Survie

Armée : retour aux fondamentaux

rédigé le 3 octobre 2014 (mis en ligne le 4 mars 2015) - Billets d’Afrique et d’ailleurs...

Raphaël Granvaud analyse dans la deuxième partie de l’ouvrage l’évolution de la doctrine militaire concernant l’Afrique, où l’emprise de l’armée française est maintenant justifiée par un discours de « guerre contre le terrorisme », qui permet de revenir sur les quelques promesses de réduction des effectifs et de transparence

Billets d’Afrique : Tu es l’auteur du Dossier Noir intitulé Que fait l’armée française en Afrique ? publié en 2009. Pourquoi reprendre cette question seulement 5 ans après ?

Le précédent ouvrage s’intéressait à la manière dont les autorités politiques et militaires françaises ont tenté de conférer une nouvelle légitimité à la présence militaire en Afrique après la période de la guerre froide. A partir du milieu des années 1990, il s’agissait notamment d’élaborer une « nouvelle doctrine » qui repose sur les principes suivants : multilatéralisme (européen et africain) des interventions, conformité au « droit international » par obtention d’un mandat de l’ONU, et transparence accrue en matière de coopération militaire. Le livre ne se contentait pas de faire la genèse de cette « nouvelle doctrine », mais examinait dans le détail les opérations menées pendant cette période pour confronter les discours et la réalité. Non seulement les principes de cette « nouvelle doctrine » ne constituaient nullement un obstacle à la poursuite de l’ingérence française, mais par ailleurs il s’agissait surtout d’une question d’image, tandis que les vieilles méthodes, parfois criminelles, la diplomatie parallèle et les intérêts pas toujours avouables étaient loin d’avoir disparu.

Et ce n’est plus le cas ?

Si, ces analyses restent pertinentes. Par exemple, les interventions françaises en Libye et en Côte d’Ivoire sous Sarkozy ont bien montré le rapport d’instrumentalisation de la diplomatie française à l’égard de l’ONU, et l’interprétation très élastique qu’elle peut faire de ses résolutions quand ça l’arrange. Dans le cas de l’opération Serval déclenchée par Hollande, les justifications juridiques ont été encore plus spécieuses, et tout le monde sait aujourd’hui que les motivations généreuses qui ont été avancées cachaient aussi une défense des intérêts tricolores (ressortissants français au Mali, uranium du Niger) et un jeu trouble des services secrets français avec la rébellion du MNLA dans le dos des autorités maliennes. Ce qui est nouveau en revanche, c’est l’officialisation de la rhétorique de la guerre contre le terrorisme comme justification principale au maintien de la présence militaire française en Afrique.

Avec l’opération Serval au Mali ?

C’est à ce moment-là qu’elle s’exprime le plus clairement, quand la France désigne tous les groupes islamistes radicaux agissant au Nord du Mali sous l’appellation de « terroristes » qu’il s’agit de « détruire », selon le mot de Hollande (alors que certains de leurs membres sont aujourd’hui redevenus des interlocuteurs fréquentables…). Mais l’apparition de ce discours remonte en réalité un peu plus loin. De même que l’opération secrète « Sabre » des forces spéciales dans le Sahel est lancée en 2008-2009 pour préparer la future opération Serval, c’est semble-t-il François Fillon qui annonce le premier que la France est « en guerre contre Al Qaïda » en 2010, au lendemain d’une opération infructueuse franco-mauritanienne en territoire malien et au décès de l’otage français Michel Germaneau.

En quoi l’opération Serval a-t-elle infléchi la politique militaire de la France en Afrique ?

Elle s’est déroulée alors qu’un nouveau Livre Blanc de la défense était en cours de rédaction, et ce fut du pain béni pour les militaires attachés aux expéditions néocoloniales en Afrique. Ce document définit des « zones prioritaires pour la défense et la sécurités » où la France pourra être amenée à s’engager, qui correspondent à un recentrage sur le « pré carré » traditionnel par rapport au précédent Livre Blanc de 2008, avec une forte attention accordée à la zone sahélo-saharienne. Parallèlement, même si les principes de la « nouvelle doctrine » ne sont pas abandonnés, ils font l’objet d’une relativisation et la France réaffirme sa volonté d’agir « de façon autonome ». Le succès militaire apparent de l’opération Serval et l’accueil favorable qu’elle a reçu ont renforcé la prétention de la France à intervenir où bon lui semble, parfois avec un optimisme béat, comme on l’a vu lors de la dernière opération en Centrafrique, sur laquelle notre livre donne également quelques premiers éléments d’appréciation. Au niveau des moyens de cette politique, le Livre Blanc de la Défense a été suivi d’une loi de programmation militaire qui consacrait notamment un renforcement important des forces spéciales. Enfin la diminution, même relative, des bases militaires françaises en Afrique n’était plus d’actualité, au contraire. On a par exemple réouvert la base d’Abidjan et multiplié les implantations dans la zone Sahélienne.

C’est l’opération Barkhane annoncée cet été ?

Oui, c’est une véritable réorganisation du dispositif militaire français pour la « guerre contre le terrorisme » en Afrique. Il s’agit de pouvoir agir rapidement et de manière flexible, indépendamment des frontières ou des autorités locales, et dans l’impunité la plus totale. Trois mille soldats sont actuellement répartis sur cinq pays (Mali, Tchad, Niger, Burkina Faso et Mauritanie), mais Le Drian a officiellement annoncé la possibilité de « monter vers la frontière libyenne » (où les forces spéciales font déjà des incursions d’après des sources proches de l’armée), puisqu’il s’agit apparemment de la prochaine intervention à laquelle on tente de préparer les esprits.

Entre la présidence de Nicolas Sarkozy et celle de François Hollande, peut-on noter des inflexions ?

Alors que le penchant atlantiste de Sarkozy est bien connu, c’est paradoxalement sous François Hollande que la reprise des thèmes des néoconservateurs et la collaboration avec les militaires américains dans la « guerre contre le terrorisme » s’est affichée de la manière la plus décomplexée. De même, alors que Nicolas Sarkozy avait concédé des promesses de « transparence » (certes relatives et non tenues) en matière de coopération militaire, on est désormais revenu aux accords secrets négociés dans la plus grande discrétion au nom de la lutte contre le terrorisme. Mais sur le fond de la politique menée, il n’y a aucune rupture, et le résultat risque malheureusement d’être à l’image des autres interventions occidentales qui prétendaient éradiquer le terrorisme en Afghanistan, en Somalie ou ailleurs et n’ont fait que renforcer ceux qu’elles prétendaient combattre…

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 239 - octobre 2014
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