Survie

Au cœur des ténèbres françafricaines

rédigé le 3 mars 2014 (mis en ligne le 11 mars 2014) - Odile Tobner

Il est deux façons pour les médias dominants d’occulter la réalité de l’impérialisme français en Afrique. La plus courante est d’exclure totalement ces pays du champ de l’information, selon le principe que le public ne s’intéresse qu’à ce qu’on lui montre. Les Français n’avaient jusqu’à ces derniers temps, en-dehors des bokasseries, guère entendu parler de la Centrafrique, où la France est pourtant présente depuis la prétendue décolonisation, soutenant des dirigeants corrompus alors que les Centrafricains s’enfonçaient dans la misère.

Quand les violences civiles qui sont la conséquence inévitable de ce long pourrissement menacent la présence française, rendant nécessaire l’intervention militaire, la stratégie change, mais le but reste le même : entretenir l’ignorance du public. En dépit de la prolifération de reportages, débats et commentaires redondants, malgré la nuée des intervenants militaires, journalistes, ONG, qui a fondu sur la Centrafrique, on ne sait pas grand chose de ce qui se passe dans la majeure partie du pays, ni même au cœur des bidonvilles de Bangui où personne ne s’est aventuré.

Personne n’est capable d’évaluer tant soit peu l’ensemble de la situation, de donner une idée du nombre des victimes, de l’importance des bandes armées. Quelques images de ruines, de lynchages et d’exode, d’autres de patrouilles et de blindés français sont censées montrer le problème et le remède. Les commentateurs n’hésitent pas à recourir à l’anthropologie racialiste qui a, quoi qu’on en ait, toujours accompagné et soutenu l’impérialisme. Navi Pillay, haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, rapportant les détails, aussi horrifiques que superflus, du traitement réservé aux cadavres après les scènes de lynchage qui se sont déroulées à Bangui, évoque "des mutilations de corps en public, des amputations d’organes génitaux et d’autres parties du corps, des décapitations et au moins un fait signalé de cannibalisme". Peu importe que ce signalement soit une rumeur, puisqu’il s’agit avant tout d’occulter les véritables rapports de force en entretenant les fantasmes racistes du public occidental.

Une fois que l’intervention armée a permis de remettre sous le joug une « ex »-colonie, celle-ci disparaît à nouveau du champ de l’information. La Côte d’Ivoire, qui faisait les gros titres dans les années qui ont suivi l’élection de Laurent Gbagbo, est retournée dans les ténèbres après que Ouattara s’est emparé du pouvoir avec l’aide des troupes françaises : la situation cependant ne cesse de s’y dégrader dans l’indifférence des médias. La société est loin d’être pacifiée avec plus de 800 opposants politiques détenus sans procès dans des conditions inhumaines. Les chefs des milices de l’ex-rébellion non seulement n’ont pas été inquiétés pour les crimes commis pendant la guerre civile et la crise post- électorale, mais ils continuent à sévir impunément dans les postes de commandement qui leur ont été attribués. Racket, intimidations, exécutions extra-judiciaires, on ne compte plus les exactions infligées à une population soumise à l’arbitraire.

L’opinion française n’est pas près de connaître la responsabilité de la France dans le délitement de ces deux pays. Ainsi le gouvernement socialiste a opposé une fin de non recevoir à la demande de dix députés d’une commission d’enquête sur le rôle de l’armée française en Côte d’Ivoire sous la précédente majorité. Les protagonistes UMP et PS sont d’accord pour maintenir tous les actes de la tragédie françafricaine dans d’épaisses ténèbres.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 233 - mars 2014
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