Survie

Sommet de l’Élysée : un « nouveau partenariat » militaire de la France en Afrique ?

rédigé le 5 janvier 2014 (mis en ligne le 3 mars 2014) - Raphaël Granvaud

Avec ce nouveau sommet sur « la sécurité », les conseillers de l’Elysée voulaient, paraît-il, laisser l’image d’un nouveau sommet de La Baule. La comparaison n’est pas infondée : comme en 1990, on fait semblant de faire du neuf avec du vieux…

Les grand-messes
françafricaines
sont toujours l’occasion de
commentaires extatiques. Le
dernier sommet dit « de l’Elysée », qui a
rassemblé une quarantaine de chefs d’Etat
africains autour de François Hollande,
selon une tradition bien établie, n’a pas
fait exception.

La palme revient sans
doute à Bernard Guetta, qui, dans sa
chronique « Géopolitique » du 4
décembre (réécoutable
pendant 3 ans, on
ne s’en lasse pas), s’est surpassé,
fournissant un véritable collier de perles.
Le journaliste de France Inter nous
explique entre autres que la France se
« réinvestit en Afrique » avec « un
nouveau dessein
 », qu’elle « a donc
conçu sur sa lancée malienne de mettre
ses soldats à la disposition non plus de
chefs d’Etat amis, mais du continent
entier, de son union et de ses
organisations régionales, comme force de
formation, d’entraînement et
éventuellement d’appui. Cette nouvelle
approche a été d’autant mieux reçue que
personne d’autre ne proposait rien de
tel.
 » Et de conclure qu’un tel
dévouement saura bien profiter malgré
tout…aux entreprises françaises.

Du nouveau pas si neuf

Passons sur le fait que la présence de
coopérants militaires permanents au
niveau de l’Union Africaine (UA), de la
CEDEAO ou de la CEEAC, n’est pas
nouvelle et n’a pas remplacé, mais s’est
ajoutée à la coopération au service des
« chefs d’Etat amis », et que la France
n’est nullement la seule à prétendre aider
l’UA à développer des capacités
militaires. Ce soutien français à la
constitution de « casques bleus » africains
est plus un serpent de mer qu’une
nouveauté. Déjà François Mitterrand
parlait d’une « force d’intervention
africaine
 » dans les années 1980, thème
réactivé au sommet France-Afrique
de
Biarritz en 1994. Le dispositif RECAMP,
lancé au sommet du Louvre en 1998, vise
officiellement le même objectif et s’est
efforcé d’épouser les évolutions
institutionnelles sur le continent.

En 2003,
l’Union africaine s’est dotée d’un Conseil
de paix et de sécurité (sur le modèle de
l’ONU), puis, poussée par les puissances
occidentales, a validé le principe de
création d’une « Force africaine en
attente
 ». Celle-ci
doit être alimentée par
cinq brigades régionales (Afrique
australe, Afrique centrale, Afrique de
l’Est, de l’Ouest, du Nord). Mais, du fait
des rivalités nationales, des obstacles
financiers et matériels, des difficultés de
standardisation, l’état d’avancement
diffère selon les régions.

Par ailleurs, il
existe également une concurrence de
leadership entre l’Union africaine et les
institutions (comme la CEDEAO)
auxquelles sont rattachées ces brigades,
certains chefs d’Etat estimant que la
décision d’intervention doit rester
régionale. Toutes ces raisons (que l’on
retrouve par ailleurs, avec des spécificités,
au niveau de la Défense européenne…)
expliquent que cette force africaine soit
pour l’instant restée inopérante.

En
attendant, le sommet d’Addis Abeba
(célébrant le cinquantenaire de la création
de l’OUA, devenue UA), a annoncé la
création, de manière transitoire, d’une
force de réaction rapide : la Capacité
africaine de réponse immédiate aux crises
(CARIC), directement rattachée à l’UA,
court-circuitant
les échelons régionaux, et
censée permettre un processus
décisionnel et une mise en place accélérés
en cas de crise. Mais faute de
contributions suffisantes, elle n’existe
pour l’instant que sur le papier.

Un « partenariat » pour quoi faire ?

Depuis dix ans, l’aide que la France
prétend apporter à la constitution d’une
force africaine sert de justificatif pour le
maintien des ses bases et de sa
coopération militaires en Afrique, même
si les contributions budgétaires dédiées à
cet objectif sont en réalité restées faibles.

Le « nouveau partenariat » que François
Hollande a proposé à ses homologues
africains n’a dont rien de très nouveau,
mais il semble que le président français
soit cette fois plus pressé de faire aboutir
la constitution d’une force multilatérale
africaine opérante, pariant sur une
échéance très courte : 2015. Il a ainsi
proposé la formation de 20000 militaires
par an, quand les Ecoles nationales à
vocations régionales (ENVR) de la
coopération française n’en forment pour l’instant qu’environ 2500 par an, dans
divers pays africains. Il s’agit aussi, on l’a
vu, de renforcer le nombre de coopérants
français au niveau des institutions
panafricaines. Mais ceci ne suffira pas à
lever toutes les difficultés mentionnées
précédemment.

La coopération militaire est un outil
d’influence (jugé peu coûteux par
ailleurs), et son renforcement vise à lutter
contre la concurrence accrue en ce
domaine. Mais il y a aussi une finalité
pratique aux propositions du sommet de
l’Elysée : quand c’est possible, pour parer
aux accusations de néocolonialisme, on
souhaite que les interventions françaises
puissent apparaître comme agissant en
soutien à des forces africaines déjà
mobilisées. Mais encore fau-til
que celles-ci
existent ! On se souvient des efforts
diplomatiques français pour mobiliser la
Misma au Mali, qui ne verra finalement le
jour qu’après l’intervention française.

Aujourd’hui que la France réaffirme de
grandes ambitions militaires en Afrique,
elle a besoin de les justifier
politiquement, de mobiliser le maximum
de facteurs de légitimation (ONU, UE,
UA…) mais aussi de pouvoir s’appuyer
sur des forces supplétives pendant ses
interventions. La France veut notamment
mobiliser les pays africains sur ce qu’elle
a identifié comme étant ses propres
priorités en matière de sécurité.

Il s’agit,
selon le chef de la coopération militaire,
le vice-amiral
Marin Gillier, de
« développer un projet global pour la
bande saharosahélienne

 » pour un
contrôle des frontières qui permette de
lutter contre les trafics, le terrorisme et
l’immigration ; mais aussi de mettre en
place « un système global de sécurité
maritime dans le golfe de Guinée.
 » Il n’y
a en effet pas que le Golfe d’Aden, où se
déploie la force européenne Atalante, qui
soit frappé par la piraterie.

Le deuxième
rapport des sénateurs Larcher et
Chevènement (rapport n°720 du 3 juillet
2013)
préconisait pour le golfe de Guinée
une opération maritime similaire. Comme
le rappelait le rapport des sénateurs, la
sécurité dans cette zone est en effet
essentielle pour les exportations de
certaines matières stratégiques à
destination de l’Europe : fer, manganèse,
bauxite, uranium ou pétrole. « Là aussi,
je vous l’annonce
 », a donc déclaré le
président français à ses hôtes, «  la France
soutiendra tous vos efforts et elle est
prête à constituer une structure commune
pour coordonner vos actions en mer.
 »
Mais il s’agit simplement bien sûr de
« mettre ses soldats à la disposition (…)
du continent entier
 »…

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 231 - janvier 2014
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