Survie

L’armée française hors de tout contrôle au Mali

rédigé le 5 janvier 2014 (mis en ligne le 13 janvier 2014) - Yanis Thomas

Si la France est intervenue massivement au Mali à partir de janvier 2013, le statut de la
force « Serval » n’a été clairement énoncé qu’à partir du 8 mars 2013, à travers un accord
sous forme d’échange de lettres entre Paris et Bamako [1]. Celui-ci a pour but de définir les
règles qui s’appliquent au corps expéditionnaire français présent dans le pays.
Décryptage.

Blindé français à Tombouctou
Image sous licence Creative Commons by-nc-sa 2.0 par Mission des Nations Unies au Mali

Tout d’abord, le préambule de
l’accord rappelle que celui-ci
s’applique « au détachement
français pendant toute la durée de son
déploiement sur le territoire de la
République du Mali dans ses opérations
d’assistance militaire à l’Etat malien et de
protection des ressortissants français sur
l’intégralité de son territoire
. »

Deux missions sont ainsi dévolues à la
force Serval, la première étant définie de
façon assez floue pour englober toute
action militaire menée par la France. On
verra par la suite qu’il s’agit surtout de
donner carte blanche à la soldatesque.
L’esprit de l’accord commence à se
dévoiler dès le premier article. Celui-ci
stipule que « pendant la durée de son
déploiement, le personnel du détachement
français bénéficie des immunités et
privilèges identiques à ceux accordés aux
experts en mission par la convention sur
les privilèges et immunités des Nations
unies du 13 février 1946
 ». Or, une partie
de cette convention est tout à fait
préoccupante.

Ainsi la section 22b de
l’article 4, relatif aux experts en mission,
stipule que ceux-ci
jouissent de
« l’immunité de toute juridiction en ce qui
concerne les actes accomplis par eux au
cours de leurs missions (y compris leurs
paroles et écrits). Cette immunité
continuera à leur être accordée même
après que ces personnes auront cessé de
remplir des missions pour l’Organisation
des Nations Unies
 » [2]. En un mot, les
militaires français ne pourront pas être
poursuivis par la justice pour des
infractions qu’ils auraient pu commettre durant leur participation aux
opérations au Mali. Une
impunité totale, qui ne peut être
levée que par le Secrétaire
général dans le cas de l’ONU.

En territoire conquis

La suite de l’accord est tout
aussi édifiante. L’article 5
permet au détachement
français de circuler sans
restriction sur le territoire
malien, « sans qu’il ait à
solliciter un accompagnement
par les forces de la Partie
malienne.
 »
L’État malien n’a donc aucun
droit de regard et encore
moins un moyen de contrôle
sur les agissements des
troupes présentes sur son sol.

Par contre, la France prend bien soin
d’incorporer au sein des unités maliennes
des détachements de liaisons et d’appui
afin de garder un oeil sur les actions de
ces dernières. L’article 6 annonce que les
autorités maliennes chargées de l’ordre et
de la sécurité publique « autorisent les
membres du détachement français
assurant des missions de protection des
ressortissants français à prendre toutes
les mesures requises pour assurer la
sécurité des personnes, y compris sur la
voie publique
 ». Cette disposition donne
à peu de frais une couverture juridique à
une éventuelle opération d’évacuation.
Par ailleurs, si les choses tournent mal et
qu’il y a du dégât, « la Partie malienne
prend à sa charge la réparation des
dommages causés aux biens ou à la
personne d’un tiers, y compris lorsque la
Partie française en est partiellement à
l’origine. En cas d’action judiciaire
intentée à l’occasion de tels dommages,
la Partie malienne se substitue dans
l’instance à la Partie française mise en
cause [Article 9]
 ». Donc si un blindé
français percute une voiture ou cause un
dommage quelconque à un malien ou
une malienne c’est l’Etat malien qui
paie !

Comble d’hypocrisie, l’article 12
rappelle que « le présent échange de
lettres n’a pas pour effet d’abroger
l’accord de coopération militaire
technique du 6 mai 1985
 », lequel accord
de coopération « exclut toute possibilité
de stationnement d’unités constituées des
Forces Armées françaises sur le territoire
malien [article 12]
 » [3]. Ce qui n’est pas,
bien évidemment, la nature même de
l’opération Serval.

Vive la contradiction !

Le voile de fumée du raccrochage à l’ONU

Pour tenter de renforcer la légitimité de
ses troupes, la France a cherché à draper
son action d’un voile onusien. Un accord
de coopération a ainsi été signé dans le
courant de l’été entre les autorités
françaises et l’ONU. Ce qui ne fait pas de
la force Serval un élément à part entière
de la MINUSMA (la Mission
multidimensionnelle Intégrée des Nations
Unis pour la Stabilisation au Mali).
Celle-ci
n’a pas plus d’emprise sur les
troupes françaises que l’Etat malien.
Ainsi, celles-ci
sont « supposées
"intervenir en soutien à des éléments de
la Minusma en cas de danger grave et
imminent les menaçant, et à la demande"
de Ban Kimoon.

 » (Le Monde,
17/07/2013).

Pour autant, la France se garde le droit de
choisir si son soutien sera «  direct ou
indirect, au sol ou aérien
 » et aura ainsi
« le choix des moyens, du nombre et du
lieu
 ». En clair, Paris décide selon son
bon vouloir de son assistance aux troupes
de l’ONU. Et selon son agenda
politique : que fera la France si la
MINUSMA lui demande d’intervenir
contre les rebelles du MNLA, que la
DGSE a soutenu et soutient peut être
encore en sous main [4] ? Si la France
voulait réellement se mettre au service de
la MINUSMA, pourquoi ne pas avoir
directement intégré celle-ci ?

Incorporées à la MINUSMA, les troupes
françaises auraient très bien pu avoir un
mandat offensif (autonome du mandat
général de stabilisation de la situation
donné à la mission), afin de lutter contre
les groupes armés, sur le modèle de la
brigade d’intervention constituée au sein
de la MONUSCO en République
Démocratique du Congo. Mais la France
préfère garder les mains libres, afin
d’imposer sa ligne politique.

La France s’installe

Conscient du caractère plutôt bancal de
l’accord relatif à l’opération Serval,la
France va prochainement signer un
accord de coopération de défense avec le
Mali
afin de renforcer le poids juridique
de son intervention et donner un cadre
fort à son implantation durable dans le
pays. Ainsi «  le nouvel accord franco-malien
ira au-delà
de la simple
coopération de défense classique (…).
Paris agira selon ses besoins. S’il s’agit
officiellement de mieux échanger le
renseignement, cela n’ira pas jusqu’à
informer au préalable les autorités
maliennes des actions entreprises.
 » Le
régime d’exception accordé à la France
lors de son offensive contre les groupes
armés, déjà hautement critiquable en
temps de guerre, va donc être maintenu
ad vitam aeternam, piétinant allègrement
la souveraineté des Maliens.

[1Accord
déterminant le statut de la force
Serval, décret du 29/04/2013

[2Convention
sur les privilèges et immunités
des Nations Unies p.2021

[4Mali
 : les secrets d’une guerre éclair
, Le
Nouvel Observateur, 11/06/2013 et L’avenir du
Mali suspendu à la question touareg
, Jacques
Follorou, Le Monde, 14/08/2013

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 231 - janvier 2014
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