Survie

« Je veux des morts ivoiriens »

(mis en ligne le 5 novembre 2014) - Odile Tobner

Du 6 au 9 novembre 2004, l’armée française a inauguré son entrée
dans le XXIe siècle en commettant un de ses plus grands
massacres depuis l’époque coloniale, tuant une soixantaine de
personnes et faisant plus de 2000 blessés parmi des civils désarmés. Cela
s’est passé à Abidjan, capitale économique d’un pays souverain qu’elle
était censée protéger d’une rébellion venue du Burkina-Faso. Ce massacre
a été commis dans l’indifférence d’une opinion publique anesthésiée par la
propagande de médias dits d’information, répandant une version des faits
directement dictée par le ministère de la Défense : l’armée aurait agi ainsi
pour protéger les ressortissants français de la furie des Ivoiriens. Le
Monde évoque "des scènes d’horreur […] des corps blancs décapités à la
machette
" : il s’avèrera qu’aucun ressortissant français n’a été tué.

En réalité, le crime du peuple ivoirien remonte au mois d’octobre 2000,
quand il a élu Laurent Gbagbo à la présidence. Cet opposant historique à
Houphouët-Boigny est tout sauf un boutefeu, mais il n’était pas le candidat
de la France. Dès lors, les autorités françaises vont multiplier les efforts
pour le déposséder du pouvoir. Censées, aux termes des accords de
défense les liant à l’État ivoirien, protéger celui-ci de la rébellion du Nord,
elles vont au contraire maintenir la partition du pays, installant une
situation de pourrissement.

C’est dans ce contexte qu’a eu lieu ce qu’il faudra bien appeler un jour
le guet-apens de Bouaké. Le 6 novembre 2004, deux avions ivoiriens,
pilotés par des mercenaires biélorusses, bombardent un cantonnement
français de la force Licorne à Bouaké, tuant neuf soldats français. L’armée
française réplique immédiatement en détruisant la flotte ivoirienne, sans
même chercher à prendre contact avec les autorités légales, avant
d’occuper Abidjan, ses blindés se portant devant la résidence
présidentielle. S’ensuivent des manifestations violemment réprimées par
l’armée française comme "insurrectionnelles" alors qu’elles visaient à
défendre les autorités légales.

Selon Me Jean Balan, avocat des familles des soldats tués, qui ont
porté plainte à Paris en 2005 pour assassinat, l’attaque de Bouaké "fut une
manoeuvre pour trouver un prétexte de se débarrasser de Laurent
Gbagbo
". L’instruction se heurtera au verrouillage, via l’inoxydable secret-défense,
de toutes les voies d’accès à la vérité par les autorités françaises,
notamment par Michèle Alliot-Marie, successivement ministre de la
Défense et de la Justice. Celle-ci refusera d’expliquer l’incroyable : les
pilotes biélorusses auteurs du crime, parfaitement identifiés, arrêtés au
Togo et libérés sur instruction des autorités françaises. Ils n’ont depuis
jamais été retrouvés.

Le coeur se serre à l’évocation des victimes ivoiriennes des fusillades,
"la terreur, la chair entamée par les balles, une main arrachée, les os
brisés par le métal
" [1] ; ou à celle des cadavres de nos pioupious "jetés
dans des sacs plastiques tels qu’ils avaient été trouvés, couverts de sang,
de poussière, sans être lavés ni habillés
". Combien de temps encore
faudra-t-il subir l’irresponsabilité criminelle des Ubus de la politique
françafricaine et l’usage qu’ils font des moyens de l’État au service de
leurs minables intrigues de coloniaux attardés ?

« Je veux des morts ivoiriens » : propos tenus le 6 novembre par le général Poncet, commandant de la Force Licorne

[1Paul Moreira, un des rares journalistes à avoir relevé l’honneur de cette profession légitimement discréditée, en diffusant un reportage sur les fusillades de l’armée française.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 240 - novembre 2014
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