Survie

Livraison d’armes : l’aveu d’Hubert Védrine

rédigé le 28 avril 2014 (mis en ligne le 26 mai 2014) - Raphaël Doridant

Lors de son audition par la commission de la défense de
l’Assemblée nationale [1], le 16 avril dernier, Hubert Védrine est
interrogé par le député socialiste Joaquim Pueyo qui lui demande :
« Est-ce
que la France a livré des munitions aux forces armées
après le début du génocide ? A quelle date ?
 »

L’ancien secrétaire
général de l’Élysée répond alors qu’avant le génocide,

« il y a eu
des livraisons d’armes pour que l’armée rwandaise soit capable de
tenir le choc parce que s’il n’y avait pas d’armée capable de tenir
le choc, vous pouvez oublier Arusha et tout le reste, il n’y a plus les
éléments, il n’y a plus le levier pour obtenir un compromis
politique. Donc, il est resté des relations d’armement et c’est pas la
peine de découvrir sur un ton outragé qu’il y a eu des livraisons
qui se sont poursuivies : c’est la suite de l’engagement d’avant, la
France considérant que pour imposer une solution politique, il
fallait bloquer l’offensive militaire. Ça n’a jamais été nié, ça.
Donc, c’est pas la peine de le découvrir, de le présenter comme
étant une sorte de pratique abominable masquée. C’est dans le
cadre de l’engagement, encore une fois, pour contrer les attaques,
ça n’a rien à voir avec le génocide ».

Venant après les propos de Bernard Kouchner, selon lequel
« Paris a livré des armes jusqu’en août 1994 » (Libération,
7/04
), cet aveu est particulièrement lourd de conséquences :
Védrine, placé en 1994 au cœur du pouvoir, reconnaît devant nos
représentants les livraisons d’armes pendant le génocide, en les
justifiant par la nécessité de « contrer les attaques  » du FPR.
Védrine feint-il
de ne pas voir qu’en aidant les FAR à « bloquer
l’offensive militaire
 » du FPR, les livraisons d’armes permettaient
la poursuite du génocide des Tutsi à l’arrière du front ? Car ce
sont les troupes du FPR qui mettaient fin au génocide.

De plus, cet effroyable distinguo entre les armes ayant servi à
combattre le FPR et les armes ayant servi au génocide ne tient
pas. En effet, quand Védrine affirme, dans l’exposé liminaire de
son audition, que « [les Hutu] n’ont pas fait les massacres avec
les armes françaises fournies pour tenir la frontière avec
l’Ouganda. Les massacres, comme vous le savez, ont été faits à
coups de machettes, village par village
 [2] », il refuse de prendre en
compte ce que les documents militaires français eux-mêmes
nous
apprennent sur le rôle de l’armée rwandaise dans le génocide.

L’ordre d’opération Amaryllis, daté du 8 avril 1994, indique ainsi
que «  les membres de la garde présidentielle » ont procédé dès le
7 avril au matin à Kigali à « [l’]arrestation et [l’]élimination des
opposants et des Tutsi
 ». Pour sa part, l’ordre d’opération
Turquoise du général Lafourcade, daté du 25 juin 1994,
mentionne « un génocide perpétré par certaines unités militaires
rwandaises et par des milices Hutues à l’encontre de la minorité
Tutsie
 ». Il n’y a donc aucune ambiguïté sur le rôle joué par les
Forces armées rwandaises dans les massacres. Comment Védrine
peut-il
prétendre que l’Etat français ne leur a fourni qu’ « un
certain type d’armement qui n’a jamais servi au génocide
 » ?

Il devrait plutôt expliquer qui sont les responsables politiques ou
militaires français de l’époque qui ont donné l’ordre de livrer des
armes aux génocidaires pendant le génocide, et quels types
d’armes ont été livrés. Etant donné qu’à l’exception peut-être
des
munitions pour hélicoptères, tous les types d’armes dont
disposaient les FAR ont été utilisés pour commettre le génocide
(armes de poing, munitions de 5.56 et 7.62 pour R4,
Kalashnikov, et Fal, grenades à main, grenades à fusil, et même
obus de mortier), il fait peu de doute que les livraisons d’armes
par notre pays ont servi à la fois à la guerre contre le FPR et au
génocide des Tutsi.

En admettant l’existence de livraisons d’armes pendant le génocide,
Hubert Védrine a bel et bien reconnu la réalité de la complicité de
l’État français dans celui-ci.
Comme il le dit lui-même
face aux
députés : « On parle de complicité de génocide. Si les mots ont un
sens, c’est monstrueux. Ou alors c’est que les mots n’ont plus
aucun sens
 ». Les mots ont un sens : la complicité de génocide, qui
implique d’avoir fourni en toute connaissance même
sans
intention génocidaire une
aide à ceux qui massacraient, est un
crime imprescriptible puni par la loi.

[2En réalité, une part non négligeable des victimes du génocide ont été tuées
par armes à feu (balles, éclats de grenade, etc). Le modus operandi courant,
associant FAR et villageois, était d’attaquer les Tutsi, préalablement
regroupés dans des édifices publics ou des centres religieux, à la grenade
et au fusil, avant de les achever à l’arme blanche.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 235 - mai 2014
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