Survie

Nord du Mali : le gouvernement malien face à l’ingérence française

rédigé le 1er décembre 2013 (mis en ligne le 3 février 2014) - Gérard Moreau

L’insécurité règne à Kidal, le constat s’impose. Mais, au Mali et dans la région, la question revient constamment : la France porterait-elle une responsabilité dans cette situation ?

Officiellement, les autorités françaises ont décidé en janvier 2013 d’intervenir pour arrêter la progression des groupes jihadistes, dégager les villes et ratisser les zones environnantes. Ce qui a été fait à Tombouctou et Gao. Mais à Kidal et autour, les troupes françaises ont suivi une tout autre stratégie.

Malgré les accords de Ouagadougou qui précisaient que « le désarmement des groupes armés exigé par la CEDEAO, l’Union Africaine et le Conseil de sécurité des Nations Unies est accepté par tous », le désarmement n’a pas eu lieu. Pourquoi les autorités françaises ont-elle laissé Kidal aux groupes armés ?

En l’absence de réponse officielle à la question, deux raisons peuvent être avancées : négocier la libération des otages, et préparer le terrain à l’autonomie. Si la première explication reste encore dans le secret des négociations, le choix politique de l’autonomie a été exprimé dès le 2 février 2013 par Elisabeth Guigou, présidente de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée : «  il faut qu’un plan d’autonomie pour le nord du Mali soit mis en place ». Cette perspective politique portée par Paris permettrait d’expliquer pourquoi, à plusieurs reprises, les troupes Serval se sont interposées pour que l’armée malienne ne vienne pas désarmer les groupes qui tiennent Kidal.

Il a fallu attendre le 14 novembre pour que le gouverneur de Kidal puisse entrer dans les bâtiments du gouvernorat, incendiés la veille. Jusqu’à cette date, le drapeau du MNLA flottait sur le bâtiment. Nombreuses sont les voix au Mali qui considèrent que l’assassinat des deux journalistes français découle directement de cette politique. Si la sécurité ne règne pas à Kidal, c’est que l’on a laissé les groupes armés tenir la ville et les environs.

Une ingérence en « porte-à-faux » avec la légalité ?

Même si c’est de manière feutrée, une certaine tension s’est fait sentir entre les autorités maliennes et la position française. Le Président Keita le déclare publiquement : « Nos forces de sécurité sont confinées, l’arme au pied, Kidal échappe aujourd’hui à notre contrôle » «  Je ne saurais, en aucun cas, tolérer davantage qu’une partie du Mali soit soustraite à la loi de la Nation et à la morale tout court. Le Mali ne peut pas tolérer que Kidal soit la bourse régionale du crime organisé ».

Dans un entretien donné le 10 novembre 2013, Cheick Oumar Diarrah, ministre de la Réconciliation et du Développement des régions du Nord, réalise des prouesses diplomatiques pour décrire cette situation et critiquer la perspective de l’autonomie sans prononcer ni le mot «  France », ni le mot « MNLA ». Il stigmatise les « porteurs d’armes illégaux en porte-à-faux avec la légalité internationale et avec la loi malienne [...] [mais] en osmose avec le terrorisme et la criminalité ». Le ministre fait référence à la résolution 2100 du 25 avril 2013. De fait, le texte de cette résolution ne comporte aucune ambiguïté : «  Le Conseil de Sécurité… Exige de tous les groupes rebelles armés au Mali qu’ils déposent les armes et mettent fin aux hostilités immédiatement… ».

Évidemment, dans le contexte actuel, il parait délicat d’attendre qu’un ministre malien critique ouvertement la stratégie française. Et quand les journalistes demandent au ministre comment le gouvernement malien entend sortir de la crise, on sent une volonté de fermeté derrière la réponse courtoise : « Il faudra que toute la communauté internationale prenne ses responsabilités » Et il poursuit  : « Le Président [I.B. Keita] a fixé le cadre : pas d’indépendance, pas de fédération, pas d’autonomie. [...] Nous allons aller vers une régionalisation qui va accorder plus de pouvoir aux collectivités décentralisées, donc il y a une réponse institutionnelle.… Nous avons également un plan de développement accéléré des régions du Nord ».

De son côté, le ministre nigérien des Affaires étrangères, Mohamed Bazoum, prend beaucoup moins de gants au micro de RFI :« Le MNLA avait totalement disparu, il n’existait plus comme force militaire, ni même politique, ni même morale, pratiquement. Et on l’a réinventé, on l’a reconstruit à la faveur de la libération du Mali et puis on lui a laissé ce territoire et les terroristes sont venus … L’erreur réside dans le fait qu’on ait voulu conférer ce statut spécial à Kidal et qu’on ait laissé là le germe de l’instabilité, le germe du crime, le germe du terrorisme. Ce germe là, on l’a laissé, Claude Verlon et Ghislaine Dupont viennent d’en être victimes ». Derrière l’assassinat des journalistes français, c’est bien le problème de l’ingérence politique qui se pose : Qui doit assurer la sécurité sur le territoire malien, et surtout, au service de quelle politique ?

Après les assassinats du 2 novembre, des incidents graves se déroulent à Kidal le 28, avec des blessés graves, et le premier ministre du Mali ne peut pas s’y rendre comme prévu. L’instabilité qui règne à Kidal offre des conditions propices à la perspective politique prônée par la France. Grâce à ce climat de tension, il sera plus facile de montrer à la communauté internationale que le Nord du Mali doit avoir un statut spécifique, l’autonomie permettant de résoudre les problèmes. Comme dit le député Alain Marsaud : « Il n’existe pas un Mali, mais au minimum deux… »

L’enjeu de la sécurité au Nord du Mali dépasse largement le cadre du pays, et concerne la politique de sécurité du continent dans son ensemble. Sans doute n’est-ce pas un hasard si, sur une courte période, quatre rencontres internationales sont consacrées à cette question, le 5 novembre, à Pretoria, le 14 novembre au Maroc et les 16 et 17 novembre à Alger. Cela signifie qu’un certain nombre de chefs d’Etat et d’organisations africaines cherchent à prendre la main sur les politiques de sécurité.

Mais, de son côté, la France tient à « garder son rang ». Elle organise à Paris, du 5 au 7 décembre, le sommet Afrique-France sur la sécurité qui doit réunir pas moins de 37 chefs d’État et de gouvernement. Aujourd’hui encore, fidèles à la tradition de mise sous tutelle des anciennes colonies, les autorités françaises continuent de se démener pour que la politique de sécurité des pays africains soit décidée à Paris.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 230- décembre 2013
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