Survie

Rwanda, il y a 20 ans : le fax de Dallaire

rédigé le 3 février 2014 (mis en ligne le 19 février 2014) - R.L.

Comment l’ONU alertée de la préparation du génocide n’a pas levé le petit doigt.

Le 11 janvier 1994, trois mois avant
le déclenchement du génocide,
Roméo Dallaire, commandant de la
Mission des Nations Unies au Rwanda
(MINUAR) [1] envoie un fax urgent au
siège de l’ONU à New York
.

Dans ce
document déclassifié, Dallaire alerte ses
supérieurs de la préparation de
l’extermination des Tutsi. Il y rapporte
des propos d’un informateur, « Jean
Pierre
 », engagé par le MRND pour
entraîner les Interhamwe [2].

Jean­-Pierre affirme avoir organisé une
manifestation visant les députés des partis
d’opposition, dans le but explicite de
provoquer une réaction armée du FPR à
l’encontre des manifestants, et de
déclencher ainsi une guerre civile. Les
troupes belges devaient également être
visées pour permettre, si les soldats
belges recourraient à la force, de les tuer
afin de pousser la Belgique, principale
contributrice de la MINUAR à retirer ses
troupes du Rwanda.

On y apprend également qu’outre la
formation et l’armement des milices dans
des camps des FAR en dehors de la ville,
ce chef Interhamwe a reçu mission de
ficher tous les Tutsi de Kigali, et suspecte
que ce soit en vue de leur extermination.
Jean­Pierre affirme que ses troupes sont
capables d’éliminer 1000 Tutsi en une
heure. Il propose de révéler à l’ONU la
localisation des caches d’armes fournies aux milices par les Forces Armées
Rwandaises (G3, AK47, grenades... on
est loin des seules machettes !) en
échange de la protection de la MINUAR
pour lui et sa famille.

Dallaire, bien que précautionneux quant
aux informations et aux motivations du
revirement de ce personnage, demande
l’autorisation à ses supérieurs d’agir dans
les 36 heures qui suivent. Il souhaite
opérer des fouilles et saisir les armes,
illégales au regard du processus de paix.
L’ONU lui répond le jour même : le siège
refuse expressément la saisie des armes et
la protection de l’informateur, prétextant
que ça ne rentre pas dans le mandat de la
MINUAR.

Entre-temps, Dallaire avait
envoyé un officier en reconnaissance, et
confirmé l’existence d’au moins une
cache d’armes, et donc la véracité des
dires de Jean­-Pierre sur ce point. Le
Département des opération de maintien
de paix de l’ONU lui commande une
stratégie autrement plus timorée : prendre
rendez­-vous
avec
le
président
Habyarimana pour lui opposer les faits,
en partant du principe qu’il n’a pas
connaissance de ces activités, mais lui
signifier quesi des violences devaient
avoir lieu à Kigali, cela serait rapporté au
Conseil de Sécurité qui ferait « les
recommandations appropriées
 ». Une
menace bien peu dissuasive...

La saisie
de ces armes aurait pourtant pu contribuer à enrayer la machine
génocidaire. Il est également ordonné à
Dallaire de transmettre aux ambassades
de France, de Belgique et des Etats­Unis
les informations alarmantes apportée par
Jean­Pierre. Même en prenant des
pincettes quant aux motivations de cet
informateur, comment la France, qui a
jugé ces informations « graves et
plausibles
 [3] » peut-­elle affirmer qu’elle
ignorait les risques de génocide ?

Quant à l’ONU, elle n’a pas fini de faire
son mea culpa : non seulement ce
document suffit à lui seul à prouver
qu’elle était au courant des menaces qui
pesaient sur les Tutsi du Rwanda, mais
son
comportement
après
le
déclenchement des massacres n’a rien
rattrapé : le 21 avril, en plein génocide, le
Conseil de Sécurité décide du retrait de la
quasi totalité des troupes de la MINUAR.

Dans le même temps, le gouvernement
intérimaire rwandais (qui organise et
commet le génocide) siège au Conseil de
Sécurité.

[1La MINUAR est présente au Rwanda pour
veiller à l’application des accords d’Arusha
entre le Front Patriotique Rwandais et le
gouvernement d’Habyarimana.

[2Les milices Hutu qui ont été, avec l’armée
régulière rwandaise, le fer de lance des tueries

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 232 - février 2014
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi