Survie

Centrafrique : ni génocide, ni conflit religieux !

rédigé le 3 mars 2014 (mis en ligne le 12 mars 2014) - Yanis Thomas

Le terme de génocide revient de façon récurrente, notamment dans la bouche des responsables politiques français [1], pour qualifier la crise actuelle en Centrafrique. De même, est généralement reprise l’idée d’un clivage religieux. Des raccourcis simplistes qui servent essentiellement à des fins de communication politicienne.

Face à l’horreur des crimes commis
en Centrafrique, il est tentant de
faire appel à un terme fort, celui de
génocide, pour caractériser la situation.
Une erreur lourde de conséquences,
puisque la base initiale du conflit n’est pas
la volonté orchestrée d’exterminer de
façon systématique une population.

L’objectif des rebelles séléka était de faire
tomber Bozizé puis de se "payer sur la
bête
". Ce qu’ils ont fait, en commettant un
grand nombre d’exactions, d’où une
réaction des populations qui les
subissaient. La réduction du conflit à une
lutte interconfessionnelle par les médias,
qui le présentent comme un affrontement
entre chrétiens et musulmans, ne vient
qu’après. À la base, les milices
d’autodéfense appelées anti balaka, dites
chrétiennes, s’en prennent aux populations
dites musulmanes non pas du fait de leur
religion mais bien parce qu’ils les accusent
d’avoir soutenu les séléka. Le fait religieux
n’est donc pas à la base le facteur qui
motive les combats.

Musulmans mais pas seulement

Derrière le terme de musulman se cache en
réalité une grande diversité de situations.
Concernant
Bangui,
il
s’agit
principalement de citoyens centrafricains
issus du nord du pays ou de ressortissants
du Tchad et du Soudan. Comme cela
correspond à la provenance de la majeure
partie des membres de la Séléka, il est
facile de faire l’amalgame, alimenté par les
témoignages
selon
lesquels
ces
populations auraient été plus épargnées
par les rebelles que les autres, voire qu’une
partie les auraient ralliés et aidés. A cela
s’ajoute une dimension économique : ces
populations tiennent en grande partie des
commerces, dont le pillage peut motiver
les exactions dont elles font l’objet depuis
le départ des séléka.

Concernant le nord-ouest du pays, la situation diffère un peu
dans la mesure où le conflit actuel recoupe
un conflit permanent et plus ancien. Dans
ces régions vivent des éleveurs nomades
Peuls (transhumant depuis le Tchad),
généralement de confession musulmane,
en conflit larvé avec les agriculteurs, qui
les accusent de laisser leur bétail dévaster
leurs cultures. Les milices anti­-balaka,
initialement formées dans cette région,
s’en sont donc prises aux Peuls en même
temps qu’aux séléka. Là encore le conflit,
présenté comme confessionnel, recoupe en
fait des réalités socio­-économiques.

Calculs politiques criminels

Mais le ressentiment des populations ayant
subi des exactions et l’existence d’enjeux
économiques n’expliquent pas à eux seuls
l’ampleur de la crise, qui est avant tout
politique. À ce titre, il est important de
noter que les milices anti­balaka
représentent en fait une nébuleuse d’entités
qui ne poursuivent pas nécessairement les
mêmes buts. Il semble que l’on puisse
distinguer trois groupes.

Tout d’abord, les
milices
d’autodéfense
anti­balaka
« originelles », qui se sont constituées à la
base pour lutter au niveau local contre les
coupeurs de route du nord­ouest du pays.
Présentées comme chrétiennes, alors
même que ses membres arborent
généralement des amulettes issues de
cultes animistes, ce sont elles qui ont
commencé à s’opposer, à partir de début
septembre 2013 aux exactions des rebelles
séléka.

Ensuite, d’anciens membres de
l’armée centrafricaine, les FACA, restés
fidèles à François Bozizé et qui, selon
l’État­-Major français, sont en partie
responsables de l’attaque organisée sur
Bangui le 5 décembre 2013 (Jeune
Afrique
, 27/12). Ils sont dirigés sur le
terrain par Jean Francis Bozizé, le fils du
président déchu et ancien parachutiste
français qui fut ministre de la défense de
son père. Dans l’espoir de permettre le
retour au pouvoir du dictateur exilé, ses
partisans peuvent jouer à fond la carte
confessionnelle, dans un calcul politique
criminel.

Enfin, des pillards profitant du
désordre pour se constituer en bandes
armées. Leur but à l’heure actuelle est de
se faire reconnaître comme partie
belligérante à part entière afin de pouvoir
profiter
du
futur
processus
de
désarmement,
démobilisation,
réintégration (DDR) (AFP, 10/02).

À ces
trois mouvances peuvent s’agglomérer des
citoyens lambda, cherchant à se venger des
exactions qu’ils ont subies durant les mois
qui ont suivi le renversement de François
Bozizé. Comme souvent, l’analyse
simpliste est dangereuse, puisqu’elle jette
de l’huile sur le feu : la présentation des
violences en un combat entre chrétiens et
musulmans concourt, dans une dynamique
de prophétie auto réalisatrice, à
transformer ce cycle d’exactions et de
représailles en un conflit inter-religieux.

Soupçons d’épuration ethnique

Mais, s’il n’y a pas de génocide, il semble
par contre désormais que l’on assiste à une
épuration ethnique dans le nord­-ouest du
pays et à Bangui, les populations dites
musulmanes fuyant les exactions des
milices anti­-balaka : pas d’extermination
organisée, mais des violences contre des
boucs-­émissaires que les opérations
militaires et l’agitation médiatique ne
protègent pas.

On peut à ce titre
s’interroger, comme le Dr Mégo Terzian
de Médecins Sans Frontières, sur l’action
des troupes internationales (la force
française Sangaris et la force africaine
MISCA), qui « regroupe des gens pour
organiser leur départ vers d’autres pays
au lieu de cantonner les milices
 » (Le
Monde
, 26/01).

Ce n’est pas la première
fois que les troupes internationales sont
pointées du doigt dans leur gestion de la
crise. Ainsi Amnesty International a
dénoncé le 12 février sur son site internet :
« les troupes internationales de maintien
de la paix se montrent réticentes à faire
face aux milices anti­-balaka et ne sont pas
assez réactives pour protéger la minorité
musulmane menacée
 ». Mais du coté
français l’heure est plutôt à la
minimisation de la situation. Le général
Soriano, commandant de l’opération
Sangaris a ainsi estimé qu’« il n’y a pas de
nettoyage ethnique dans ce pays
 » (Le
Jdd, 24/02
). Des déclarations dans la
même logique que celles de François
Hollande (AFP, 17/01) ou du chef d’état
major français de l’époque, l’amiral
Edouard Guillaud (Le Figaro, 3/02), qui
annoncent un apaisement de la situation
alors même que la presse rapporte
quotidiennement des cas de pillages et de
massacres (Le Monde, 17/01 et 3/02). La
Croix Rouge centrafricaine rapporte ainsi
avoir recueilli 1 240 cadavres à Bangui
depuis décembre mais selon un
responsable de cette organisation, le total
des morts est sans doute bien plus élevé,
certains corps disparaissant ou étant
directement récupérés par les familles
(AFP, 26/02). Un chiffre qui ne prend pas
en compte les victimes récupérées par
d’autres ONG humanitaires, comme
Médecins Sans Frontières, et encore moins
les meurtres commis en province.

Il n’est
pas nécessaire de faire appel à l’image du
génocide ou de réchauffer le mythe du
choc des civilisations pour prendre la
mesure du drame humain qui se déroule en
Centrafrique.

Les thuriféraires de l’armée française n’en
démordent pas : ni échec, ni erreur,
l’opération Sangaris est exemplaire. « 
Souvent accusée de jouer au gendarme
de l’Afrique, elle se sera plutôt comportée
cette fois comme un pompier
 » affirme
ainsi Jean Guisnel, le journaliste Défense
du Point (27/02). La complainte du
pompier pyromane n’est pourtant pas
nouvelle. Mieux, plutôt que de parler de
la situation réelle, mesurons l’efficacité
de nos troupes à l’aune de la propagande,
c’est plus sûr : « le génocide tant redouté
avant l’intervention française ne s’est pas
produit ­ ce qui implique, ne l’oublions
pas, que le déploiement français a évité
le pire
 ». Voilà qui rappelle la blague du
voyageur en train et de sa poudre contre
les éléphants : « ­ Mais il n’y a pas
d’éléphants par ici ! ­ C’est bien la
preuve qu’elle fonctionne...
 » Sauf que
Jean Guisnel ne plaisante pas.

[1Par exemple, lors du vote à l’Assemblée nationale sur la prolongation de l’opération Sangaris, le 25 février.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 233 - mars 2014
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