Survie

Libéralisme ou cannibalisme ?

rédigé le 6 janvier 2015 (mis en ligne le 7 janvier 2015) - Odile Tobner

À travers les accords de partenariat économique qu’elle veut imposer
aux pays ACP, c’est-à-dire essentiellement à ses anciennes colonies
d’Afrique, l’Union européenne est en train d’organiser la destruction de
la fragile économie de ces pays et de leurs chances de développement,
préparant ainsi de futures vagues d’immigration massive vers les pays riches.

En fait de "partenariat économique", ces accords ne visent rien d’autre
qu’à contraindre certains des pays les plus pauvres du globe à ouvrir
totalement leur marché aux produits de l’UE et, à terme, à ses services.
Ce serait là le premier exemple de zone de libre-échange comprenant les
pays les plus inégaux sur le plan du développement. Il s’agit en fait
d’institutionnaliser le lien colonial. Comme le rappelle Ernest Pekeuho,
président du Bloc pour la reconstruction et l’indépendance économique du
Cameroun, l’agriculture africaine, qui « constitue le pilier de l’économie
africaine et le moyen de subsistance de la majorité de sa population, n’est
protégée que par les tarifs sur les importations
 », les gouvernements
africains n’ayant pas les moyens de la subventionner. Leur suppression
privera les petits exploitants agricoles, qui « fournissent la plus grande
partie de la production agricole du continent
 », du seul moyen de faire
face à l’inondation des marchés africains par la production à bas prix
d’une agriculture intensive et subventionnée. Que dire des chances d’un
secteur industriel embryonnaire, face à une des industries les plus
avancées du monde ? Dans le même temps, les États de ces pays seront
privés de l’essentiel de leurs ressources budgétaires, constituées
principalement par les taxes qu’ils prélèvent sur les importations. Ils
n’auront d’autre recours que d’alourdir encore leur fiscalité interne,
aggravant d’autant la situation économique de leur population.

Les négociateurs de l’UE prétendent que ce sont les règles de l’OMC
qui commandent de substituer les APE au régime dissymétrique des
conventions de Lomé, qui présidait jusqu’ici aux relations commerciales
entre l’Europe et les pays ACP. Faux : l’OMC impose seulement à un pays
développé qui accorde un régime tarifaire préférentiel sans réciprocité de
l’étendre à l’ensemble des pays en développement ou à l’ensemble des
pays les moins avancés et non seulement à une partie d’entre eux.

En vérité, les conventions de Lomé n’avaient guère profité à la
production africaine, à laquelle l’UE a toujours opposé des barrières
réglementaires. Mais cela ne suffit plus à une Europe en déclin qui,
pressée par la concurrence des émergents, se précipite pour dévorer de
plus faibles, au mépris de ses propres intérêts de long terme. En 2006, la
délégation de l’Assemblée nationale pour l’UE estimait que « la mise en
œuvre du libre-échange entraînerait un choc fiscal, agricole, industriel et
sur la balance des paiements d’une telle ampleur pour nos partenaires,
qu’il pourrait compromettre la réalisation des Objectifs du Millénaire pour
le Développement, alors que l’Afrique subsaharienne souffre, dans ce
domaine, de retards si inquiétants qu’ils constituent une menace pour la
paix et la stabilité internationales
 ». Elle ajoutait que « si les négociations
se poursuivaient dans la même voie, l’UE commettrait une erreur
stratégique, politique, économique et sociale à l’égard des pays ACP, qui
se paierait par l’effritement d’une relation indispensable à la construction
d’un monde plus sûr et plus juste et au rayonnement ainsi qu’au poids de
l’influence européenne
 ».

Depuis dix ans, la société civile et une bonne partie de la classe
politique de ces pays sont vent debout contre ces accords, parvenant à
retarder la dévoration annoncée. Jusqu’à quand ?

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 242 - janvier 2015
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