Survie

Naufrages en Méditerranée : la même politique produira les mêmes effets

rédigé le 2 novembre 2013 (mis en ligne le 2 janvier 2014) - Marie Bazin

Sans surprise, l’emballement médiatique récent sur les naufrages de migrants ne change
en rien la ligne politique européenne. Au contraire, les mécanismes criminels décriés
depuis des années par les associations de solidarité seront renforcés.

Alors que de nombreuses
associations égrènent depuis
longtemps le nombre de migrants
morts en Méditerranée en tentant de
rejoindre l’Europe (près de 20 000 depuis
le milieu des années 1990), les médias et
dirigeants européens ont fait mine de
découvrir l’ampleur de ce drame à
l’occasion de deux naufrages récents : l’un
près de l’île de Lampedusa, dans lequel
366 personnes sont mortes (pour la plupart
érythréennes), et le second à Malte qui a
coûté la vie à des dizaines de Syriens.

Les
réactions officielles européennes ne se
sont pas faites attendre. La commissaire
européenne aux affaires intérieures,
Cécilia Malmström, s’est dite
« profondément attristée » et a qualifié les
événements de « tragédie européenne » [1].
Le Parlement européen a également
exprimé sa « profonde tristesse » et
demandé à ce que « Lampedusa soit un
tournant pour l’Europe
 » vers une
« stratégie coordonnée fondée sur la
solidarité et la responsabilité
 » [2].

Quel
cynisme, quand l’on sait que ces
naufrages, qui s’ajoutent à une liste déjà
longue, sont la conséquence de politiques
migratoires européennes toujours plus
sécuritaires depuis 20 ans. Et que les
législations ou règles adoptées très
récemment au niveau européen ont pour
objectif de renforcer encore la fermeture
des frontières, poussant les migrants à
emprunter des routes migratoires toujours
plus dangereuses. Les solutions que vient
de proposer la Commission européenne
(système EUROSUR, renforcement des
moyens de l’agence Frontex, partenariats
avec les pays d’origine) ne sont en fait que
le prolongement d’une politique existante,
qui produira donc les mêmes effets.

Repousser les hordes barbares

Le Parlement européen a adopté le 10
octobre la proposition de règlement
« portant création du système européen de
surveillance des frontière
s » (Eurosur). En
négociation depuis près de deux ans, ce
règlement vise à faciliter les échanges
d’information et la coopération entre les
Etats membres de l’UE et l’agence
Frontex chargée de la surveillance des
frontières, dans le but de « détecter, de
prévenir et de combattre l’immigration
illégale et la criminalité transfrontalière
 »
grâce à des technologies de pointe
semblables à celles utilisées dans le
domaine militaire. L’objectif de protection
de la vie des migrants ne vient qu’en
seconde position, et quand il est question
dans le règlement d’analyser le « niveau
d’impact
 » de certaines zones frontalières,
cela n’est envisagé qu’en termes d’impact
pour la sécurité de la frontière, et non pour
la vie des migrants. À aucun moment n’est
mentionné précisément ce qu’il adviendra
de ces bateaux détectés par le système.

Ne pas laisser mourir ... sur nos plages

Il est également proposé de renforcer les
moyens de l’agence Frontex. Or ces
moyens ont déjà été augmentés récemment
(en 2011), et l’agence a été dotée d’une
plus grande autonomie, sans que ne soient
apportées de réponses aux critiques
formulées à son encontre : en particulier
les violations des droits fondamentaux
(refoulement de migrants lors des
opérations d’interception, atteinte au droit
d’asile) et la dilution des responsabilités
en cas de telles violations. Et quand bien
même la recherche et le sauvetage en mer
entreraient dans le mandat officiel de
Frontex, cela ne garantit pas le respect du
droit des migrants, puisque ces personnes
sont ensuite remises aux autorités
grecques, italiennes, maltaises, et le plus
souvent placées en détention, exposées à
des traitements inhumains ou dégradants,
sans aucune garantie de pouvoir déposer
une demande d’asile et que celle-ci
soit
examinée sérieusement.

Il est vrai
toutefois que les dirigeants européens
n’ont pas dit se préoccuper des droits des
migrants, il n’est question ici que de leur
survie, pour éviter un nouvel emballement
médiatique mettant le projecteur sur les
politiques européennes…

Sous-traitance discrète

Autre outil avancé par la Commission : les
partenariats avec les pays d’origine et de
transit des migrants. Le «  partenariat sur
la migration et la mobilité
 » signé avec le
Maroc le 7 juin 2013, et premier du genre
conclu avec un pays du pourtour
méditerranéen (d’autres sont en
négociation), est pris en exemple. Or son
objectif n’est pas de protéger la vie et les
droits des migrants, mais bien de coopérer
en matière de lutte contre l’immigration
irrégulière et de poursuivre les
négociations pour un accord de
réadmission (renvoi) des migrants en
situation irrégulière présents en Europe
(accord qui s’appliquerait aux migrants
marocains comme aux migrants
subsahariens ayant transité par le Maroc).

Que le Maroc n’ait pas de législation
complète sur le droit d’asile et que
beaucoup de migrants subsahariens y
survivent dans des conditions
désastreuses, victimes d’agressions
racistes et de violences lors des opérations
massives de reconduite à la frontière, ne
semble pas poser de problème à l’UE.

Rappelons qu’un accord du même type
était envisagé avec la Libye de Kadhafi.
Tous les moyens sont bons, y compris le
soutien à des dictatures, pour maintenir les
« indésirables » en dehors du territoire
européen et des eaux méditerranéennes. Et
sans jamais, surtout, s’interroger sur les
causes de leur exil et condamner les
responsabilités européennes.

[1Déclarations
de la commissaire européenne
du 3 octobre et du 8 octobre 2013

[2Communiqué
de presse du Parlement
européen du 23 octobre 2013

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 229 - novembre 2013
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