Survie

Accord de défense France-Mali : vers une présence permanente

rédigé le 8 juillet 2014 (mis en ligne le 15 juillet 2014) - Gérard Moreau

Prévue pour le 20 janvier 2014, reportée à plusieurs reprises, puis annoncée pour début
juillet, la signature de l’accord de défense entre la France et le Mali donnerait une base
juridique définitive à la présence militaire française sur le sol malien. Inutile d’être expert pour comprendre pourquoi au Mali les réactions d’opposition sont si virulentes.

Un monument d’opacité politique

Le traité de défense avec la Côte d’Ivoire, signé par Sarkozy est discuté en avril 2013 à l’Assemblée nationale, en même temps que deux autres traités.
Après le vote en commission, un vote de pure forme a lieu en séance plénière, sans débat.

Cette séance de l’Assemblée est expédiée avec une telle désinvolture que le journaliste ivoirien Théophile Kouamouo ne manque pas de s’en indigner : "des milliers d’amendements relatifs au projet de loi sur la consommation, provenant de tous les groupes parlementaires ; zéro amendement en ce qui concerne l’autorisation donnée à l’exécutif de ratifier les traités de Défense avec Djibouti, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, expédiée en quelques secondes . Cela illustre une fois de plus comment la « démocratie française » organise l’absence de débat sérieux sur la politique africaine. [1]"

En commission, seuls 4 députés émettent quelques critiques. Serge Janquin relève ainsi : " l’absence de toute réflexion de fond sur les coopérations possibles pour que les problèmes puissent être traités par les pays africains eux-mêmes." Le projet est adopté avec quatre abstentions. Au Sénat, en commission du 10 décembre 2013, le débat n’aura pas duré 5 minutes et débouchera sur une unanimité moins une abstention. Pour les parlementaires la présence permanente de troupes françaises dans les anciennes colonies constitue une telle évidence que cela ne mérite pas qu’on en discute.

Le président de la République promulgue la loi en décembre 2013, publiée au JO, avec la note : " Le texte sera publié ultérieurement."

Des traités françafricains bien rodés

L’accord qui sert de cadre juridique à
Serval
et le récent traité avec la Côte
d’Ivoire [2], sont identiques sur la plupart
des points. Tous deux offrent une large
liberté aux forces françaises.

Tout est prévu : mise à disposition gratuite
des installations, logements et fréquences
pour les communications. Dans les deux
textes, il est bien clair que les troupes ne
peuvent pas être soumises aux autorités
nationales. Quant aux informations
fournies aux pays, le traité avec la Côte
d’Ivoire est très précis : «  le matériel et les
approvisionnements nécessaires aux
activités et au fonctionnement courant
des forces françaises sont exemptés de
tous documents douaniers ainsi que de
toute inspection. […] Les matériels des
forces françaises stationnées, ne peuvent
faire l’objet d’aucune perquisition,
réquisition, saisie ou mesure
d’exécution.
 » Il ne fait guère de doute
que l’accord de défense qui va être signé
entérinera ces dispositions.

Un retour sur l’histoire du Mali
indépendant permet de comprendre
pourquoi un traité qui rendrait définitif
l’accord passé pour Serval peut être
insupportable aux yeux d’un grand
nombre de Maliens.

Comment oublier Modibo Keita ?

Devenu le premier président du Mali,
Modibo Keita prononce le discours
désormais célèbre du 21 janvier 1961 :
« l’ambassade de France au Mali, est
informée par mes soins de la décision de
mon parti et de mon gouvernement, de
voir la France évacuer les bases de
Bamako, Kati, Gao et Tessalit par les
militaires français.
 »

Le geste exprime une volonté
d’indépendance réelle. Début 1961, c’est
aussi un soutien militaire direct à la lutte
des Algériens pour leur indépendance : la
France perd ainsi des bases de départ pour
des opérations en Algérie alors que
Modibo Keita autorise le FLN à installer
sur son territoire des postes d’écoute des
communications de l’armée française. En
février 1961, le gouvernement de Bamako
reconnaît le GPRA (Gouvernement
provisoire de la révolution algérienne)
alors que les négociations qui
déboucheront sur les accords d’Evian
commencent en Suisse.

La France et le Mali ne sont liés que par
un accord de coopération militaire et
technique signé en 1985 et rendu public
en 1990. Il y est expressément spécifié
que les formateurs militaires français « ne
peuvent, en aucun cas, prendre part à la
préparation et l’exécution d’opérations de
guerre, de maintien ou de rétablissement
de l’ordre ou de la légalité
 » au Mali.

Du côté de la société civile malienne, le
refus du traité s’exprime avec vigueur :
«  la tutelle exercée par les militaires
français sur les troupes maliennes sera
pérennisée.
 » [3] « Tout accord militaire
avec la France favorisera la réalisation
de l’ambition de la France de 1957 pour
un contrôle sur les Régions Sahariennes
avec la perte au moins de la Région de
Kidal et de la Localité géostratégique de
Tessalit et des ressources naturelles
 » [4].

Que dans la version officielle du traité la
tutelle militaire avance plus ou moins
masquée par des précautions de
vocabulaire, cela n’enlèvera rien au
caractère néocolonial de la présence
permanente de soldats français sur le
territoire malien et appelle à une
opposition forte à ce traité en France.

[1Le Nouveau Courier, 28 juin 2013

[3Journal L’indépendant

[4Discours
du Dr Abdoulaye Niang,
Directeur Exécutif du Centre d’études
stratégiques, 11/01/ 2014

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 237 - juillet août 2014
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