Survie

Pascal Simbikangwa, premier procès d’un rwandais accusé de génocide en France

rédigé le 3 février 2014 (mis en ligne le 11 février 2014) - Laurence Dawidowicz

Le premier procès contre un présumé génocidaire rwandais en France, Pascal
Simbikangwa, se déroulera du 4 février au 14 mars 2014 devant la Cour d’assises de Paris.

Malgré la satisfaction de voir,
vingt ans après le génocide des
Tutsi, un important responsable
rwandais jugé par la justice française,
l’association Survie, partie civile dans
l’affaire Simbikangwa regrette qu’il ait
fallu autant de temps pour que ce premier
procès ait lieu.

Dans sa lutte contre la banalisation du
génocide, Survie a choisi de modifier ses
statuts dès 2004 afin d’être habilitée à ester
en justice. Depuis 1995, les plaintes contre
des présumés génocidaires vivant en
France étaient en effet portées par des
adhérents et non par l’association. La
nécessité de vérité et de justice est
essentielle pour lutter contre l’impunité et
empêcher que le silence et l’oubli ne
mettent un point final au génocide, ne
l’achèvent, permettant aux bourreaux de
recommencer.

Pascal Simbikangwa est le premier
rwandais à devoir rendre des comptes
devant la justice française. Il a été arrêté à
Mayotte dans le cadre d’une enquête pour
falsification de documents administratifs
en 2008, alors qu’une fiche Interpol avait
été émise à son encontre par le Parquet de
Kigali. Celui­-ci souhaitait le juger pour
crime contre l’humanité et crime de
génocide. Son extradition pour un
jugement au Rwanda a été rejetée par la
justice française [1]. Une plainte a été
déposée sur ces entrefaites par le Collectif
des Parties civiles pour le Rwanda
(CPCR) en mars 2009.

L’instruction s’est donc ouverte pour
complicité de génocide et complicité de
crime contre l’Humanité et Pascal
Simbikangwa va être jugé à Paris du 4
févier au 14 mars 2014. Depuis l’adoption,
en 1996, d’une loi dite « de compétence
universelle
 », la France a en effet le devoir
de poursuivre et juger les génocidaires
présents sur son territoire. Des procès de
génocidaires rwandais ont déjà eu lieu,
notamment en Allemagne, en Belgique, en
Suède, aux Pays­Bas, au Canada et aux
Etats­Unis. Le Tribunal International pour
le Rwanda ayant fermé ses portes, il confie
depuis 2007 les procès de présumés
génocidaires de première catégorie aux
juridictions nationales [2].

Le procès de Simbikangwa aura lieu
devant un jury populaire probablement
peu informé sur l’histoire qui mène au
génocide . La première partie du procès,
après avoir éclairé la Cour sur la
personnalité de l’accusé, va donc devoir
entendre, outre les experts psychiatres, des
témoins de contexte dont des historiens,
des journalistes ou membres de
commissions ayant enquêté sur le
génocide, ou présents au Rwanda en 1994.
Ils devront faire comprendre l’histoire du
Rwanda, sa situation politique, la guerre
faite par le FPR pour prendre le pouvoir
après l’impossible retour des exilés tutsi
au Rwanda, les pressions exercées par la
communauté
internationale
pour
permettre
un
gouvernement
de
transition... mais aussi le refus des
extrémistes Hutu de cette évolution vers
plus de démocratie, leur choix d’utiliser la
haine ethnique, le choix du génocide dans
lequel ils ont entrainé toute la population
enrôlée dans une propagande menée
depuis des années par le pouvoir de
Habyarimana.

Pascal Simbikangwa, membre de l’armée
régulière puis de la garde présidentielle,
est resté handicapé après un accident de la
route. Il a ensuite été nommé au service
central du renseignement, un poste
directement rattaché à la Présidence de la
République. Plusieurs rapports dénoncent
les actes de torture dont il se serait alors
rendu coupable [3]. Malheureusement, le
crime de torture étant prescrit au bout de
15 ans par la loi française, les témoins
pourront évoquer ces faits mais
Simbikangwa ne pourra être poursuivi
pour ce chef d’accusation.

Proche du défunt président Habyarimana,
il est notamment soupçonné d’avoir armé
des
miliciens
extrémistes
Hutu
(Interahamwe) et de les avoir encouragés à
massacrer des Tutsi. Dans divers rapports
de mission il est cité nommément comme
membre des escadrons de la mort,
groupuscule composé de militaires en
charge d’éliminer les chefs de l’opposition
politique [4] créé par le colonel Théoneste
Bagosora. Durant cette période il aurait eu
en charge la répression de la presse
d’opposition.

En 1992, un gouvernement de transition
est mis en place composé de membres de
tous les partis politiques. Les services de
renseignements sont alors scindés et
placés sous l’autorité du premier ministre.
Officiellement Pascal Simbikangwa n’en
fait plus partie. Il passe dans l’ombre mais
aurait gardé logement et voiture de
fonction, protection par des gardes du
corps de la garde présidentielle armés.
Le procès devra déterminer ses fonctions
et rôles entre avril et juillet 1994. Plusieurs
semaines seront donc consacrées à ses
fonctions avant 92 puis la parole sera
donnée aux témoins de faits confortant
l’accusation pour la période précise d’avril
à juillet 1994.

En effet ce procès ne sera pas celui du
génocide mais d’un homme, il devra
répondre d’actes et d’accusations
personnelles pour complicité de génocide
et complicité de crime contre l’Humanité.
Que ce jugement ait enfin lieu en France
est essentiel, que le jury décide en son
intime conviction de suivre le réquisitoire
et condamne Pascal Simbikangwa aussi.
Les
parties
civiles
publieront
quotidiennement les comptes rendus
d’audience sur le site
www.proces­-genocide­-rwanda.fr

[1La Cour de cassation continue de refuser
l’extradition de Rwandais accusés de génocide
vers le Rwanda, malgré un avis favorable de la
Cour européenne des droits de l’homme et la
pratique dans bien d’autres pays.

[2La France a accepté de juger deux présumés
génocidaires de première catégorie en 2007,
Wenceslas Munyeshyaka et Laurent
Bucyibaruta. Pour l’heure, le Pôle d’instruction
des crimes contre l’Humanité et crimes de
génocide a repris les instructions et promis aux
représentants du mécanisme de suivi du TPIR
de clore celles­-ci en 2015.

[3Voir le Rapport de la Commission
internationale d’enquête sur les violations des
droits de l’homme au Rwanda depuis le 1er
octobre 1990, mars 1993 et le Rapport de la
Commission d’enquête parlementaire du Sénat
belge, 1997.

[4Cf. notamment le rapport de la Commission
internationale de 1993 et le livre de Filip
Reyntjens Les risques du métier paru en 2009
chez L’Harmattan.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 232 - février 2014
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