionné par les
sénateurs, présente la réorganisation des
bases militaires en Afrique :

« j’en
parlerai prochainement au président de
la République. Ces décisions seront
ensuite expliquées aux chefs d’États
africains concernés. Le sommet France-Afrique
relatif aux questions de sécurité
qui se tiendra à la fin de l’année en sera
l’épilogue.
 »

Une variation sur le thème
« je décide, ils exécutent », comme disait
l’autre. Étrangement, ce passage a
disparu lors de la reproduction de
l’audition de Le Drian dans le rapport
des Sénateurs [1]

[1Ndr : on en trouve trace sur le site de l’ASAF (Association de Soutien à l’Armée Française) et sur ce document publié sur le site du ministère de la Défense

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 229 - novembre 2013
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