Survie

Le coup d’État permanent de l’armée d’Afrique

(mis en ligne le 25 juillet 2014) - Odile Tobner

Sans surprise, le Gouvernement a mis fin, dès le premier
haussement de sourcils de l’état-major des armées, à ses timides
tentatives d’économie sur le colossal budget de la défense
française. Éducation et recherche, aménagement du territoire, logement,
justice, santé, sécurité publique : tout sera sacrifié au moloch militaire.

Les hauts gradés défendent d’abord les rentes que l’État français leur
assure. En effet, si l’engagé de base est envoyé au feu sans disposer de
l’équipement minimal, la Cour des comptes observe que «  le nombre
d’officiers généraux est resté à peu près constant en dépit de la
réduction du format des armées. L’armée de terre compte ainsi 176
généraux pour seulement 15 brigades à commander. Pour les 3468
officiers ayant un grade équivalent à celui de colonel, les
commandements disponibles de régiments, de bâtiments de la marine et
de bases aériennes sont au nombre de 150.
 » Ce budget considérable sert
aussi à enrichir des sociétés privées dont les productions inutiles et
coûteuses sont invendables sur les marchés extérieurs. Comment
s’étonner dès lors qu’une industrie de la défense artificiellement dopée
par la subvention automatique soit de moins en moins compétitive ?

On comprend que ces lobbies communient dans l’idéologie impériale.
Les chefs d’état-major n’ont pas manqué de souligner que des coupes
budgétaires mettraient en péril la « capacité de projection » de nos
armées. Il semble aller de soi que la France doit rester la troisième
puissance militaire [1] et le deuxième pays au monde, après les USA, en
nombre de soldats déployés hors du territoire national, forces
concentrées quasi exclusivement en Afrique francophone. L’exception
militaire française est si invétérée qu’elle s’impose comme un objet
sacré, au-dessus de tout examen officiel. Les guerres d’Indochine et
d’Algérie, défaites militaires, échecs politiques et désastres humains, se
sont prolongées en un long cycle d’errements aux conséquences
délétères. Ainsi la guerre cruelle menée contre le mouvement nationaliste
camerounais, de 1956 à 1963, vit se perpétrer maints Oradour, dans le
seul but d’installer un régime qui a conduit le pays à la ruine. Quant à
l’action militaire de la France au Rwanda, la nécessité de tirer le bilan de
ce qui a conduit la France à tremper dans ce génocide se heurte à un
bloc de dénégation inexpugnable. L’évaluation des dix ans de l’opération
Licorne en Côte d’Ivoire n’est pas davantage à l’ordre du jour. Tous les
rouages gouvernementaux, parlementaires, judiciaires de l’État français
sont mobilisés pour maintenir l’opacité sur les épisodes de Bouaké, de
l’hôtel Ivoire ou de l’affaire Mahé. Pourquoi l’opération Epervier au Tchad
dure-t-elle depuis 1986, pour quel résultat sinon pour le maintien du pays
sous la coupe d’un pouvoir tyrannique et sanguinaire ? Etc.

Les interventions en cours au Mali et en Centrafrique n’ont permis
aucune évolution favorable des maux qu’elles prétendaient guérir. Serval
a conforté les antagonismes maliens au lieu de les résoudre. Sangaris a
attisé l’incendie qui consume le pays. L’enlisement d’une pauvre France
qui n’en peut mais dans ces opérations absurdes est probable. Le seul
espoir est qu’il permette à notre pays, comme le désastre angolais l’a
permis au Portugal, d’échapper enfin au vampirisme des fanatiques des
guerres d’Afrique.

[1Derrière les Etats-Unis et la Chine

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 237 - juillet août 2014
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