Survie

RDC : 20 ans de non-désarmement des génocidaires rwandais

Photo sous licence Creative Commons de la Monusco
rédigé le 1er octobre 2014 (mis en ligne le 5 novembre 2014) - Mathieu Lopes

Fin 2013, face à l’offensive conjointe de la mission onusienne (MONUSCO) et des Forces armées de RDC (FARDC), le groupe armé le plus puissant, le Mouvement du 23 mars (M23), déposait les armes et s’engageait dans un processus politique. Mais comme le pointait très justement une lettre ouverte de différents intellectuels, le fait de ne cibler que le M23 relevait d’une « lecture [...] partiale et réductrice de la situation ». La lettre dénonçait une logique occultant « le rôle dans le conflit de plusieurs groupes criminels, bien plus anciens et actifs, qui ont recours à une violence ouverte et massive ». Au premier rang desquels les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).

En 1994, face à l’avancée des troupes du Front Patriotique Rwandais(FPR), une grande partie des Forces armées rwandaises (FAR) et des milices Interahamwés, qui commettent le génocide des Tutsi, se replie au Zaïre. Le récent témoignage de l’ancien officier français Guillaume Ancel vient rappeler que ce repli s’est fait sous la protection de l’armée française, qui a même réarmé les génocidaires. Pour lui, « on a transformé ce qui était des camps de réfugiés [...] en bases militaires », « on a clairement été à l’origine d’une continuation des combats qui a duré pendant des années, qui a fait de nouveau des centaines de milliers de morts » (France Culture, 07/04/2014).

De fait, dès la prise du pouvoir par le FPR en 1994, le Rwanda demande plusieurs fois, sans succès, le désarmement et le rapatriement des génocidaires réfugiés chez son voisin pour les traduire en justice. Mais, surtout, les ex-FAR et Interahamwés qui mènent plusieurs attaques en territoire rwandais, sont une menace directe pour le pays.

Les FDLR au coeur des guerres en RDC

En 1996, Laurent-Désiré Kabila, appuyé par des troupes rwandaises et ougandaises, s’attaque aux camps de réfugiés où se trouvent les ex-FAR et utilise cette alliance pour prendre le pouvoir en 1997. Le Zaïre devient alors la RDC.

Mais en 1998, Kabila se débarrasse de ses alliés rwandais et ougandais. Une nouvelle guerre reprend, Kabila étant cette fois soutenu par les ex-FAR et des Etats voisins comme l’Angola et le Zimbabwe. En 1999, les ex-FAR prennent le nom de Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), annonçant clairement leur volonté de reprendre le pouvoir dans le pays où nombre d’entre eux ont participé au génocide des Tutsi. Depuis, les relations du groupe avec les forces congolaises ont connu de nombreux retournements de situation, de l’affrontement à la collaboration, notamment lors de l’offensive contre le M23.

L’activité des anciens FAR/Interhamwés puis des FDLR est à la source de plusieurs interventions du Rwanda au Congo, soit directement par des opérations militaires, soit par le soutien apporté à des groupes congolais qui les combattent (RCD, CNDP [1] et, récemment, le M23).

En avril 2012, le M23 se forme, composé d’anciens membres de la rébellion précédente (le CNDP) dénonçant la non application des accords de paix signés avec le gouvernement congolais et leur traitement dans l’armée nationale dans laquelle ils ont été réintégrés. Le mouvement entend combattre les FDLR, réclame l’application des engagements pris lors des accords signés par le CNDP, mais porte aussi des revendications politiques sur des questions de droits humains, de démocratie et de "bonne gouvernance" (Radio Okapi, 24/11/2012) à l’égard du régime du président Joseph Kabila, dont ils dénoncent la légitimité.

La position française cohérente avec le soutien aux génocidaires de 1994

Le 24 février 2013, l’accord-cadre d’Addis-Abeba pour le retour de la paix en RDC, préparé par l’ONU, était signé entre les pays de la région, engageant notamment le gouvernement congolais à procéder à des réformes profondes de son armée et les pays de la région à s’abstenir de toute ingérence. Un mois plus tard, la résolution 2098 du Conseil de sécurité dotait la MONUSCO d’un mandat offensif inédit dans l’histoire de l’organisation, lui adjoignant le renfort d’une « brigade d’intervention », afin de lutter contre les « forces négatives [2] » à l’oeuvre dans l’est du pays.

Le vote de la résolution 2098 puis l’offensive contre le M23 est précédée, en France, d’une étrange initiative mêlant, entre autres, la ministre de la Francophonie Yamina Benguigui et Valérie Trierweiler, compagne du président français. Dans une tribune (Le Monde, 26/12/2012), ces personnalités proches du pouvoir désignent le M23 comme les principaux responsables des viols commis fréquemment dans la région. Peu de temps après, c’est la France qui initie le projet de rédaction qui aboutit à la résolution 2098 à l’ONU. Dans la MONUSCO, on trouve alors des officiers français à des positions clé du dispositif offensif : le Général Jean Baillaud est général adjoint de la mission et le Général de Brigade Patrick Boubée de Gramont est chef d’état major de la force onusienne. Ce dernier témoigne alors dans une revue militaire [3] : « nos officiers représentent la France au sein de tels états-majors et leur action volontariste permet de servir directement les intérêts stratégiques et opérationnels de leur pays. Une force de maintien de la paix des Nations Unies peut permettre à la France de remplacer une coûteuse opération nationale en lui épargnant les risques politiques, tout en atteignant ses objectifs politico-militaires. » Sans qu’on sache clairement à quels objectifs il fait référence dans le cas du Congo...

Pourtant, si des rapports de l’ONU imputent effectivement des cas de viols au M23, la plupart des viols de 2009 à 2013 sont à mettre sur le compte des forces armées congolaises [4] et, dans une moindre mesure, des FDLR. Le journaliste Jean-François Dupaquier rappelle qu’il « n’y avait pas de viols massifs au Congo avant le génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994. C’est un produit d’importation des milices et de l’armée « génocidaires » rwandaises qui ont pu se replier au Congo grâce à « l’opération Turquoise » et ensuite organiser à leur profit le pillage du pays sous l’étiquette FDLR » (Afrikarabia.com, 31/12/2012).

Mais les autorités françaises n’ont pas seulement brillé par leur indignation sélective. Fin 2009, le groupe d’experts de l’ONU chargé d’enquêter sur les FDLR notait dans son rapport l’absence de coopération de la France, qui héberge pourtant plusieurs responsables du mouvement, notamment son secrétaire exécutif, Callixte Mbarushimana [5]. Si la France, discréditée par son soutien aux génocidaires de 1994, n’est pas le pays le plus influent dans la région, il est choquant de constater cette continuité de positionnement.

Au tour des FDLR ?

Le M23 a déposé les armes, avec la perspective – non réalisée à ce jour – de pouvoir intégrer le gouvernement en RDC. Les responsables onusiens et congolais promettent désormais de faire des FDLR leur cible prioritaire dans des déclarations rivalisant de fermeté. Si on en croit François Muamba, officier congolais chargé du suivi de l’accord d’Addis-Abeba : « c’est la toute dernière chance qui leur est accordée, et il y aura bientôt une évaluation qui sera faite pour constater que le 2 janvier 2015, on aura consommé les six mois d’ultimatum accordés. Tous ceux qui n’auront pas déposé les armes vont être désarmés par la force » (Adiaccongo.com, 24/09/2014).

Les FDLR ont jusqu’à maintenant refusé leur désarmement, au motif que leur demande d’intégrer le jeu politique rwandais est refusée par Kigali. Les autorités rwandaises n’envisagent, en effet, leur retour que devant les tribunaux. La situation est bloquée et l’offensive contre les FDLR brandie par l’ONU et les FARDC semble inéluctable début 2015. Mais derrière la vigueur des discours, on peut se questionner tant sur la capacité que sur la volonté de déloger militairement les FDLR. La collusion de plusieurs officiers des FARDC avec les FDLR est connue. Le groupe d’experts de l’ONU sur la RDC s’inquiétait en 2013 de l’accord tacite de non-aggression entre les FARDC et les FDLR, puis de collaborations dans des attaques coordonnées contre le M23. Un des responsables des FDLR jugés l’an dernier en Allemagne a d’ailleurs reconnu de telles collaborations par le passé. D’après des documents onusiens publiés par l’agence de presse Innercitypress, les FDLR auraient reçu renseignement et munitions de la part de certaines factions de l’armée congolaise. Cet été, la presse rwandaise a évoqué l’existence d’un document de la MONUSCO – non publié, et dont l’existence n’est pas confirmée qui évaluerait à 71 millions de dollars le business géré annuellement par les FDLR (pêche, minerais, racket) en lien avec certains officiers congolais. Il est donc difficile de croire à la capacité de mobiliser pleinement l’armée congolaise dans la lutte contre les FDLR.

Quant à la MONUSCO, elle a bien mené quelques opérations de faible ampleur contre les FDLR début 2014. Mais cet été, Hervé Ladsous, le responsable du département des opérations de maintien de la paix à l’ONU, aurait cherché à contourner, en urgence, les interdictions de voyager de plusieurs responsables des FDLR afin qu’ils puissent se rendre à Rome, à l’invitation de la communauté catholique Sant’Egidio. Certains d’entre eux auraient bel et bien voyagé dans des avions de l’ONU.

Cette affaire, dont les détails restent encore obscurs, a provoqué la fureur du Rwanda. Dans une lettre au Conseil de sécurité, le pays, rappelant qu’il recherche plusieurs des personnes concernées pour leur participation dans le génocide des Tutsi, considère qu’Hervé Ladsous a tenté de contourner l’autorité du Conseil et les procédures onusiennes, tout en manquant aux engagements pris par l’ONU l’année même de la commémoration des 20 ans du génocide des Tutsi. En effet, la résolution 2150 appelle les États membres à arrêter et extrader les personnes accusées de génocide. La lettre dénonce par ailleurs cette affaire comme faisant partie d’une « série de manoeuvres pour essayer de nier et minimiser le caractère criminel des FDLR, de trouver des excuses à leurs actes, de considérer ce groupe génocidaire comme respectable, ayant des exigences politiques légitimes ». Le Rwanda menace de se retirer de l’accord-cadre pour la paix.

La RDC condamnée à la guerre ?

La chute du M23 n’a pas mis fin aux violences que subissent les Congolaises. Au-delà des problèmes liés aux suites du génocide de 1994 et des nombreuses ingérences extérieures, la situation politique congolaise interne est une source d’insécurité permanente : Joseph Kabila cherche à se maintenir au pouvoir à tout prix, au risque d’entraîner le pays dans de nouveaux coups d’état militaires, et les forces armées congolaises sont souvent suspectées d’entretenir différents groupes armés dans l’Est du pays, quand elles ne commettent pas elles-même des exactions.

Comme dans bien des conflits, le rôle de l’ONU n’est pas neutre et découle bien souvent des intérêts croisés de ses membres, parmi lesquels la France et les États-Unis ont une forte influence. Les mots, si forts soient-ils ne suffisent pas. On ne pourra juger de la sincérité de l’action de l’ONU pour la paix et la justice en RDC que sur les actes posés. Les différents mouvements soutenus par le Rwanda ont successivement déposé les armes, mais les FDLR restent actifs. Le moment est propice pour mettre un terme au point de cristallisation des conflits qu’ils constituent. Si l’ONU et les forces congolaises n’imposent pas le désarmement aux FDLR, il est à craindre que la région ne connaisse une nouvelle escalade.

[1Rassemblement Congolais pour la Démocratie et Congrès national pour la défense du peuple. Voir RDC : à l’est rien de nouveau ?, Sharon Courtoux, Billets d’Afrique, février 2007

[2Le terme désigne les différents groupes armés. Oxfam en a recensé 11 dans un rapport de 2012, OXFAM briefing paper, November 2012. Commodities of war. Communities speak out on the true cost of conflict in Eastern DRC

[4Le rapport de la FIDH RDC : Prendre position sur la réforme du secteur de la sécurité, désigne lui-aussi les FARDC comme le principal problème de sécurité dans la région

[5Finalement remis à la CPI en 2011, celuici a été relâché, fautes de preuves. Il est toujours en France.

Soutenez l'action en justice contre Total !
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 239 - octobre 2014
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi